Un tournant dans la démocratie
L'agitation actuelle rebat les cartes de la politique. La démocratie est nue, et ses simulacres dévoilés.
Il est évident que notre système est à bout de souffle, ce qui était latent devient aujourd'hui visible de tous.
Le mouvement des gilets jaunes (désormais célèbre et acronymisé en GJ) est le révélateur d'un malaise ressenti depuis des dizaines d'années.
Une économie du désastre
Le premier facteur sous-jacent à cette crise vient de loin, c'est la transformation économique du système capitaliste via l'apparition des High Tech, qui a relégué au second plan le système de production proprement dit (1).
La conception est devenue le cœur de la création de valeur, et non plus la production. Cela a donné des grandes fortunes dans les GAFAS.
Cela a modifié l'équilibre international, en faisant émerger des pays à faible coût de fabrication, tandis que les pays anciennement développés ont vu leur taux de chômage exploser, se concentrant sur la conception et désindustrialisant au maximum.
Cela a modifié les rapports de force entre capital et travail, les besoins de main d’œuvre n'étant plus fondamental pour le premier, l'état de conservation et de reproduction des travailleurs n'étant plus fondamental, l'État devait se dégager progressivement de ses prérogatives sociales.
En France, la structure industrielle et scientifique était tirée par des grands programmes nationaux, par l'Espace, le Ferroviaire de haut niveau, l'énergie nucléaire, les industries de Défense.
La vague le libéralisation, le désengagement de l'État, la concurrence inter-étatique a progressivement fait disparaître cette base industrielle et de recherche. Un symptôme de cette dégradation est celle de l'attraction déclinante des études scientifiques, jusqu'à la disparition de l'enseignement obligatoire des mathématiques (2).
Quant à la conception des logiciels, si elle est encore active, elle ne peut rivaliser avec les US qui ont une base de diffusion, notamment via la langue, sans commune mesure avec la France.
Le pays est donc désindustrialisé, privatisé, et globalement au chômage. La France est en panne. Et l'UE continue d'exiger la privatisation, désindustrialisation, et restriction budgétaire. Par ailleurs, les seuls qui tirent les marrons du feu, en spéculant sur cette désindustrialisation même, les oligarques, sont considérés comme intouchables fiscalement.
Il est clair que toutes ces contraintes, tous ces renoncements, nous mènent à la ruine.
Une démocratie absente
Au niveau démocratique, on peut dire que tout est terminé.
Au niveau de l'UE, la "constitution", imposant un choix politique et économique de la "concurrence libre et non faussée" c'est-à-dire un libéralisme économique sans entrave, a été rejetée par les Français, ce qui n'a eu aucune conséquence.
C'est-à-dire que les choix politiques majeurs ne sont plus du domaine du peuple, mais de celui d'une élite eurocrate qui laisse simplement le choix de la tête (jeune et jolie si possible) de celui qui va appliquer leur politique.
La confusion des pouvoirs au niveau de l'UE, la non maîtrise du parlement sur la commission via l'inégalité des votes pour et contre (3), l'inégalité de traitement entre États, évidente lorsqu'il s'est agi de la Grèce, la présence constante des lobbies, rend le fonctionnement de l'UE non démocratique.
Au niveau de la France, même le choix de la tête aux ordres de l'UE n'est plus démocratique. C'est un coup d'état judiciaire qui a éliminé Fillon, et après un attentat qui n'a pas remis en cause les dates du scrutin, le Sieur Macron a été élu, avec un taux record d'abstention donnant le pouvoir à une minorité de Français.
La réalité du pouvoir n'est plus un régime démocratique, mais un régime ploutocratique (le pouvoir par les riches), les médias étant là pour nous faire croire l'inverse.
La notion même de populisme est là pour invalider les choix non admis par la ploutocratie, mais lorsque le "populisme" devient populaire, ne pas l'entendre est bien la vraie inversion de la démocratie (qui est à l'origine le pouvoir du peuple qu'ils veulent abolir).
Des médias aux ordres
Pour faire avaler la pilule de la destruction économique et sociale en cours, les médias ont pour ordre de nous distraire, et si cela n'est pas possible de discréditer systématiquement tout ce qui n'a pas le label "conforme à la ploutocratie".
