• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > Pourquoi les centrales nucléaires sont inadaptées à la démocratie (...)

Pourquoi les centrales nucléaires sont inadaptées à la démocratie ?

Dans le flot continu de l'information, cette depêche est passée pratiquement inaperçue : le 24 mars, le porte-parole du gouvernement japonais admettait que la rotation des travailleurs "pompiers" sur le site de la centrale de Fukushima n’est « pas suffisante ». Difficile en effet pour Tepco et ses sous-traitants de trouver des volontaires pour remplacer ces ouvriers qui risquent leur vie. Dans certains villages, on aurait proposé 800 à 1500 euros à des volontaires pour participer aux opérations.

Dans le Japon démocratique du début du XXIéme siècle, on aurait donc du mal à trouver suffisamment de personnels pour se sacrifier : quel paradoxe au pays des Kamikazes !

 

1-L'armée des liquidateurs soviétiques :

Il y aurait environ 500 personnes qui participerait aux opérations de sauvetage du site sur la centrale de Fukushima. Il est intéressant de comparer ce chiffre avec l'envoi dans les semaines qui ont suivi l'explosion de Tchernobyl de dizaines de milliers de "liquidateurs". 

En U.R.S.S., en 1986, ces personnes n'ont pas hésité à affronter des doses très élevées, restant quelques secondes ou quelques minutes sur les lieux de l'opération, se relayant à des cadences très rapides. On estime que le nombre de ces liquidateurs, intervenant sur le site ukrainien, entre 1986 et 1992, a oscillé entre 600 000 et un million !

On pourra comparer avec l'organisation nippone. On pourra noter, par exemple, que, après l'accident dans lequel deux opérateurs japonais ont été gravement irradié, les opérations humaines ont été immédiatement interrompues. Les Soviétiques n'avaient pas ce genre de scrupules et n'hésitaient pas à sacrifier leur personnel, si cela leur semblait nécessaire.

On peut se poser la question : si, depuis le 11 mars, Tepco n'a pas réussi à régler le problème, n'est-ce pas par manque de personnels ? Pour des craintes -légitimes- à ne pas trop exposer la vie de ses personnels ? Par "principe de précaution" comme nous disons en Europe ? D'évidence, le prix de la vie humaine n'est pas le même.

 

2-Les risques nucléaires sont-ils compatibles avec les sociétés démocratiques ?

Les Japonais de 2011 font-ils davantage preuve de compassion que les Soviétiques de 1986 ? Je ne le pense pas. Alors où se situe la différence ? Probablement dans le progrès de l'esprit de responsabilité au sein de la société japonaise d'aujourd'hui. 

Ne soyons pas naïf. Ce sens des responsabilités caractérise les sociétés démocratiques car il faudra payer quand les responsables des catastrophes auront été identifié, il faudra que la Nation, l'Etat assume sa part financière dans le "réglement" des dégâts.

On ne peut que se féliciter de cette avancée que l'on cherchera en vain dans les sociétés autocratiques. Mais il faut être conscient des conséquences de ce progrès social : un accident grave, une situation échappant au contrôle, un risque inconsidéré, une décision malheureuse ; chaque erreur va se payer, chaque décision sera à posteriori étudiée par les juges, chaque responsabilité devra être assumée.

Or, en matière d'accident nucléaire : la facture, morale et financière, sera lourde, très lourde.

Si Tchernobyl s'est traduit par des milliers de kilomètres carrés stériles et des cancers en quantité difficiles à chiffrer, la reconnaissance des responsabilités, les dédommagements se font attendre. Il en sera tout autrement à Fukushima.

Il faudra probablement, dans la décennie à venir, payer des indemnités aux propriétaires délogés de la région, offrir des contreparties aux pêcheurs lésés, rembourser les irradiés, examiner toutes les responsabilités dans les cancers des personnes exposées, payer de lourdes indemnités aux "liquidateurs" et à leurs familles, sans parler de la dépollution du site au coût faramineux. 

La Nation japonaise n'a pas fini de payer Fukushima.

 

3-Le coût invisible du nucléaire pour les sociétés démocratiques :

Le philosophe Jean-Jacques Delfour, écrit dans le Monde daté du 11 avril "Du fait que l'Etat a toujours placé la centrale nucléaire hors du droit commun, le principe libéral de la privatisation des bénéfices et de la publicisation des pertes revient à se condamner à l'inaction : en cas d'accident nucléaire, les citoyens se débrouillent. Ou bien ils se tournent vers un Etat qui, dans les "démocraties" n'a pas du tout les moyens civils ou militaires de sa politique industrielle". 

