Le karma-sutra ou l’art politique de Nicolas Sarkozy
Le karma-sutra n’a rien d’une cocasserie. C’est au contraire une manière de transcrire et d’interpréter une facette de l’action de Sarkozy et d’interpréter sa rupture.
Le langage sanscrit en usage dans l’Inde védique utilisait une racine sémantique, kri, signifiant acte, action. De cette racine est dérivé le mot karma qui dans les doctrines orientales désigne un enchaînement de causes et d’effets dans l’existence temporelle. Le karma d’un individu désigne une intégrale de toutes ses actions et des conséquences qui en résultent, dans son être propre, mais aussi dans sa puissance à interagir avec le monde. Certaines religions évoquent même un karma lié à des existences antérieures, dans le contexte de la réincarnation. L’usage qu’en fait le bouddhisme paraît d’une utilité heuristique. Le karma est produit par diverses actions effectuées par le corps, la parole ou l’esprit. Il intervient dans un bilan moral en se créditant en positif ou en négatif. Par exemple, un don désintéressé compte pour du positif. Des paroles négatives ou positives créent du karma, idem pour les pensées. Cette prise en compte du karma s’est retrouvée à la foi dans les religions orientales, mais aussi les gnoses ésotériques occidentales, Rose-croix par exemple et, bien évidemment, cette notion a transité vers la Grèce présocratique dont on connaît quelques connivences avec le monde védique. Le karma, on le retrouve clairement explicité dans cette fameuse parole d’Anaximandre, désignée comme la plus ancienne parole de la pensée occidentale par Heidegger qui s’employa à la commenter en de longues méditations (in : Chemins qui ne mènent nulle part, Gallimard) tout en livrant la traduction qu’en fit Nietzsche, que je reproduis ici en y ajoutant la traduction française publiée dans le livre sur les écoles présocratiques dirigé par Jean-Paul Dumont (folio) :
« D’où les choses ont leur naissance, vers là aussi elles doivent sombrer en perdition, selon la nécessité, car elles doivent expier et être jugées pour leur injustice selon l’ordre du temps. »
« L’illimité est le principe des choses qui sont (...) Ce dont la génération procède pour les choses qui sont, est aussi ce vers quoi elles retournent sous l’effet de la corruption, selon la nécessité, car elles se rendent mutuellement justice et réparent leur injustice selon l’ordre du temps. »
Le propos d’Anaximandre fait allusion à une nécessité dans l’ordre des choses procédant puis retournant les unes vers les autres et donc dans une certaine manière, le karma signe un ordre temporel qui au bout d’un temps résolutif, celui de la « corruption », met un terme à une situation qu’on peut entendre comme des nœuds karmiques, ceux-ci se dénouant selon les termes d’une justice immanente. Les ésotéristes parlent d’épurer un karma, autrement dit, dénouer les nœuds créés par l’agir dans l’existence, et en quelque sorte, se libérer si on admet que l’action nous enchaîne à nous-même, mais aussi aux autres. A noter, mais sans développer ce point, la conception cyclique du temps typiquement hellène, alors que le temps des Testaments est linéaire et que cette question de la rupture d’éventuels liens karmiques y figure, mais avec un Dieu personnel transcendant (le Christ qui dénoue l’humanité du péché-karma originel).
L’ART DU KARMA-SUTRA OU LA POLITIQUE DU DENOUEMENT
Clausewitz avait dit que la guerre est la poursuite de la politique par d’autres moyens. Foucault avait suggéré l’inverse. Quoi qu’il en soit, la politique nécessite pour ceux qui la pratiquent au plus au niveau des compétences qu’on retrouve chez les chefs d’armée. Et l’Histoire récente montre que nombre de militaires de haut rang ont dirigé des nations, souvent dans les dictatures et régimes autoritaires, Franco, Pinochet, Kadhafi, Musharraf et, aussi dans nos démocraties, Eisenhower, de Gaulle. Mais la tendance est à la pacification des sociétés post-modernes, notamment en Europe. Aussi, d’autres horizons se présentent aux chefs politiques et notamment celui de pratiquer le dénouement des situations. D’où l’idée d’esquisser l’art du karma-sutra comme mode opératoire dont Sarkozy s’est faite le maître. Si le kamasutra est l’art de pratiquer l’amour en différentes positions, le karma-sutra est l’art de trouver des postures pour dénouer des situations. Cela vaut en matière de politique, de négociations, comme à l’échelle personnelle où Dieu sait si nous construisons avec le temps et les actions des nœuds se transformant en chaînes destinées à être brisées ou, mieux encore, dénouées. C’est une manière de progresser, dans son existence, mais aussi pour une nation d’avancer. Cela dit, si une guerre est un moyen en vue de fins politiques, l’art de dénouer les nœuds karmiques est lui aussi un moyen au services de fins dont il faut s’enquérir.
