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Accueil du site > Tribune Libre > Portugal : 50 ans après la « révolution des œillets »

Portugal : 50 ans après la « révolution des œillets »

Pour fêter le 50ème anniversaire de la "Révolution des œillets", la section portugaise de l'UIT-QI, reprend les slogans et les revendications d'avril 1974, luttant contre les gouvernements patronaux d'aujourd'hui, pour une nouvelle révolution qui doit être socialiste et pour la construction d'une alternative politique révolutionnaire.

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Le 25 avril 1974 débute au Portugal une grande révolution connue sous le nom de « Révolution des œillets ».

L'étincelle qui a allumé le feu est venue d’une crise dans les rangs des forces armées. Certains secteurs des officiers et des troupes portugaises contestaient les actions militaires en Afrique. La résistance des peuples opprimés avait conduit à une guerre coloniale qui durait depuis plus de dix ans au Mozambique, en Guinée-Bissau, en Angola et au Cap-Vert, à São Tomé-et-Príncipe.

Ce fut donc, au départ, davantage une révolution de palais qu’une révolution populaire. Un groupe de militaires opposés au régime par rejet des guerres coloniales en Afrique a mené un coup d’Etat. Le soutien populaire massif a été immédiat. Le pays était gouverné par une dictature fasciste depuis 48 ans. Ce régime était issu du coup d'État militaire du 28 mai 1928, dirigé depuis 1932 par Antonio de Oliveira Salazar, resté au pouvoir jusqu'en 1968, date à laquelle il avait été remplacé par Marcelo Caetano.

Le 25 avril 1974 fut un évènement essentiel de l'histoire européenne. De profondes divergences sont apparues sur le renouveau qu’il fallait mettre en place au Portugal mais la puissante mobilisation populaire imposait de profonds changements. Les masses populaires sont entrées en scène en saluant la chute de la dictature.

Le même jour, les travailleurs et la jeunesse affluent dans les casernes pour saluer les militaires rebelles et leur remettre des œillets, ignorant les consignes du gouvernement qui ordonnait de “rester à la maison”.

Une révolution ouvrière et socialiste commence

Dès lors, un processus révolutionnaire de mobilisation et d'organisation est lancé contre toutes les anciennes institutions répressives et contre la bourgeoisie portugaise. La « révolution des œillets » s'est alors transformée en une révolution anticapitaliste, ouvrière et socialiste.

Les comités d'usine se multiplient et, dans les rangs des forces armées, des comités voient le jour. Les mouvements révolutionnaires anti-coloniaux en Afrique prennent de l’ampleur et ils sont maintenant partie intégrante de la révolution au Portugal. La plupart des colonies portugaises en Afrique finiront par obtenir leur indépendance.

Le 1ᵉʳ mai à Lisbonne, une grande mobilisation d'environ un million de personnes crie « mort au fascisme » et « mort au PIDES », la police politique du régime. Le MFA (Mouvement des Forces Armées) et les partis ouvriers réformistes, le Parti communiste portugais (PCP) et le Parti socialiste (PS), ont rejoint un gouvernement bourgeois d'"unité nationale" dirigé par le général António de Spínola, avec la participation des partis de la droite démocratique. Au sein du MFA, les Spinolistes coexistent avec des secteurs plus radicalisés des jeunes officiers. Le MFA représente la petite bourgeoisie radicalisée et a un programme démocratique qui ne rompt pas avec le capitalisme.

Pendant ce temps, dans les casernes, les soldats et les sous-officiers se rebellent contre leurs supérieurs. La classe ouvrière revendique ses droits par des grèves et des prises de contrôle d'entreprises. La révolution est en marche.

Les masses mettent en échec le coup d'État contre-révolutionnaire

En septembre 1974, Spinola tombe face à la résistance des masses et est remplacé par un autre général, Costa Gomes, qui tente d'apaiser les secteurs les plus radicalisés du MFA.

Le 11 mars 1975, Spinola tente un coup d'État contre-révolutionnaire, qui échoue en raison de la mobilisation ouvrière et populaire. La défaite du coup d'État ouvre une nouvelle étape de la révolution. Le processus se radicalise avec, par exemple, l'expropriation et la nationalisation des banques et d'une partie des grandes entreprises.

