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Commentaire de Taïké Eilée

sur Sarkozy, ou le triomphe des passions tristes


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Taïké Eilée Taïké Eilée 11 mai 2007 23:29

Voici quelques réactions à vos remarques :

Premier paragraphe : Les trois « soutiens » que je cite disent certaines affinités - que d’aucuns qualifient de gênantes - de Nicolas Sarkozy : patronat, droite extrême (rappelons sa grande proximité avec Fini en Italie, préfacier de son livre « Témoignage »), néoconservateurs américains. Je ne connais pas l’opinion de Sarkozy sur Heider, mais Heider, lui, se reconnaît en Sarkozy. Ça interpelle (comme on dit...).

Au sujet de la croisère, même si l’on se doute qu’un président de la République ne va pas au camping, il y a tout de même un étalage de luxe (Falcon, yacht, tous deux possessions d’un milliardaire ami) qui choque, certes pas tout le monde... mais c’est quand même très tape-à-l’oeil. C’est aussi un geste politique : il met en pratique un rapport absolument décomplexé à l’argent. Le message est clair : je suis riche et j’en suis fier et je veux que ça se sache ! Finie la discrétion, la pudeur, face aux pauvres qui devront travailler plus pour partir au camping... Sarkozy veut changer la mentalité des Français vis-à-vis des riches, qui ne doivent plus se sentir « coupables » de leur richesse. J’ai tendance à voir dans cette « désinhibition » des plus riches une certaine perte d’humanité. On perd le léger sentiment coupable qui devrait nous tenir face à d’autres hommes beaucoup moins riches que soi, car il n’est pas tout à fait « normal » (pour une conscience de gauche ?) que certains vivent dans l’opulence la plus « décomplexée », tandis que d’autres n’ont rien.

Spinoza n’aurait pas voté Sarkozy : « l’origine de ces « passions tristes » [...] que rien ne justifie [selon moi, dites-vous]. » Je ne pense pas que rien ne les justifie ! Si elles existent, elles ont immanquablement leurs raisons. Je ne critique pas les gens (nous tous) qui ont ces passions ; je critique leur exploitation par un politique en quête de pouvoir, ce jeu un peu malsain qui les exacerbe encore plus.

Le dégout des autres : « l’auteur qui ne cache pas sa propre haine de la haine » : ce n’est pas trop compromettant à montrer, la haine de la haine... J’assume. Et d’ailleurs, je n’ai aucune haine envers Sarkozy ; je le trouve seulement parfois irresponsable : quand on a le pouvoir qu’il a, on le manie avec une grande précaution, on sait que ses mots et ses actes peuvent avoir des répercussions considérables.

« la critique de la repentance est tout simplement traduite en négation des erreurs passées. Je crains que l’auteur n’ait pas complètement compris le discours de Mr Sarkozy. Ce qu’évoque Mr Sarkozy dans plusieurs de ses discours, c’est précisément ce à quoi conclue ce paragraphe : « entre la flagellation perpétuelle et l’oubli, il y a une marge ». » Dans ce cas, tout va bien. Mais je n’ai pas eu cette impression. Dire que la France n’a jamais commis de crime contre l’humanité est étonnant ; comment qualifie-t-il, par exemple, la traite négrière codifiée dans le Code noir ? Faire un discours aussi offensif, et offensant pour les Allemands (quel intérêt de les ramener au nazisme ? de les montrer du doigt ?), ne me paraît pas très adroit (à moins qu’il n’y ait un effet recherché... lequel ?).

Singer le grand loup blanc : « Mr Sarkozy aurait pris modèle sur Mr Le Pen... Est-ce parce que Mr Sarkozy ose enfin se réapproprier les thèmes abandonnés au FN depuis 25 ans ? » Tous les thèmes politiques appartiennent à tout le monde. Il est évidemment fautif d’abandonner certains thèmes (à ses adversaires), dès lors qu’on les juge dignes d’intérêt. L’extrême gauche actuelle, par exemple, n’a pas l’air de considérer l’immigration comme un problème, dans quelque cas que ce soit : c’est sa conception ; elle a une autre hiérarchie des problèmes, et juge ceux liés à l’immigration secondaires, et réglables en jouant sur d’autres leviers (économiques). Si l’on n’a pas ce genre d’approche un brin utopique, il faut évidemment traiter le problème. Si les politiques ont accepté que ce sujet soit tabou, c’est leur problème. Un sujet n’est tabou que si on a accepté qu’il le soit. Ce n’est pas le FN qui leur a arraché de force ce « thème ».

« L’identité nationale ? une vision commune, héritée des combats pour les libertés, pour le respect des autres à travers le principe de laïcité par exemple... » Au sujet de la laïcité, Sarkozy n’est précisément pas très rassurant ; ou, plus précisément, disons qu’il semble avoir une vision de la laïcité très « ouverte ».

« C’est aussi préparer notre avenir en instruisant les générations futures par l’expérience du passé. » Cela se fait à l’école... que faut-il faire de plus ?

