Que nous apprend l’affaire Decathlon sur la société française ?
Durant 48 heures, soit le lundi 24 et le mardi 25 février, ce malheureux tissu fut l'alpha et l'oméga de l'actualité tant sur les réseaux sociaux que dans les médias. Tout partit d'un communiqué de l'enseigne Decathlon annonçant la commercialisation d'un "running-hijab" afin de permettre aux femmes voilées de pratiquer la course à pied. Une annonce somme toute banale, puisque ces articles existent et se vendent dans de nombreux pays anglo-saxons sans que cela ne fasse polémique (sauf, peut-être, dans les colonnes crasseuses de quelques tabloïds nostalgiques d'Oswald Mosley). Mais
Il n'est guère étonnant que quelques skinheads avinés se soient répandus en injures islamophobes et en invectives contre Decathlon sur internet. Mais, que des responsables nationaux, des députés, voire des ministres aient embrassé la même voie funeste, cela en dit long sur l'amour fraternel que l'autoproclamée "Patrie des Lumières" porte aux autres cultures.
L'extrême-droite n'a bien sûr pas été en reste. De la plumitive Eugénie Bastié qui, se piquant de philosophisme bas-bleu, a voulu faire un long parallèle sur "le droit et les mœurs" dans le torchon figaresque qui lui sert de journal, à Nicolas Dupont-Aignan qui a appelé à boycotter Decathlon, en passant par Renaud Camus et Hervé Juvin qui ont vu dans ce vêtement sportif un symptôme du "grand remplacement", on peut dire que le ban et l'arrière-ban de l'extrême-droite la plus crétine a été de sortie pour déféquer sa propagande. Dupont-Aignan mérite cependant la palme d'or de la démagogie avec le commentaire suivant : "J'ai deux filles et je ne veux pas qu'elles vivent dans une société où la femme est soumise à l'homme"… On demandera à l'auguste édile yerrois où a-t-il été question d'imposer quoi que ce soit aux femmes non-voilées et des les soumettre à quiconque, et on lui demandera également quelle serait sa réaction si l'une de ses filles (ou même les deux, ce qui serait plus comique) lui annonçait son souhait de faire sa vie avec un Algérien et de se convertir à l'islam. Renierait-il sa progéniture ?
Notre Dupont-Aignan n'a pas été le seul à appeler au boycott de l'enseigne sportive. Cette proposition a été retweetée en masse sur les réseaux sociaux. Une pétition a même été lancée, laquelle réunit, à l'heure actuelle, plus de 3000 signatures. Après Quick, Lidl, H&M, c'est donc au tour de Decathlon de subir l'ire de l'extrême-droite. A force de tout boycotter, nos natios vont finir par aller vivre à poil dans une forêt du Larzac, cela nous fera de sacrées vacances.
Mais, l'insulte et l'indignation n'ont pas été exclusives à l'extrême-droite dans cette pitoyable "affaire". Des personnalités classées à gauche, comme le "philosophe" (sic) Raphaël Enthoven, les journalistes Jean Quatremers et Christophe Barbier, l'homme à l'écharpe rouge, ont ainsi fait été de leur consternation à la vue de femmes courant avec un hijab sportif. M. Quatremers a même jugé bon de se fendre d'un long hiatus aux prétentions philosophiques dans lequel il déplore la signification qu'il prête au voile : "cela veut dire que la femme en question place une barrière entre elle et les autres, elle nous dit par là qu'elle ne veut pas avoir de relations sexuelles avec un non-musulman". Un curieux commentaire qui apporte un éclairage sur les raisons de la haine que l'islam inspire à la gauche.
En effet, il y a en France un consensus islamophobe répandu à droite comme à gauche : la où le "peuple de droite" voit dans le Musulman un Sarrasin, un ennemi héréditaire de
De gauche ou de droite, féministe ou masculiniste, un(e) Occidental(e) reste un(e) Occidental(e), pétri de son occidentalisme qu'il croit supérieur et animé d'un ardent désir de porter la bonne parole (chrétienne pour l'homme de droite, laïciste pour l'homme de gauche) à travers les peuples du monde entier qu'il s'imagine volontiers sauvages, ne demandant qu'à être illuminés par le flambeau d'un Occident omniscient. Si jadis, cet état d'esprit était l'apanage des mâles blancs, il s'est aujourd'hui répandu jusque dans la gent féminine : sous couvert de la "libérer" (de quoi ?) les féministes occidentales ne craignent plus d'oppresser elles-mêmes leur sœur musulmane. Là encore, indépendamment du clivage droite-gauche, tant le spectre politique tout entier est contaminé par ce colonialisme mental.
Les réactions de Marlène Schiappa en sont de parfaites illustrations. Elle a cru bon de faire un communiqué dans lequel elle s'interroge sur "le message envoyé aux femmes du monde". Voilà qui montre encore une fois la fatuité de cet "universalisme français" dont on n'arrive guère à se départir que l'on soit de gauche ou de droite. Car, Mme. Schiappa pense que "les femmes du monde entier" ont les yeux rivés sur notre pays et scrutent les "messages" que nous leur envoyons par notre attitude… Rassurez-vous, Madame la ministre, tout le monde se fiche de nous comme d'une guigne.
A noter, enfin, que le community manager de Decathlon, un certain Yann, qui a courageusement défendu la cause des femmes voilées et la position de son entreprise, s'est vu pris à partie aussi bien par des nationalistes d'extrême-droite que par des féministes de gauche, unis dans le rejet de la différence. La pression en général a été si forte sur la marque que dès le lendemain, le directeur de la communication a annoncé le retrait du hijab de course en France. Une décision saluée jusque dans les colonnes d'AgoraVox où l'un de mes confrères titre : "Recul de Decathlon : progrès de notre société". Car il est bien connu que tous nos malheurs sont dus au running-hijab. Foin du chômage, de la pauvreté, du réchauffement climatique ! Ce qui importe, c'est qu'en allant faire leur jogging matinal, les braves Français ne croisent pas sur leur chemin une femme portant un hijab de course.
Au final, cette lamentable affaire aura fait couler beaucoup d'encre pour rien. Le hijab de course n'étant pas illégal, une femme désireuse de le porter pourra toujours l'acheter en ligne ou à l'étranger. De fait, rien dans le droit n'interdit la vente ou le port de tels accessoires. Ici, ce n'est pas le droit mais la morale (ou plutôt, l'idée qu'ils s'en font) que les rétrogrades de gauche et de droite ont hissé au pinacle. La presse allemande et anglo-saxonne s'est dite ébahie par ce mélange de machisme et de xénophobie, impensable à Londres ou à Berlin qui ont fait le pari d'accepter sur leur territoire l'existence des diverses communautés ethniques et religieuses en leur permettant de perpétuer dans leur pays d'accueils un certain nombre de traditions tant qu'elles demeurent dans le respect de la loi.
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