Soit ils sont publics, et c'est Macron au micro, que ce soient les télés ou les radios, soit ils sont privés, et c'est Bouyges, Bolloré, Niel, et autres, qui les détiennent. Ce sont des hyper-riches, oligarques, grands partons financiers, qui sont aux commandes. Ils prônent évidemment leur modèle, le libéralisme économique qui implique la destruction progressive de tout ce qui social. Milton Friedmann, admirateur de Pinochet disait "il n'y a pas de justice sociale".
Avec de tels médias, il est impossible que nous ayons une information libre, indépendante, et impartiale.
Un mécontentement inaudible
Depuis des années, le mécontentement populaire se fait entendre dans la rue, sans être écouté.
Les grandes manifestation cotre la loi El Khomri, puis contre l'abolition du droit du travail et à la retraite, qui ont été massives, importantes, suivies, n'ont eu aucunes conséquences, que ce soit sous Hollande, ou sous Macron.
Nous avons eu quatre présidents qui ont, à l'intérieur, suivi une politique systématique de destruction sociale. Le dernier recul a été celui du CPE sous Chirac - Villepin.
Depuis, rien.
Le mouvement populaire semblait aphone, la France rentrant dans une sorte d'apathie (bonjour Aphatie !) latente dont elle sort subitement active.
Les grèves, les grandes manifestations, qui autrefois avaient un impact, n'en ont plus aujourd'hui ;
D'une part, les syndicats sont affaiblis, d'autre part, comme il a été expliqué, le besoin de main d’œuvre n'est plus le même. Une grève sur une usine de fabrication de 15000 ouvriers autrefois avait un impact. Les grèves d'aujourd’hui, sauf sur les transports et l'énergie, n'en ont plus.
Le cœur du système, la production, a été remplacé par un autre, la "communication-consommation". Nous sommes entrés dans la société du spectacle dont parle Guy Debord (4).
C'est désormais l'atteinte de ce coeur qui est en jeu, et non l'atteinte du système de production, ce que n'ont pas compris les syndicats.
Le succès inattendu des Gilets Jaunes
Face à ces destructions systémiques et systématiques du pays, de la nation, de l'État, tout semblait huilé pour l'effondrement final.
La saine révolte des GJ remet tout à plat.
Ils sont au cœur du nouveau paradigme turbo-capitaliste, le système de la société-spectacle dirigé par l'oligarchie, et révèlent ce qu'il est : une entreprise massive de destruction de la population, via l'inversion du côté redistributeur de l'État, la privatisation, et le suppression des services publics, l'appauvrissement des individus et des familles jusqu'à la misère.
Les politiques aux ordres ne savent que faire, demandent des têtes, interdisent, négocient, emprisonnent, font des concessions futiles, reviennent sur leurs décisions, se taisent, communiquent, s'emberlificotent, dénoncent, bloquent les Champs Élysée, bloquent Versailles, envoient des casseurs pour les discréditer, disent qu'il ne se passe rien, disent que c'est du terrorisme, disent qu’un attentat a eu lieu et que tout doit cesser immédiatement, disent que c’est un mouvement dangereux, disent que ceci, disent que cela.
Face aux répressions quasi-militaires, les GJ ont suivi la bonne stratégie, la fluidité, montrant par la même occasion l'absurdité de nos gouvernants, et le déni de démocratie impliqué par leurs actions absurdes, allant jusqu'à emprisonner les opposants au régime, comme dans une bonne dictature qu'ils feignent de dénoncer lorsqu'elle n'est pas estampillée "conforme oligarchie".
Fluidité du mouvement en lui-même, fluidité des actions, fluidité des déplacements, qui a contrario stoppe celle du système, fluidité des revendications, fluidité de la pensée. Face à cette fluidité, le gouvernement, le système, l’oligarchie, semblent déjà figés dans leur monde d’avant.
Les GJ sont une joie pour la démocratie, redonnent confiance à l'humanité et au peuple Français qui sait se révolter dans l'adversité.
1 Voir L’immatéreil du chaos
2 L’enseignement des mathématiques devient optionnel : voir ici
3 Inégalité des votes à l’UE : pour rejeter une proposition de la commission, il faut la majorité des inscrits, pour l’accepter, il faut la majorité des présents.
4 Guy Debord : la société du spectacle
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