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Accueil du site > Tribune Libre > Le Zeppelin Hindenburg : gloire des cieux, bûcher de l’histoire (...)

Le Zeppelin Hindenburg : gloire des cieux, bûcher de l’histoire aéronautique

Le 6 mai 1937, le ciel de Lakehurst, New Jersey, s’embrase. Le Hindenburg, géant des airs, symbole de l’ingéniosité humaine, s’effondre dans un tourbillon de flammes, hurlant son agonie sous les yeux horrifiés des spectateurs. "Oh, l’humanité !" s’écrie le reporter Herbert Morrison, sa voix brisée captée par les micros d’une radio naissante. En moins d’une minute, le rêve d’un voyage transatlantique luxueux s’effondre, emportant 36 vies et marquant la fin d’une ère. Ce dirigeable, fleuron de l’Allemagne des années 1930, incarne à la fois l’ambition technologique et les tensions d’un monde au bord du gouffre. Que s’est-il passé pour qu’un tel prodige devienne une tragédie ?

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Le géant des airs : une merveille technologique

Le Hindenburg, ou LZ 129, n’était pas un simple moyen de transport : c’était une cathédrale flottante, un défi lancé à la gravité. Construit par la Luftschiffbau Zeppelin à Friedrichshafen, il mesurait 245 mètres de long, presque la taille du Titanic, et s’élevait grâce à 200 000 m³ d’hydrogène répartis dans 16 cellules de gaz. Propulsé par quatre moteurs diesel Daimler-Benz, il filait à 135 km/h, reliant l’Allemagne aux États-Unis en deux à trois jours. En 1936, il effectue 17 traversées transatlantiques, transportant près de 1 000 passagers et des tonnes de courrier, symbolisant le prestige d’une Allemagne en quête de grandeur.

 

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À bord, le luxe régnait. Les passagers, souvent des notables ou des célébrités, déambulaient dans une salle à manger ornée de fresques, sirotaient du champagne dans un salon feutré, et contemplaient l’Atlantique par des fenêtres inclinées. Une lettre d’un passager de 1936, Charles Dollfuss, décrit l’expérience : "Le silence est presque surnaturel, seulement troublé par le ronron des moteurs. On flotte, comme dans un rêve, au-dessus d’un océan d’étoiles". Les cabines, bien que modestes (2 m x 1,5 m), offraient des lits superposés, des lavabos modernes et une intimité rare pour l’époque. Un fumoir, ironiquement isolé pour éviter tout contact avec l’hydrogène, témoignait de l’audace des concepteurs.

 

The Hindenburg’s Interior: Vintage Photos Reveal What Luxury Air Travel Was Like in the 1930s

 

Mais ce luxe flottait sur un paradoxe. L’hydrogène, hautement inflammable, était utilisé faute d’hélium, monopolisé par les États-Unis et interdit à l’exportation pour des raisons stratégiques. Les ingénieurs allemands, conscients du risque, avaient multiplié les précautions, mais le spectre du feu planait toujours. Le Hindenburg, avec ses croix gammées fièrement peintes sur ses ailerons, était aussi un outil de propagande nazie, survolant les Jeux olympiques de Berlin en 1936 pour glorifier le régime. Cette ombre politique, souvent oubliée, ajoutait une tension sourde à ses voyages.

 

Great CGI Image of Hindenburg at 1936 Olympics | Airships.net

 

Une traversée transatlantique : vie à bord et rêves d’évasion

Monter à bord du Hindenburg, c’était s’offrir un billet pour l’avenir. Les passagers, payant jusqu’à 400 dollars (environ 9 000 dollars actuels) pour un aller simple, étaient des industriels, des artistes ou des aventuriers. En mai 1937, pour son premier vol de l’année vers New York, le dirigeable transportait 36 passagers et 61 membres d’équipage. Parmi eux, des figures comme Werner Franz, un mousse de 14 ans chargé des petites tâches, ou Margaret Mather, une Américaine fascinée par cette "merveille volante". Les archives révèlent des détails humains : un steward, Wilhelm Balla, notait dans son journal la camaraderie des équipiers, mais aussi leur fatigue face aux longues traversées : "Trois jours sans sommeil, à surveiller chaque valve, chaque bruit. Mais quel spectacle que l’Atlantique au crépuscule !".