On est ici au coeur du problème : qui payera en cas d'accident grave ? C'est la Nation toute entière. On m'objectera qu'elle a profité pleinement des "bienfaits" du Nucléaire pendant des décennies. Mais, dans une société endettée, nous n'avons pas financé ce risque, nos factures d'électricités n'en tiennent pas compte. Les choix politiques et technocratiques qui ont validé le nucléaire ont été pris sur le dos des futures victimes qui vont payer deux fois : subir l'accident nucléaire puis payer les dégâts.

On peut comparer avec la société américaine : après Three Mile Island, en 1979, les sociétés d'assurances ont refusé de prendre en charge le risque. L'Etat fédéral refusant de l'assumer à son tour, la construction de centrales nucléaires s'est arrêté d'elle même !

On atteint ici la limite de la démocratie à la France : la responsabilité des nuclérophiles s'arrête quand il s'agit de financer préventivement le risque nucléaire.

Conclusion : quand le nucléaire va bien, les apparences sont sauves et nous avons l'impression trompeuse que notre monde démocratique peut vivre avec lui. Mais quand la catastrophe survient, la vérité apparaît dans sa cruelle réalité : le monstre nucléaire devient incontrôlable à moins de lui opposer la machine totalitaire. La démocratie est trop fragile et subtile pour pouvoir mater le dragon radioactif. L'hydre soviétique a su vaincre Tchernobyl. Mais la princesse nippone pourra-t-elle stopper le dragon de Fukushima ?


Moyenne des avis sur cet article :  4.05/5   (21 votes)




Réagissez à l'article

14 réactions à cet article    


  • Furax Furax 16 avril 2011 11:40

    Les actionnaires se sont partagé les bénéfices, ils doivent payer les dommages. Ils devraient être en tête des liquidateurs, on les voit bien peu...


    • Francis, agnotologue JL 16 avril 2011 11:58

      Je ne suis pas spécialiste, ayant systématiquement refusé les produits financiers de ma banque pour cette raison : avec ces produits, on ne sait pas qui on soutient, et c’est parfois des industries qui travaillent contre nous.

      Je suppose que nombre de gens qui sont horrifiés à juste titre contre les dangers du nucléaires sont peut être à leur insu, des soutiens de cette industrie ?

      Qui est coupable ? Eux ? Leurs banquiers ? Les deux ? Je pose la question.


    • Francis, agnotologue JL 16 avril 2011 11:59

      Oui, bien entendu, il ne faut pas compter sur les pronucs pour nous dire ça : ils risqueraient de voir leurs actions baisser !


    • Francis, agnotologue JL 16 avril 2011 11:54

       

      Drole d’analyse mais que je ne rejette pas en bloc.

      Selon l’auteur Rcoutouly, ce qui diffère, entre le contexte Tchernobyl et celui de Fiukushima, c’est la démocratie. Selon moi, ce qui diffère c’est le libéralisme d’un coté, le totalitarisme de l’autre.

      Or nous savons bien que le libéralisme n’est aujourd’hui plus que le faux nez du turbo-capiltalisme. C’est quoi le turbo-capitalisme ? C’est ce qui fait que les entreprises n’ont plus vocation à produire des biens et des services, mais des profits. Les profits s’opposent aux richesses et génèrent des inégalités mortifères qui ruinent les nations, les peuples et la planète.


      « L’égalité d’aujourd’hui c’est la liberté des générations futures ». (Eloi Laurent).

      On le voit, le turbocapitalisme mène fatalement au totalitarisme. Le nucléaire n’est possible que dans les Etats totalitaires : en Chine comme en France !

      Aucune différence donc sur ce point, entre le totalitarisme soviétique et les totalitarismes nippon ou français, sinon que le premier s’appelait communisme et les seconds démocraties.


      • perlseb 17 avril 2011 18:00

        Effectivement. Faut-il rappeler que le nucléaire ne peut émerger que dans des états totalitaires où l’on masque volontairement les risques encourus par la population ? Les manifestations anti-nucléaires ne sont jamais prises en compte par les décideurs. Vous me direz, elles ne rassemblent pas grand monde. C’est aussi parce que les gens n’ont pas les connaissances pour juger de la réelle gravité potentielle du nucléaire.