Des centaines de bourgeois ont fui le pays. Les occupations d'usines et de terres se sont multipliées et la crise de l'armée s'est aggravée. Les comités d'entreprise, les comités de locataires et les comités de soldats se multiplient. Cela montre clairement le caractère ouvrier et socialiste de la révolution. Mais, le mouvement n’aura jamais une direction révolutionnaire. Les trotskystes, dont les partisans de Nahuel Moreno, sont actifs dans le processus, mais ils restent minoritaires.

Double pouvoir et absence de direction révolutionnaire

Un gouvernement direct MFA-PCP-PS a été ratifié comme un gouvernement de conciliation de classe au double langage. Le MFA, par exemple, a proclamé le début de « la première étape vers le socialisme ».

Tout au long de cette étape d'unité du bloc petit-bourgeois MFA-PCP-PS, le programme et l'idéologie communs étaient de nature bourgeoise amenant des réformes démocratiques mais sans remettre en question le régime capitaliste. L'objectif de ce bloc était de parvenir à un système parlementaire, en commençant par l'Assemblée constituante, qui canaliserait la poussée révolutionnaire vers l'impasse de la démocratie bourgeoise. Cela était clairement analysé par Nahuel Moreno dans son texte de 1975  : « Révolution et contre-révolution au Portugal ».

Dans ce texte, Moreno faisait une analogie avec la Révolution russe de 1917 et soulignait le danger de l'absence d'un parti révolutionnaire de type bolchevique pour conduire les masses au socialisme dans la révolution portugaise. Moreno et les trotskystes de son courant mettaient en avant le développement de la mobilisation et du double pouvoir sous le slogan « Pour un Congrès national des commissions de travailleurs et de soldats pour renverser le gouvernement du MFA et prendre le pouvoir ».

La fin de la dictature et la conquête de larges libertés démocratiques ont été des acquis énormes, toujours appréciés 50 ans plus tard. Mais, le rôle des directions réformistes du PCP, dirigé par son leader historique Alvaro Cunhal, qui a fait partie des gouvernements comme ministre sans portefeuille jusqu'en 1976, ainsi que du MFA et du parti socialiste de Mário Soares, a empêché les progrès vers le socialisme, lorsque les conditions étaient réunies.

La soumission à la Communauté économique européenne (CEE), puis à l'Union européenne, a été imposée. Les acquis de la révolution, tels que la nationalisation des banques, le contrôle ouvrier sur de nombreuses entreprises et les organes de double pouvoir, ont été progressivement supprimés.

50 ans après la « révolution des œillets », le Movimiento Alternativa Socialista (MAS), la section portugaise de l'UIT-QI, reprend les slogans et les revendications d'avril 1974, luttant contre les gouvernements patronaux d'aujourd'hui, pour une nouvelle révolution qui doit être socialiste et pour la construction d'une alternative politique révolutionnaire qui la mènera à la victoire.

22 avril 2024

Federico Novo Foti

Izquierda Socialista d’Argentine

 


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3 réactions à cet article    


  • Brutus Brutus 26 avril 08:28

    Les « révolutions » colorées ou fleuries n’ont été que des changements au sommet de l’état pour remplacer des régimes illibéraux, coloniaux ou impérialistes (même l’URSS était un empire dont la Russie actuelle est le vestige) par des gouvernements pro-occidentaux, sous l’impulsion décisive de l’impérialisme étatsunien, plus puissant que les autres, sous couvert d’une idéologie auto-baptisée « démocratique ». On voit avec la guerre en Ukraine que cette stratégie est toujours en cours d’exécution.

    La « révolution » des Œillets a précédé celles qui ont émaillé l’Europe de l’Est tout au long de la dislocation de l’URSS et présente une caractéristique qui leur est commune : le fait qu’elles se cantonnent à des « démissions » ou des « fuites » de dirigeants face à des manifestations, sans révolution sociale. C’est le reflet d’une idéologie dominante (et triomphante actuellement), selon laquelle "le peuple« doit se contenter d’exprimer son amour de la pseudo »démocratie", et de façon non-violente s’il vous plaît. Pas question de toucher au système économique lui-même ou d’arrêter les banquiers, au contraire : pour l’URSS (qui était un capitalisme d’état dans lequel les bureaucrates se sont métamorphosés en oligarques), on en a remis une couche.