La guerre vise à vaincre un adversaire. Le karma-sutra permet de dénouer des situations sans pour autant qu’il y ait un gagnant ou un perdant. On aura reconnu là quelques principes énoncés par notre président et, du reste, souvent mis en pratique. L’art du karma-sutra nécessite quelques qualités. Quelles sont-elles ? Rien ne vaut la consultation d’un livre édifiant en la matière, Le Miroir des princes, de Luc Jacob-Duvernet (Le seuil, 1994). Dans le chapitre 5 sont explicitées les cinq aptitudes du stratège politique. Voici ce qu’en dit l’auteur en les explicitant.
La parole, tout d’abord. Un discours ironique s’avère déstabilisant et perturbe la logique des adversaires en les plongeant dans une sorte de torpeur. Le stratège possède l’usage des mots, sans pour autant succomber à leur charme. La simplicité facilite l’aisance de la formulation et de la compréhension et de ne plus être confronté à ce que D. Jamet appelle des textes et des gens incompréhensibles (allusion à M. Rocard ?). Qui à travers cette description n’a pas reconnu le style de Sarkozy, qui en joua pour gagner la présidentielle et continue à en user, mais dans un autre objectif, pour tenter de dénouer des situations ? Pour ce faire, il ne doit pas miser sur la torpeur et créer de l’embarras, mais jouer sur la séduction avec des formules simples.
En second lieu, la psychologie, qui conduit à une meilleure perception des autres. Ne pas comprendre les mécanismes irriguant la vie des autres, c’est s’enfermer dans une tour d’ivoire. Là aussi, quelques traits de Sarkozy se dessinent. Certains l’ont décrit comme une personne qui écoute, même s’il ne donne pas suite aux requêtes formulées. C’est le contraire de bien des politiques qui vous reçoivent mécaniquement en ne donnant pas le sentiment de s’investir et d’être à l’écoute.
Troisième qualité, le sacré, le retour sur soi, la contemplation. Jacob-Duvernet cite le jésuite Henri Madelin, puis évoque un ancien président de Rhône-Poulenc affirmant que la course à pied lui offrait la possibilité de se ressourcer, se fortifier, chose apparemment simple, mais qui demande une maturation interne colossale. On connaît l’intérêt de Sarkozy pour le spirituel et le jogging. Mais sur ce point, on trouvera sans doute le maillon faible car avec un agenda d’hyper président, on ne voit pas où peuvent bien se caser les temps pour méditer.
Ensuite viennent les deux dernières qualités, la responsabilité et le courage, dont n’est pas dépourvu Sarkozy qui, dans sa mise en posture d’hyper président, affirme son choix d’être comptable de ce qui se décide pour la France. Comme le souligne Jacob-Duvernet, l’exigence de responsabilité va de pair avec l’unicité du pouvoir, tout en citant Mounier pour avoir décrit le chef responsable comme ayant la vocation d’assumer le risque, mais aussi de prendre de nombreuses parts dont les milliers d’hommes se déchargent autour de lui. Quant au courage, il va de pair avec les convictions. Sarkozy est décrit comme courageux, mais semble par certains côtés en porte-à-faux par sa manière de jouer de quelques actions spectaculaires avec l’idée de séduire, d’attirer. De ce fait, l’homme aux cinq qualités censées constituer le meilleur d’entre les dirigeants ne colle pas entièrement à Sarkozy et c’est sur ce terrain de la séduction et du jeu médiatique qu’on pressent un art du karma-sutra bien affirmé, autrement dit l’art de dénouer des situations, certes fort utile pour faire avancer un pays, mais qui ne comble pas une autre exigence, celle de créer des situations, d’inventer ce qui n’existe pas. De faire venir à l’être le non-être comme dirait Platon évoquant la poiesis. C’est ce qui manque à nos hommes politiques actuellement et certainement au plus haut placé d’entre eux.
Dernier point. L’art du karma-sutra nécessite, comme l’art de la guerre, quelques moyens qu’on choisira parmi ceux analysés dans le célèbre traité de Sun Tse, du reste résumé dans Le Miroir des princes. Où il est question de plans, d’opérations, d’offensives, d’études précises des configurations, du terrain, des forces en présence, des tactiques et pourparlers, de l’utilisation d’espion (on dirait maintenant, carnet d’adresse, réseau). Manque un ingrédient propre à notre civilisation, les médias et la manière de les occuper. Dénouer des situations politiques et sociales impose de montrer le dénouement et son déroulement en s’alliant l’adhésion du public. Et maintenant, place à quelques exemples exposés non sans quelque malice !
