Le droit de mourir
Un médecin italien a déclaré, jeudi 21 décembre 2006, qu’il avait débranché les appareils respiratoires de Piergiorgio Welby, un homme atteint de dystrophie musculaire (une maladie dégénérative atrophiant les muscles et qui l’empêchait de bouger) décédé dans la nuit à l’âge de soixante-et-un ans, et qui réclamait le droit à une mort digne depuis plusieurs mois. Le cas de ce sexagénaire assigné à rester pour le restant de sa vie sur un lit d’hôpital, nourri par sonde gastrique et n’ayant plus la capacité de s’exprimer au-delà des flammes du regard, a une fois encore sollicité l’attention du monde sur la capacité de chaque individu à pouvoir disposer de lui-même ou non.
Le « droit » d’euthanasie est une question éthique que bon nombre de gouvernements n’ont su trancher, puisque cette question nécessite d’avoir un courage terriblement humain, celui de dire solennellement, et suivant des conditions limitant évidemment les excès possible, qu’un individu condamné à souffrir pour le reste de sa vie dans une agonie sans nom devrait avoir le droit de disposer de lui-même, et donc être en mesure de signer de sa main le droit de mourir.
En Italie comme en France, où l’euthanasie n’est pas autorisée, le cas a profondément divisé, faisant ressurgir les pieux de pacotilles de leur carcan d’ivoire et la papauté de son conservatisme aveugle et destructeur.
Luca Volonte, responsable de l’Union des démocrates chrétiens (UDC), un parti d’opposition, a même osé aussitôt demander l’arrestation pour meurtre du docteur Mario Riccio (peine de prison de quinze ans possible). Pour se protéger et donner enfin le salut à M.Welby, ce docteur a dû slalomer dans les méandres du droit pour trouver la faille séparant « l’euthanasie » du « refus de traitement légal ».
"Le cas de Welby n’est pas un cas d’euthanasie. Il s’agit de refus de traitement", a poursuivi l’anesthésiste, se disant prêt à répondre aux questions de magistrats. Welby, qui avait conservé toute sa lucidité, avait auparavant saisi la Justice pour obtenir le droit à une mort digne. Sa demande avait été rejetée par un tribunal romain, mais le Parquet avait fait appel.
Dimanche, à la veille de Noël, le pape utilisant ce fait d’actualité a prononcé : « Toutes les vies humaines sont précieuses », plongeant comme à l’accoutumée les auditeurs (italiens ou non) dans l’interprétation des mots, entre protection sage de la vie, et aveuglement digne de celui de l’usage salvateur du préservatif, se plaçant à la place de l’autre là où la liberté la plus intime devrait être un droit.
Dans un pays où le catholicisme est encore très influent (L’Eglise catholique est opposée à l’euthanasie mais elle admet que les traitements médicaux lourds et disproportionnés puissent être arrêtées), le cas « Welby » fait écho à la pirouette française occultant la question posée, aux différents Etats tolérant ou non l’euthanasie (à ce jour, seuls la Suisse, les Pays-Bas, la Belgique et l’Etat américain de l’Oregon autorisent le suicide médicalement assisté pour les malades en phase terminale).
L’an passé, le magistral film de Clint Eastwood Million Dollar Baby avait pourtant osé s’attaquer frontalement à la question (lors des élections, qui plus est), montrant que dans certains cas précis, lorsque tous les espoirs sont vains, lorsque l’être humain est condamné à l’alitement et à la dépendance, lorsque le poids des mois et des différents handicaps font leur travail de sape, il devient humainement intolérable de laisser autrui dans une agonie sans nom, souvent humiliante, toujours loin des droits de l’homme.
Bien sûr, une loi sur l’euthanasie doit prendre en compte les excès prévisibles auxquels certains n’hésiteraient pas à recourir pour accélérer la mort d’un parent ou d’un proche en vue d’une macabre succession, d’une mise au silence d’un témoin et autres cas nauséabonds. Mais si l’on souhaitait réellement se poser la question des droits de la vie, du droit à la mort, conditionné par la situation réelle de l’individu, la condition des soins nécessaires pour maintenir en vie et la durée de cette situation devraient être les fondements d’une loi allant pleinement s’inscrire dans les premiers alinéas de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, et donc de la constitution. Je tiens à en souligner les quatre premiers articles qui devraient aujourd’hui avoir une grande résonance face au cas Welby :
« Article premier - Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.
Article 2 - Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. (Le politique devrait donc aller en ce sens et protéger l’intégrité des individus, donc leur droit à choisir leur mort.)
Article 3 - Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. (Le pape n’a donc aucune autorité.)
Article 4 - La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. (Une loi pour cadrer l’euthanasie volontaire et ses modalités est cohérente.)
Alors oui, je pense que le cas Welby est une preuve de plus qu’il est grand temps pour nos sociétés de clarifier la question en octroyant le « droit de mourir » à ceux et à celles que la vie a malheureusement condamnés. Comme Romano Prodi, et bien loin des palabres de l’évêque Elio Sgreccia (président de l’Académie pontificale pour la vie), je pense que nous devons tous manifester un profond respect devant la mort de Welby et la prise de risque du médecin Mario Riccio.
Sans doute que lors de ce dernier combat, ils ont tout donné (cf. Million Dollar Baby).
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