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La Nuit des Longs Couteaux : quand l’homosexualité d’Ernst Röhm signa son arrêt de mort

Dans la moiteur de l’aube du 30 juin 1934, un hurlement déchire la quiétude de la pension Hanselbauer, à Bad Wiessee. Pistolet en main, Adolf Hitler, le Führer tout-puissant, surgit dans la chambre d’Ernst Röhm, son plus fidèle acolyte. "Traître !" vocifère-t-il, les yeux brûlants de fureur. Ce cri marque la fin d’une amitié forgée dans le sang et la bière des brasseries munichoises. Ernst Röhm, chef des SA, héros de guerre, homosexuel revendiqué, s’effondre sous les coups d’un régime qu’il a aidé à bâtir.

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Les racines d’un révolutionnaire : la jeunesse et l’ascension d’Ernst Röhm

Sous les cieux gris de Munich, à la fin du XIXe siècle, Ernst Röhm grandit dans une maison modeste où flotte l’odeur de cire des meubles bourgeois. Né le 28 novembre 1887, fils d’un inspecteur des chemins de fer bavarois, il se distingue tôt par son charisme et sa fougue. Au Königliche Maximilians-Gymnasium, il excelle en latin et en grec, mais déjà, une révolte gronde en lui contre l’ordre établi. Membre des Wandervogel, mouvement de jeunesse exaltant la nature et la camaraderie, il y découvre son homosexualité, qu’il embrasse avec une audace rare. Dans une lettre à un ami en 1906, il confie : "Mon inclination est ma vérité, peu importe ce qu’en pense le monde".

La Première Guerre mondiale transforme le jeune rêveur en guerrier endurci. Lieutenant au 10e régiment d’infanterie bavarois, Röhm affronte l’enfer des tranchées, où l’odeur âcre de la poudre et les cris des mourants marquent son âme. Blessé trois fois, décoré de la Croix de fer, il revient à Munich en 1919, amer face à la défaite et au traité de Versailles. Dans une lettre à un camarade, il écrit : "L’Allemagne est humiliée, mais nous, soldats, lui rendrons sa grandeur". C’est dans ce chaos qu’il croise Adolf Hitler, un orateur exalté aux rêves de revanche. Leur alliance naît dans les vapeurs de houblon des brasseries, où Röhm voit en Hitler un porte-drapeau pour ses idéaux.

 

 

En 1921, Röhm fonde la Sturmabteilung (SA), les "chemises brunes", une milice brutale qui intimide communistes et sociaux-démocrates. Sous son commandement, les SA passent de quelques centaines à 400 000 hommes en 1932, devenant une force redoutable. Röhm, avec ses cicatrices de guerre et son regard d’acier, incarne une révolution sociale radicale, prônant une "seconde révolution" anticapitaliste qui inquiète les élites. Son charisme en fait un pilier du Parti nazi, mais aussi une menace pour Hitler, qui cherche à séduire l’armée et les industriels pour accéder au pouvoir.

 

Die Nacht der langen Messer

 

Les SA et l’homosexualité

Les SA, sous la direction de Röhm, deviennent l’épine dorsale du nazisme naissant. Dans les années 1920, leurs défilés dans Berlin font trembler les pavés, leurs chants martiaux résonnant sous les regards terrifiés des passants. Röhm, stratège aguerri, transforme cette milice en une armée parallèle, forte de près de 2 millions d’hommes en 1933, éclipsant la Reichswehr limitée par Versailles. Dans un rapport interne, il proclame : "Nous sommes le cœur battant du peuple, prêts à briser l’ancien monde".Mais cette puissance s’accompagne d’un scandale qui secoue l’Allemagne : l’homosexualité ouverte de Röhm et de plusieurs cadres des SA.

 

File:Hitler saluting the SA.png - Wikimedia Commons

 

Röhm ne cache pas sa vie privée, défiant les mœurs conservatrices. En 1931, le Münchener Post publie des lettres où il évoque sans détour ses relations avec des hommes, écrivant à un ami : "Je ne dissimulerai pas qui je suis, même si cela me vaut la haine. Ces révélations, exploitées par la gauche antifasciste, alimentent les rumeurs d’une "clique homosexuelle" au sein des SA. Le Brown Book of the Reichstag Fire (1933) va jusqu’à accuser Röhm de liens intimes avec l’incendiaire du Reichstag, une calomnie sans preuve mais politiquement dévastatrice. Hitler, pragmatique, tolère Röhm pour son utilité, mais les conservateurs s’indignent.