    Le recours systématique (voire compulsionnel) aux de noms de fleurs ou de couleurs est une façon d’édulcorer la « révolution » et confisquer les forces vives de la population pour cantonner leur mobilisation à des revendications « démocratiques » inoculées et récupérées par des partis « sociaux-démocrates ». Une instrumentalisation.



    • Jean Dugenêt Jean Dugenêt 26 avril 11:36

      @Brutus
      Bonjour,

      Merci de votre participation à cet article suffisamment anodin pour avoir passé la barre de la censure sur AgoraVox. Tous mes articles qui critiquent Poutine ou l’extrême-droite sont en effet censurés.

      Il en demeure néanmoins un problème de fond, qui n’a rien d’anodin, et que vous avez pertinemment soulevé : celui de la « domination mondiale des USA ». Il est certain que les USA forment la plus grande puissance économique et militaire mondiale et que cette force cherche à imposer sa politique partout dans le monde. Cependant, elle ne fait pas ce qu’elle veut. Cette puissance ne voulait pas des révolutions à Cuba ou en Iran, par exemple. Elle voulait restauré la capitalisme partout où le capital avait été exproprié mais elle n’a réussi à le faire dans l’ancienne URSS qu’avec la complicité de Gorbatchev puis Eltsine et Poutine.
      Alors votre affirmation sur les « révolutions » colorées ou fleuries est certainement à revoir.

      Vous dîtes :
      "Les « révolutions » colorées ou fleuries n’ont été que des changements au sommet de l’état pour remplacer des régimes illibéraux, coloniaux ou impérialistes (...) par des gouvernements pro-occidentaux, sous l’impulsion décisive de l’impérialisme étatsunien, plus puissant que les autres« .

      Le critère décisif serait donc qu’il a été question de couleurs ou de fleurs car, dans les autres cas, comme Cuba ou l’Iran les révolutions ne se sont pas faites  »sous l’impulsion décisive de l’impérialisme étatsunien, plus puissant que les autres« .

      Dans un cas, les masses populaires qui viennent sur le devant de la scène seraient entièrement manipulées mais pas dans l’autre cas.

      Ce que vous dîtes par ailleurs sur l’idéologie dominante est absolument exact :
       »C’est le reflet d’une idéologie dominante (et triomphante actuellement), selon laquelle "le peuple« doit se contenter d’exprimer son amour de la pseudo »démocratie", et de façon non-violente s’il vous plaît. Pas question de toucher au système économique lui-même ou d’arrêter les banquiers...« 

      Cela est vrai depuis la naissance du capitalisme. Cette idéologie n’est pas plus triomphante actuellement qu’auparavant et le fait que de multiples révolutions soient plus ou moins avortées ou confisquées ne change rien à la réalité des mobilisations populaires.

      Tout le temps qu’il n’y aura pas de force politique révolutionnaire pour s’opposer aux forces foncièrement réactionnaires qui dominent tous ces mouvements aucune révolution socialiste ne pourra perdurer. En d’autres termes : le capitalisme avec son idéologie dominante et la prédominance de la politique des USA restera en place.

      Il est indéniable que le peuple Portugais aspirait à davantage de liberté autant que les peuples de l’ancienne URSS. Les »couleurs« n’ont rien à voir avec cela. Les dirigeants américains actuellement craignent que les peuples de Biélorussie, de Géorgie, du Kazakhstan, de Tchétchénie, d’Ukraine et d’ailleurs, qui ont déjà manifesté leur volonté d’en finir avec le colonialisme russe entrent ensemble sur la scène de l’histoire (avec ou sans couleur). C’est pourquoi, actuellement, pour eux la chute de Poutine serait une perspective plus épouvantable que la défaite de l’Ukraine. Si l’Ukraine gagnait actuellement la guerre, les répercussions dans la Russie et tous les pays satellites (ou colonisés) seraient trop importantes et, malgré leur prétendue capacité à manipuler tous les peuples, cela effraie les dirigeants américains. J’ai longuement expliqué cela dans mes articles censurés sur AgoraVox. Voir notamment : »Où en sont les relations entre Poutine et les dirigeants américains ? "


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Jean Dugenêt

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