        Qui dit absence d’information dit propagande et état totalitaire. Si après Fukushima, on faisait un référendum sur le nucléaire en France, je crois qu’on aurait une décision démocratique en connaissance de cause, mais ça ne se fera jamais (nous aurons des promesses de campagne non tenues, vaste fumisterie qui prétend être démocratique).


      • liberta 16 avril 2011 12:19


        Pour répondre au titre de l’article il suffit de savoir qu’il y a ententes entre l’OMS et l’AIEA
         ici :
        http://www.lepouvoirmondial.com/archive/2011/04/15/chernobyl-catastrophe-to-fukushima-les-liens-d-interets-entr.html


        • pilhaouer 16 avril 2011 12:27

          J’ai un peu de mal à accepter cette comparaison simplificatrice entre les réactions des soviétiques à Tchernobyl et celles du gouvernement et de TEPCO à FUKUSHIMA !

          En ce qui concerne FUKUSHIMA, il ne semble pas que la question de la santé des liquidateurs et même de la population concernée directement ait été centrale (sauf dans la mesure ou elle pouvait avoir un inconvénient médiatique.)
          Si vous avez regardé le dernier reportage (remarquable et c’est rare) sur les conséquences de la catastrophe nucléaire d’Envoyé Spécial sur A2, vous aurez constaté que l’essentiel pour les autorités et TEPCO était bien de cacher la réalité des dangers encourus. (A certains moments, interview contrôlée des pompiers, on semblait être à PEKIN et non à TOKYO !).
          Le gouvernement japonais n’a pas pris les mesures d’évacuation nécessaires, au delà des 30km autour de la centrale.
          Par orgueil et pour cacher la gravité de la situation il a d’abord refusé les aides proposées.
          Il est de notoriété publique que les opérations dangereuses dans les centrales japonaises sont effectuées par des sous-traitants (contraints au silence) qui emploient des personnels mal formés recrutés souvent parmi les burakumin, groupe discriminé au japon, survivance des hors-castes de l’époque féodale. (le Japon n’a d’ailleurs rien inventé : l’industrie nucléaire fait appel partout à la sous-traitance et à une main d’oeuvre de ce type)
          De façon générale, le respect de la vie imposerait que ne soient pas pris des risques démesurés, comme de construire des centrales sur une zone sismique et inondables par tsunamis de surcroît) risques contre lesquels des scientifiques japonais se sont depuis longtemps élevés.
          TEPCO est archi-connue au JAPON pour ses mensonges et ses falsifications couvertes par le gouvernement japonais et a connu d’autres incidents graves.

          Donc respect de la vie, dans un système capitaliste, mon oeil ! Mais respect du profit, certainement. (Tepco a été accusé d’avoir tardé à prendre les bonnes mesures, pour sauver les installations) .
          Il est d’ailleurs surprenant de voir l’absence de mobilisation et de coordination mondiale pour aider le Japon a contenir une catastrophe dont les répercussions sont internationales !
          C’est moins surprenant si on réfléchit aux inquiétudes des maîtres du nucléaire sur l’avenir de leur industrie !!!

          Qu’en était-il du côté soviétique ?

          S’il est exact que parmi les liquidateurs, peu étaient informés du danger réel (au début) et équipés correctement, les interviews des liquidateurs malades encore en vie ont montré aussi des gens qui se sont sacrifiés en connaissance de cause, comme il y en a aussi au Japon.
          Par ailleurs, je n’aimerais pas être le décideur qui choisit de sacrifier des milliers de vies pour en sauver des millions, quel que soit le régime !


          • krolik krolik 17 avril 2011 00:20

            Vous dîtes :« Par ailleurs, je n’aimerais pas être le décideur qui choisit de sacrifier des milliers de vies pour en sauver des millions, quel que soit le régime ! »

            Personne n’a jamais eu à faire ce choix.

            ZA Tchernobyl il n’a jamais été question de sauver des millions de vie, il a été question d’envoyer une trentaine de type sur la toit de la centrale #3 mitoyenne de l’explosée, pour enlever les débris et permettre à ce réacteur de repartir rapidement, ce qui a été faity dans les 24 heures. Car priorité à la PRODUCTION suivant le dogme Marxiste-Léniniste.

            D’ailleurs en remerciement de ce sacrifice au « système » ils ont été enterrés sous le mur du Kremlin.