Moi je dis les choses comme je pense : « l’auteur se dispense de justifier son affirmation selon laquelle Mr Sarkozy « singerait » Mr Le Pen. » Je vais me répéter : Sarkozy distingue perpétuellement deux catégories de gens, les bons et les mauvais, ces derniers apparaissant comme des boucs émissaires, et il joue sur l’animosité des premiers sur les seconds. Il se présente comme un briseur de tabous, comme pourfendeur de la pensée unique, reprend l’idée de dire tout haut ce que les gens pensent tout bas, utilisent des mots qui choquent ou blessent, il justifie ses opinions biologiques sur l’évidence de son expérience, il joue sur les pires faits divers pour justifier sa politique... Cela ressemble à du Le Pen.

Entre la langue de bois et le soi-disant parler vrai, il y a de la marge. Il est parfaitement possible de n’avoir aucun tabou, de n’user d’aucune langue de bois, et de conserver tout de même une langue correcte, digne d’un responsable politique. Je n’attends pas d’un homme d’Etat qu’il parle en verlan, ou de manière trop vulgaire ; je crois qu’il y a une dignité de la fonction qui l’interdit. Et qui ne voit que ce genre de parler vrai est complètement fabriqué, précisément pour séduire un électorat qui en a marre de la langue de bois, et qui en a marre, plus globalement, des hommes politiques ? On peut parler clair, parler ferme, mais en restant à la hauteur de sa fonction. L’homme privé peut parler comme il veut ; l’homme public joue un rôle de représentation, qui le tient, et qui devrait l’élever - selon moi.

« il est curieux de constater que l’auteur suggère que l’usage de la langue « des gens » soit méprisante... Serait-il honteux de parler le langage du peuple ? » Lorsque l’on est du « peuple », il est normal de parler la « langue du peuple ». Mais la plupart de nos politiques sont-ils du « peuple » ? Non. Ils font donc un numéro, et ce numéro est méprisant et méprisable. J’aurais pu dire la même chose de Fabius lors de son passage, il y a quelques années, chez Fogiel, où il nous racontait qu’il mangeait des carottes râpées, faisait de la moto, et regardait la Star Ac. La familiarité étudiée avec laquelle Sarkozy s’adresse aux ouvriers, ou à certains intervenants du public dans les émissions politiques à la télé, me choque ; je me souviens d’un homme qu’il applelait « Paulo » (pas « Monsieur », non, « Paulo »), d’un ton... mélange de paternalisme et de fausse camaraderie... pas correct du tout, et pas respectueux.

N’ayez pas peur, j’arrive : « Certains seraient donc manipulés, ou tout simplement abrutis, tandis que d’autres seraient moins manipulables (et probablement plus humains ?). Quelle estime de l’auteur pour les 53% qui ne partagent pas son opinion... » Non, pas forcément manipulés. Vous pouvez apprécier ce genre d’utilisation du malheur des gens dans un meeting géant devant près de 20 000 personnes, ça dépend de sa sensibilité. Moi, je ne pourrais pas, sans honte, rappeler ces histoires atroces (de gens massacrés, ou brûlés vifs) dans un meeting politique, dont le but est de galvaniser ses troupes. Face à l’horreur, moi, j’ai tendance à me taire, ou à parler avec une infinie précaution... pas sur une estrade, avec un micro, face à une foule en délire.

Pour une contre-révolution morale : « l’auteur appelle en renfort l’article d’un historien (publié dans Libération) pour démonter l’argument selon lequel mai 68 aurait structuré certains des repères de notre société. [...] Qui pourrait nier honnêtement que la révolte de 68 n’a pas changé notre vision de l’éducation par exemple... ? » L’historien en question dit ceci : « Faire de 68 la cause UNIQUE de toutes les valeurs dominantes aujourd’hui est une absurdité. » Personne n’a nié l’influence de mai 68. Mais Sarkozy rend ce moment seul responsable des maux d’aujourd’hui. C’est cette simplification, suivie d’une diabolisation, qui est critiquée. Le monde actuel n’a pas subi la seule influence de mai 68. D’ailleurs, on notera que Sarkozy oublie tout un pan de mai 68, qui a été la grève la plus importante de l’histoire du mouvement ouvrier français et l’unique insurrection générale qu’aient connue les pays occidentaux depuis la Seconde Guerre mondiale.

« Il faut savoir faire la critique de ce que l’on pensait parfois à tort être une évolution et qui parfois a été source d’échec. Il faut tirer les leçons des 40 ans qui se sont écoulées depuis. » Vous proposez de faire oeuvre de repentance ? smiley Sarkozy ne tient pas à ce qu’on s’attarde trop sur les pages les plus noires de France, histoire de garder intacte la fierté nationale, mais s’acharne sur Mai 68 qu’il veut « liquider ». Sarkozy ne demande pas un regard critique sur l’héritage de Mai 68, il veut sa « mort ».

Merci pour vos réflexions.


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