La vie à bord mêlait raffinement et tension. Les repas, servis sur de la porcelaine fine, incluaient du caviar, des viandes rôties et des desserts élaborés, tandis qu’un piano en aluminium léger (pesant seulement 180 kg) animait les soirées. Pourtant, des règles strictes rappelaient la précarité de l’entreprise : les allumettes étaient confisquées, et le fumoir, avec son unique briquet fixé au mur, était surveillé comme une forteresse. Une anecdote, rapportée dans un rapport d’équipage, raconte qu’un passager, tenté de fumer en cachette, fut réprimandé avec une sévérité presque militaire.

Le Hindenburg incarnait aussi une évasion psychologique. À une époque marquée par la Grande Dépression et les tensions pré-guerrières, il offrait une parenthèse, un voyage suspendu entre deux mondes. Les passagers écrivaient des cartes postales, postées depuis le dirigeable, comme celle d’un voyageur anonyme en 1936 : "Je flotte au-dessus du monde, loin de ses querelles. Si seulement cela pouvait durer". Ce rêve, fragile comme l’hydrogène qui le portait, allait bientôt s’effondrer.

 

Le 6 mai 1937 : une catastrophe en direct

Le 6 mai 1937, le Hindenburg approche de Lakehurst, près de New York, après un vol de 77 heures depuis Friedrichshafen. Le temps est instable, avec des vents forts et des orages récents. À 19 h 25, alors que le dirigeable tente de s’amarrer à son mât, une lueur apparaît près de la queue. En 34 secondes, le géant est consumé par les flammes. "C’est un incendie ! Ça brûle, oh mon Dieu !" hurle Herbert Morrison dans son micro, sa voix devenant l’écho de la tragédie pour des millions d’auditeurs. Sur les 97 personnes à bord, 35 périssent, ainsi qu’un membre du personnel au sol. Les images, filmées par des caméras d’actualités, figent l’horreur : un squelette d’aluminium s’effondrant dans un brasier rougeoyant.

 

 

Les survivants racontent un chaos indescriptible. Werner Franz, le jeune mousse, échappe aux flammes en sautant par une écoutille, trempé par un réservoir d’eau percé : "J’ai couru, l’air brûlait mes poumons, mais j’ai vécu". Margaret Mather, brûlée mais vivante, décrira plus tard "une chaleur comme un souffle de dragon". Les récits divergent sur l’origine de l’incendie. Les enquêteurs américains et allemands, dans leurs rapports officiels, privilégient un accident : une fuite d’hydrogène, peut-être causée par une déchirure dans une cellule de gaz, aurait été enflammée par une étincelle électrostatique. La toile extérieure, enduite d’un revêtement à base de cellulose hautement inflammable, aurait accéléré le désastre.

 

Il ne reste pas grand chose du puissant moteur Daimler-Benz du Hindenburg, alors que la structure brûle encore.

 

Pourtant, des détails troublants émergent des archives. Un mécanicien, Erich Spehl, mort dans l’incendie, est suspecté de sabotage par certains témoins, sans preuve formelle. Une lettre anonyme envoyée à l’ambassade américaine en 1937 évoque un "complot" anti-nazi, mais reste non corroborée. Les conditions météorologiques, avec un front orageux, et une manœuvre d’amarrage brusque ont probablement exacerbé une situation déjà précaire. Selon une légende populaire, un passager aurait allumé une cigarette, mais les rapports d’équipage démentent cette hypothèse. La vérité, enfouie dans les cendres, reste incertaine.

 

La fin de l'ère des dirigeables

La catastrophe du Hindenburg marque un tournant. Les dirigeables, déjà concurrencés par les avions, perdent la confiance du public. Les images du brasier, diffusées dans les cinémas et les journaux, hantent les esprits. "Plus jamais ça", titre un éditorial du New York Times le 7 mai 1937, capturant l’effroi collectif. L’Allemagne, sous le choc, met fin aux vols commerciaux de Zeppelins et le Graf Zeppelin II, prêt à prendre la relève, est relégué à des missions militaires avant d’être démantelé. L’hydrogène, jugé trop dangereux, cède la place à l’hélium dans les rares dirigeables ultérieurs, mais l’âge d’or des géants des airs est terminé.