            La relation à la Vie, à la Mort en Russie n’a rien à voir avec ce que l’on a chez nous en Occident. Impossible de juger des actions de Tchernobyl sans être imlbibé de la culture soviétique qui n’a rien à voir avec la nôtre.

            @+


          • pilhaouer 17 avril 2011 10:33

            « Personne n’a jamais eu à faire ce choix » (de sacrifier des vies pour en sauver beaucoup d’autres)
            Bien sur que si, à Tchernobyl comme à Fukushima, même si, dans les deux cas, il y a aussi la nécessité de protéger le système.

            « Il a été question d’envoyer une trentaine de type »

            Selon l’AIEA, durant 7 mois 25000 « liquidateurs » passèrent par Tchernobyl pour nettoyer la région et obstruer la centrale éventrée. Entre 1986 et 1991 plus de 700000 liquidateurs travaillèrent dans la région.
            « Tchernobyl » est suffisamment documenté pour ne pas raconter n’importe quoi !
            Voir entre autres le film : « La bataille de Tchernobyl »
            http://www.tudou.com/programs/view/sCN-GEayaxY/

            Les pilotes d’hélicoptères, tous morts, les pompiers, les mineurs ont été héroïques et ont agi par devoir, comme les japonais qui sont à Fukushima.

            "La relation à la Vie, à la Mort en Russie n’a rien à voir avec ce que l’on a chez nous en Occident. Impossible de juger des actions de Tchernobyl sans être imlbibé de la culture soviétique qui n’a rien à voir avec la nôtre.« 

            Il y a des cultures différentes mais je n’ai pas encore trouver une définition unique et intemporelle de »l’Occident« .
            Quant à déterminer qui est à même de juger sans être imbibé de la culture ...etc, ce n’est qu’un faux argument tendant à faire accroire que celui qui l’énonce »sait".
            Or d’une part, personne ne sait a priori lequel des deux interlocuteurs est plus imbibé que l’autre (( smiley et, de toutes façons, le fait d’être imbibé d’une culture n’est pas un critère d’objectivité.
            Ensuite, malgré l’appellation, l’URSS (et non la Russie) n’avait pas une culture soviétique mais stalinienne et dire qu’elle n’a rien à voir avec la nôtre est trop réducteur : le prisme idéologique n’est pas très éclairant : la culture du secret du lobby nucléaire est évidemment aussi d’essence totalitaire.


          • perlseb 17 avril 2011 18:15

            Par ailleurs, je n’aimerais pas être le décideur qui choisit de sacrifier des milliers de vies pour en sauver des millions, quel que soit le régime !

            Dans un système où les décideurs sont de vrais responsables (et pas juste des exploiteurs), un décideur ne peut pas demander aux autres ce qu’il ne peut faire. En clair, s’il prend la décision de sacrifier des personnes, il doit être en première ligne du sacrifice. S’il prend la décision de ne sacrifier personne, on doit l’obliger à vivre dans la zone autorisée la plus proche autour de la centrale.

            Mais de nos jours, les décideurs sont des fils à papa qui n’ont ni couilles ni mérite. Ils n’ont aucune maîtrise personnelle (cupidité) et ne sont pour moi que des dominés, certainement pas des dominants. Il faut être idiot pour être moteur dans un monde qui s’écroule.


          • sto sto 17 avril 2011 15:34

            Je trouve, au contraire, le titre tres adapte.

            D’ailleurs on peut le generaliser au nucleaire civil et militaire en general, pas seulement aux situations de catastrophes.

            C’est un fait aujourdh’ui que le developpement du nucleaire, qu’il soit civil ou vien nucleaire, est decide par la minorite dirigeante contre son peuple. Par definition donc, anti-democratique.
            Et ce, quel que soit le pays et le regime.


          • sto sto 17 avril 2011 15:39

            Ajoutons, par ailleurs, qu’a Tchernobyl, le fait que l’etat prenne le relais et la coordination de la gestion de la catastrophe a clairement pu eviter le pire (une explosion nucleaire, de criticite), en sacrifiant de l’ordre du million de personnes. TEPCO n’a pas ce genre de moyens, et l’intervention de l’etat Japonais reste pour le moment limitee.


          • Nemo8 Kakapo 18 avril 2011 00:39

            Apprenez à repérer les propagandistes et les manipulateurs, dans le nucléaire, en politique, en toutes choses : Ils ont toujours réponses à tout et ils ne doutent jamais.

            Ne vous faites plus avoir !

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON






Les thématiques de l'article


Palmarès