QUELQUES FIGURES DU KARMA-SUTRA EXECUTEES PAR SARKOZY
La balançoire
Sans doute l’une des plus fameuses figures exécutées pour trancher un nœud karmique ayant pesée de tout son funeste poids sur la vie politique française. Il s’agit du lien entre une grosse minorité de citoyens et le parti de Jean-Marie Le Pen. Toute la subtilité du maître en karma-sutra qu’est Sarkozy fut de voir que parmi les électeurs du FN, nombre sont sur une balançoire, oscillant entre les idées extrêmes et la droite républicaine. Lorsqu’un individu est sur une balançoire, en le poussant régulièrement, l’amplitude augmente et il finit par s’éjecter du balancier. C’est ce que fit l’ex-ministre de l’Intérieur puis candidat et, hop, quelques mots, immigration choisie, racaille, kärcher et, à la fin, quelques millions de Français dénoués de ce lien avec le FN tombant dans l’escarcelle du candidat de l’UMP
Le grand écart
Parmi les cadres du PS, certains ont accumulé au cours du temps un lourd karma de rancœur, frustration, le tout renforcé par la campagne de Ségolène Royal. Observons Eric Besson. Notre homme donne des signes de malaise ; d’aucuns diraient constipé en parlant le langage courant. Besson est-il à gauche ? Ou bien est-il en attente d’exercer des responsabilités ? Tout ceci crée des nœuds que Sarkozy a su défaire en accueillant notre homme et quelques autres enchaînés d’un lourd karma de compagnonnage avec un PS en manque de vision et de stratégies. Ainsi, le grand écart, magnifique figure exécutée par Besson, mais aussi Bernard Kouchner. Mais ne rêvons pas, une situation karmique ne peut se trancher qu’en certaines configurations, un peu comme en astrologie, un trigone mars saturne crée une situation favorable. L’opération aurait été impossible avec Henri Emmanuelli. Comme quoi, le côté positif des nœuds karmiques transparaît sous forme de fidélité et d’engagement. Et ce n’est pas du détail !
Le trépied chancelant
Cette figure a été exécutée pendant la mobilisation étudiante. La base des négociations devait prendre en compte trois parties formant un trépied composé du gouvernement, de l’Unef et de la coordination étudiante. Le dénouement a consisté à déséquilibrer l’ensemble en attirant l’adhésion de l’Unef. Ainsi, le nœud karmique liant l’université à l’Etat fut tranché de belle manière en instituant une dose d’autonomie. Avec, à l’appui, quelques moyens supplémentaires obtenus en déshabillant l’EDF pour habiller Paul.
La mystérieuse entrevue
On peut s’imaginer à prendre une autre identité, jouer à devenir autre. Telle fut la figure exécutée par Cécilia Sarkozy dont on ne sait toujours pas quelle identité elle incarna, ni d’ailleurs le contenu de la mystérieuse entrevue avec Kadhafi, qui permit à la première lady de ramener les infirmières bulgare et de dénouer une situation vieille de plusieurs années. D’aucuns désignent cette figure comme la brouette bulgare, mais quoi qu’il en soit, Sarkozy a su étudier en pur stratège éclairé par Sun Tse l’état de la situation et jouer sur le moment propice pour réaliser cette figure de dénouement karmique.
Le rêveur ardent
Cette figure, seulement entamée, n’a pas encore été réussie. Le rêveur ardent consiste à la jouer Luther King et lancer sur les ondes colombiennes un rêve d’une otage libérée par ses ravisseurs ayant retrouvé quelques sens humaniste. Cette figure est plus difficile à exécuter que la mystérieuse entrevue, mais espérons pour l’intéressée que le rêve deviendra réalité, ce qui fera de notre président un héros du karma-sutra.
Les vignes enlacées
Cette figure concerne plus spécialement le karma personnel accumulé par Sarkozy à l’occasion d’un passé l’ayant conduit à fréquenter Alain Juppé. Il était temps de se débarrasser de l’encombrant super ministre trop durable du développement soutenable en lui jouant le coup des vignes enlacées, autrement dit prendre dans les mailles du filet bordelais tissé dans un entrelacs de vignes électorales le candidat Juppé, afin que son destin soit lié à la ville qu’il a tant aimé gouverner, ce qui fut fait par des citadins désireux de conserver leur maire, envoyant de ce fait à l’Assemblée une pasionaria socialiste.
Le charmeur de serpent
Figure dans laquelle excelle notre président, réalisée pour dénouer le différent avec l’Allemagne, notamment depuis que les Français ont voté non au référendum et que, de plus, la création d’une direction bicéphale pour EADS a plombé les relations entre nos deux pays par la faute d’irresponsables qui ont passé outre les règles de la gestion vertueuse tout en sacrifiant aux logiques des caprices du management. Bref, du lourd, du gros dégât karmique. Rien de tel que la posture du charmeur de serpent réalisée auprès d’Angela Merkel et qui sert d’illustration à ce billet.
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En conclusion, la rupture prend un éclairage nouveau avec cette notion cocasse de karma-sutra qui signifie comment la rupture se conçoit comme un ensemble de dénouement de situation, et ce, dans de multiples champs dont nombre n’ont pas été évoqués, mais qui relèvent à la fois de situation sociales ou bien de nœuds produits tels des rides du temps par des mots, paroles et discours idéologiques. Evoquer la droite décomplexée, n’est-ce pas traduire en terme de dénouement karmique le processus de déliaisons avec un système obsolète de valeurs et d’idées. La France de la rupture s’inscrit dans cette logique et c’est aussi une manière d’éclairer le sens de la rupture dans l’acception qu’on peut entendre en écoutant et visionnant notre président. Mais attention, je n’ai pas dit que tout est bien et d’ailleurs, on a beau dénouer des liens que, sitôt, les rides du temps de l’action viennent en produire de nouveaux.
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