 

The New York Times Archives on X: "The Hindenburg Disaster took place on  this day in 1937. http://t.co/Cdo1lkcfXn http://t.co/QHYIWEgvuJ" / X

 

L’enquête officielle, bien que rigoureuse, laisse des questions sans réponse. Pourquoi la fuite d’hydrogène n’a-t-elle pas été détectée ? Le revêtement de la toile, testé après coup, était-il une bombe à retardement ? Les archives montrent que les ingénieurs Zeppelin connaissaient les risques, mais la pression politique et économique les a poussés à continuer. Une note interne de la Luftschiffbau, datée de 1936, avertissait : "Un seul incident pourrait ruiner notre réputation". Cette prophétie s’est réalisée à Lakehurst.

Aujourd’hui, le Hindenburg reste un symbole ambigu : un rêve d’innovation brisé par l’orgueil humain. Les survivants, comme Werner Franz, ont porté leur histoire jusqu’à leur mort, tandis que les débris du dirigeable, conservés dans des musées, rappellent la fragilité des ambitions humaines. Dans un monde où les avions dominent, le Hindenburg évoque une nostalgie étrange, celle d’un temps où l’on voyageait lentement, suspendu entre ciel et mer, dans un palais flottant voué à disparaître.

 

Airship Hindenburg Disaster Historic Landmark, (former) Na… | Flickr


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17 réactions à cet article    


  • ETTORE ETTORE 3 juin 15:32

    Euh .....C’est pas pour dire...

    Mais pour être allé plusieurs fois, faire un tour en ZEPPELIN sur les bords du lac de Constance...

    Je peux vous dire que Berlin se trouve quand même à plus ou moins 750 kilomètres de Friedrichshaffen....

    Alors «  juste à côté  ».....Même si la terre est plate.....


    • @ETTORE

      Merci pour votre vigilance. Je me suis laissé emporté dans mon élan, sans vérifier que cette ville n’était pas près de Berlin, comme vous l’avez souligné. Elle est à plus de 750 kilomètres de la capitale allemande. 


    • jacques 6 juin 17:41

      @Giuseppe di Bella di Santa Sofia
      « Je me suis laissé emporté dans mon élan »
      emporté=emporter mr l’ambassadeur smiley


    • ETTORE ETTORE 3 juin 16:31

      Encore aujourd’hui, vous pouvez toujours faire une magnifique balade, en

      « Zeppelin »au dessus du lac de Constance ( une merveille, avec ses camaïeux de couleurs ), en partant de Friedrischshafen ;;

      Bon, c’est vrai, il est sponsorisé, grande taille, ce qui enlève un peu le charme d’un véritable dirigeable à l’ancienne, mais une fois dedans....Une sensation de légèreté, entre montgolfière et avion tout confort.

      Cet industrie de la Montgolfière, avait été ressuscité pour le transport de chalets en bois, tout montés....


      • @ETTORE

        J’ai toujours voulu faire une balade en dirigeable. Ca doit être un moment merveilleux. Je ne connais pas le lac de Constance mais je sais que c’est un endroit magnifique. J’ai pris l’avion des dizaines de fois et j’en ai toujours une peur bleue. Je suis obligé de me gaver d’anxiolytiques. La dernière fois, j’ai pris un somnifère et je me suis endormi avant que l’avion décolle de l’aéroport de Tunis. Je me suis réveillé à l’aéroport de Bruxelles, ma destination.

        L’avion est un moyen de transport trop bruyant et qui secoue beaucoup, je trouve. Je suis persuadé qu’un voyage en dirigeable est très agréable. Il doit y avoir une sensation de légèreté et de douceur. Au moins, on prend le temps de vivre. Un peu comme lorsque je prenais le train de nuit pour me rendre à Rome. Cabine individuelle, wagon-restaurant et, au levée du Soleil, une vue magnifique sur la côte italienne en prenant le petit-déjeuner. Le bonheur !


