Le chaos yéménite a forcé les 22 États membres de
la Ligue arabe, réunis à Charm el-Cheikh pour leur sommet annuel, à
prendre position en faveur d’une force de sécurité régionale sans perdre
de temps en palabres. "L’Égypte donne son soutien politique et
militaire et a proposé de rejoindre la coalition", a annoncé le ministre
des Affaires étrangères égyptien, Sameh Shoukry, à l’ouverture,
mercredi, du sommet panarabe. Dès le lendemain, une coalition de neuf
pays, menée par l’Arabie saoudite, commençait à marteler les positions
des milices chiites au Yémen.
Dans
la nuit de mercredi à jeudi, des avions de combat saoudiens avaient
déjà entamé des raids sur Sanaa, capitale aux mains des milices houthies
depuis septembre 2014, dessinant les contours d’une déclaration de
guerre. L’Égypte, pays hôte de la Ligue arabe et pivot de la stabilité
dans la région, annonçait dans la foulée l’envoi de quatre navires dans
le golfe d’Aden, la mise à disposition d’une force aérienne et de
troupes « pour une opération terrestre, si nécessaire ».
Objectif ?
Assurer son allié saoudien, principal bailleur de fonds du régime
d’Al-Sissi, de son « aide politique et militaire » indéfectible. "Rien
n’est gratuit, rappelle Amr Khalifa, analyste politique. Il est naïf de
croire que les milliards du Golfe dont est abreuvé Al-Sissi sont
distribués sans un lourd tribut à payer. S’il n’affirme pas son soutien,
il risque une suspension de l’aide économique à un moment où l’Égypte
ne peut pas se le permettre." Pour Nael Shama, spécialiste de la
diplomatie égyptienne, cette participation à la coalition est
« symbolique » mais elle permet surtout au Caire, soucieuse de sa propre
sécurité avec l’avancée de groupes terroristes comme l’EI, de plaider
pour la création d’une force militaire arabe. "C’est l’occasion pour le
président égyptien de rappeler son attachement à un État fort, lui qui
privilégie les pouvoirs en place, aussi subversifs soient-ils, contre
les puissances alternatives indépendantes."
Cette
intervention soulève également des interrogations légitimes puisqu’elle
voit s’associer les meilleurs ennemis de la région : l’Égypte fait front
aux côtés du Qatar, soutien assumé des Frères musulmans, contre
lesquels les autorités égyptiennes ont lancé une répression d’une
violence sans précédent, pour soutenir un président yéménite, lui-même
appuyé par la confrérie.
Mais ce soutien n’est pas
« un luxe de politique étrangère », tempèrent les spécialistes, car la
déstabilisation du Yémen met à mal la sécurité du détroit de
Bab-el-Mandeb et du canal de Suez, menaçant directement les intérêts
économiques du Caire. « Le Yémen est une affaire très risquée », insiste
Amr Khalifa, qui rappelle qu’en 1962, Gamal Abdel Nasser s’était lui
aussi engagé chez son voisin avec des pertes considérables (plus de
36.000 morts) dans ce que les historiens qualifient de "Vietnam
égyptien« . Et »en voulant s’imposer comme le nouveau Nasser auprès de sa
population, Sissi risque de s’engager dans une guerre impersonnelle et
mal évaluée qui pourrait lui être fatale", prévient-il.