La suppression du devoir de vigilance ou les lendemains qui déchantent
Le président de la République a annoncé lors du sommet Choose France sa volonté de sonner le glas de la directive du 13 juin 2024 relative au devoir de vigilance des entreprises devant un auditoire acquis à la cause de la simplification administrative. La lutte contre les lourdeurs bureaucratiques est légitime mais il ne faut pas la confondre avec des idées frustes car le devoir de vigilance des entreprises est légitime.
La logique du devoir de vigilance
Les deux tiers des cents premiers gouvernements et entreprises en termes de revenus sont des sociétés multinationales et jamais des entités non gouvernementales n’avaient concentré autant de ressources. Un pouvoir aussi important doit être associé à une responsabilité. Comme le disait le doyen Roubier : « Là où est le pouvoir, là doit être la responsabilité ». A défaut, les grandes entreprises déporteront leurs activités polluantes chez leurs sous-traitants puis elles invoqueront l’autonomie juridique de chaque société lors d’une catastrophe écologique. Le devoir de vigilance est aussi innervé par une logique de bon sens à savoir qu’il est préférable de prévenir que de guérir. La directive vigilance du 13 juin 2024 impose à l’échelle de l’Union européenne une meilleure gestion des risques liés à leurs activités par les entreprises. Cette logique préventive a un coût mais elle peut aussi être la source d’une économie en évitant le paiement de dommages-intérêts et surtout elle est conforme à l’intérêt général.
La culture de l’instant est celle de l’alignement sur les Etats-Unis de D. Trump et par définition elle néglige une vision de long terme. Lors du drame du Rana Plaza, le défaut de vigilance des entreprises occidentales à l’égard de sous-traitants au Bangladesh avait participé à la mort de plus de 1000 personnes. Si la directive est supprimée et qu’un tel évènement dramatique se produit encore demain, les hommes politiques redécouvriront les vertus du devoir de vigilance. On aboutit à un droit qui marche au pas de la dernière actualité. L’idéal de progrès est remplacé par une idéalisation de la nouveauté.
Une suppression incompréhensible
La France a été l’un des fers de lance de l’adoption de la directive vigilance et aujourd’hui le chef de l’Etat souhaite sa suppression. La France a été pionnière sur le sujet avec la loi du 27 mars 2017. La directive européenne permet d’éviter des distorsions de concurrence au détriment des entreprises françaises en prenant aussi en considération la performance sociale et environnementale. Elle est un moyen de réduire le dumping dont souffrent les entreprises vertueuses en matière de RSE. Egalement, l’ancienne majorité du président de la République a voté une réforme de l’article 1833 du code civil afin que le sémaphore des entreprises ne soit pas uniquement la maximisation du profit. Elle s’inscrit dans la lignée du rapport Notat-Sénard qui préconise « une vision et une responsabilité de l’entreprise qui ne soit pas exclusivement orientée par la valeur de court terme pour l’actionnaire, qui ne considère plus le dirigeant comme l’agent des actionnaires et qui propose une autre vision de l’entreprise que celle d’un nœud de contrats ». Le devoir de vigilance est pleinement cohérent avec cette ambition. Pourquoi le remettre en cause aujourd’hui ?
Quel modèle pour l’Union européenne ?
Si l’on suit le raisonnement du Président de la République, l’UE doit s’aligner sur la politique pro business de l’administration Trump. En conséquence, la France devrait aussi abroger sa loi vigilance. Ces régressions aboutissent à mettre la Société au service de l’économie et non pas l’inverse. Le marché choisit les règles qui lui sont applicables en mettant en concurrence les droits. On débouche sur le capitalisme total que dénonçait J. Peyrelevade dans son ouvrage éponyme. Cela revient à permettre aux entreprise de négliger les conséquences sociales et environnementales de leurs activités. C’est aux antipodes des discours de l’UE et de la France ces dernière années en faveur de la RSE et du développement durable. A l’extrême, on pense à l’apophtegme d’O. Wilde selon lequel : « s’il n’y avait pas de lois, il n’y aurait pas de hors la loi ; donc tout le monde serait vertueux ». La caricature n’a pas vocation à devenir une réalité.
La directive vigilance a une démarche volontariste car elle prévoit un alignement vers le haut en s’appliquant aussi à des grandes sociétés non membres de l’UE qui vendent leurs biens ou services sur le marché européen. Elle offre une poussée d’Archimède à la RSE et elle ne résume pas l’UE à un grand marché qui néglige l’humain au mépris de l’ambition initiale de J. Monnet : « Nous ne coalisons pas des Etats, nous unissons des hommes ». L’administration Trump est inquiète à l’égard des conséquences de cette directive pour certaines entreprises américaines. Sa suppression est-elle une génuflexion à l’égard des Etats-Unis ? Dans cette hypothèse, la notion de souveraineté européenne ressemble à une épée en mousse.
Ces observations étant faites, il faut admettre que le contenu de la directive du 13 juin 2024 est parfois lacunaire. En d’autres termes, il faut revoir en partie sa rédaction sans la supprimer afin d’offrir plus de simplicité et de sécurité juridique aux entreprises. La question relève de la légistique (l’art de bien rédiger les lois) et non pas du bougisme.
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