      • juluch juluch 3 juin 21:25

        LA catastrophe de l ’époque !

        En vérité se sont les seuls souvenirs qui sont restés des dirigeables.....un incendie !


        • ETTORE ETTORE 3 juin 22:47

          @juluch
          Eh bien non !
          Et l’excellent groupe Led Zeppelin avec son tube Stairway To Heaven ?


        • Bonsoir @juluch et merci pour votre commentaire.

          Ce fut la première catastrophe aérienne filmée puis diffusée dans les cinémas du monde entier mais également commentée en direct à la radio. C’est pour cette raison que l’accident du Hindenburg a eu un écho mondial retentissant ; 


        • juluch juluch 4 juin 11:45

          @ETTORE

          effectivement !!!


        • juluch juluch 4 juin 15:20

          @juluch

          le premier album reprends l’image....1969 si je m’abuse...


        • titi titi 3 juin 23:30

          @L’auteur

          L’accident du Hidenburg a eu la particularité d’être filmé, et donc d’avoir eu un fort impact.

          Mais dire que c’est lui qui a mis fin à l’ère des dirigeables ce n’est pas tout à fait vrai.

          En fait en 1937, il n’y a plus que les allemands qui y croient encore.
          Tous les autres pays ont jeté l’éponge.

          Les USA ont perdu deux grands dirigeables militaires (USS Macon en 1935 : 76 morts, USS Akron en 1933 : 73 morts) et d’autres plus petits ( USS Shenandoa en 1925 : 14 morts, Roma en  1922 34 : morts )

          Les Britanniques ont perdu le R101 en 1930 : 48 morts ,le R38 en 1921 : 44morts

          La France le Dixmude en 1923 : 50 morts

          Bref c’était déjà plié...


          • Bonsoir @titi,

            Un grand merci pour votre commentaire éclairant et riche en détails historiques. Vous avez tout à fait raison de souligner que l’accident de l’Hindenburg s’inscrit dans une série de catastrophes, comme celles des USS Akron, Macon, R101 ou du Dixmude, qui avaient déjà ébranlé la confiance dans les dirigeables avant 1937.

            Votre remarque sur l’impact médiatique de l’Hindenburg est également pertinente, renforçant l’idée que cet événement a été un point culminant plus qu’une cause unique. Votre contribution apporte une belle nuance à la réflexion, ce qui est rarissime dans les forums sur ce site. 

          • Gégène Gégène 4 juin 07:11

            Pfff . . .

            Et moi qui ai toujours cru que Zeppelin,

            c’était un groupe de rock smiley


            • pasglop 4 juin 20:01

              J’ai lu quelque part (mais où ?) que les compartiments et l’enveloppe contenant l’hydrogène étaient constitués de « coton verni ». Fallait pas avoir peur.

              Par ailleurs, ces ballons étaient initialement conçus pour être éventuellement gonflés à l’hélium, beaucoup moins dangereux que l’hydrogène, mais aussi plus dense donc plus lourd.

              L’Allemagne à l’époque ne disposait pas de stock d’hélium suffisant et les Etats-Unis n’ont pas voulu leur en vendre.


              • Eric F Eric F 5 juin 17:08

                @pasglop
                ’’L’Allemagne à l’époque ne disposait pas de stock d’hélium suffisant et les Etats-Unis n’ont pas voulu leur en vendre’’
                Ce qui montre que les USA se méfiaient de l’Allemagne nazie (je parle des autorités, pas des affairistes), ainsi en 1937, le secrétaire à l’Intérieur Harold Ickes refusa explicitement d’autoriser la vente d’hélium à l’Allemagne pour le Hindenburg, invoquant des préoccupations liées à l’usage potentiel militaire.


              • Eric F Eric F 5 juin 17:33

                rectif : en fait l’opposition de Ickes a concerné une demande allemande consécutive à l’incendie du Hindenburg, pour des dirigeables en construction. De manière plus générale les USA avaient limité leurs livraisons vers l’étranger dans les années 20.(US Helium Act of 1925)


              • pasglop 5 juin 19:28

                @Eric F
                Oui, à l’époque ils avaient déjà tiré quelques leçons de la grande guerre.

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