Ce scandale révèle les paradoxes du nazisme. Alors que le régime exalte une virilité agressive, ses parades et son esthétique frôlent l’homoérotisme, comme en témoignent les statues musclées d’Arno Breker. Un officier SS note avec dédain dans un rapport de 1934 : "Les nuits des SA à Bad Wiessee sont une honte pour l’honneur allemand". Cette tension entre tolérance initiale et répression croissante éclatera lors de la Nuit des Longs Couteaux, où l’homosexualité de Röhm sera brandie comme un prétexte pour justifier son élimination.

 

 

La Nuit des Longs Couteaux : une trahison dans l’ombre

L’été 1934 marque la rupture. Hitler, chancelier depuis un an, doit rassurer l’armée et les industriels, effrayés par les ambitions révolutionnaires des SA. Röhm, avec ses discours sur une "seconde révolution", devient un obstacle. Himmler et Heydrich, chefs des SS, orchestrent un complot, fabriquant un dossier accusant Röhm de toucher des millions de marks pour renverser Hitler. Une pure invention. Un télégramme SS du 24 juin 1934 ordonne : "Préparez l’élimination des traîtres SA, sur ordre du Führer".

 

Fichier:HimmlerAndHeydrich 1938.jpeg

 

Le 30 juin, l’opération "Colibri" s’abat sur l’Allemagne. À Bad Wiessee, dans la pension Hanselbauer, l’air sent le pin et le tabac froid. À 6h30, Hitler fait irruption dans la chambre de Röhm, hurlant : "Tu m’as trahi !". Röhm, à peine réveillé, torse nu, ses cicatrices luisant sous la lumière, n’est pas seul : un jeune homme, dont l’identité reste inconnue, se trouve à ses côtés, une présence que les SS exploitent pour crier à la "débauche". À quelques portes, Edmund Heines, chef des SA de Breslau, est surpris avec un autre homme, alimentant le scandale. Tous sont arrêtés, certains abattus sur-le-champ. Un témoin, Robert Bergmann, racontera : "Le Führer semblait possédé, ses cris résonnaient dans l’hôtel".

 

Bad Wiessee - Kurheim Hanselbauer

 

À Munich, dans la prison de Stadelheim, Röhm attend son destin. Le 1er juillet, Theodor Eicke et Michel Lippert, SS, lui tendent un pistolet chargé d’une balle et un journal titrant sa disgrâce. Röhm, défiant, lance : "Si je dois mourir, qu’Adolf le fasse lui-même !". Refusant le suicide, il est abattu à bout portant. Ses derniers mots, "Mein Führer, mein Führer", s’évanouissent dans un souffle. La purge fait 150 à 200 morts, dont Gregor Strasser et l’ex-chancelier von Schleicher. Göring, lors d’une conférence, déclare : "Ces hommes tramaient la subversion, leur immoralité souillait le Reich".

 

L’héritage ambigu de Röhm : entre mythe et réalité

La mort de Röhm redessine le nazisme. Les SA, décapitées, s’effondrent, passant de 2,9 millions de membres en 1934 à 1,2 million en 1939. Viktor Lutze, nouveau chef, reçoit l’ordre d’éradiquer "l’homosexualité et la débauche" dans les rangs. Hitler, désormais maître absolu, s’allie aux élites conservatrices, abandonnant tout idéal révolutionnaire. Pourtant, Röhm hante encore les mémoires. Certains extrémistes honorent sa tombe au Westfriedhof de Munich, tandis que des militants homosexuels y voient un symbole de résistance face à l’oppression.

 

"Les homosexuels ne sont pas les nazis, ils en sont les victimes, comme les Juifs."

 

L’homosexualité de Röhm, utilisée pour justifier sa chute, met en lumière les contradictions du régime. Alors que la propagande nazie exaltait la pureté aryenne, elle tolérait initialement des figures comme Röhm. Un rapport de la Gestapo de septembre 1934 ordonne la traque des homosexuels dans les rangs nazis, prélude à la persécution des "triangles roses". Les accusations d’homosexualité massive dans les SA, relayées par la gauche, relèvent souvent du mythe. Klaus Mann, exilé, écrivait en 1934 : "Les homosexuels ne sont pas les nazis, ils en sont les victimes, comme les Juifs".

 

Journée nationale du souvenir de la déportation : hommage aux « triangles  roses et noirs » - Association STOP Homophobie

 

Röhm reste une énigme : héros de guerre, révolutionnaire, homosexuel assumé dans un monde hostile. Sa fin, dans une cellule humide de Stadelheim, incarne la brutalité du régime qu’il a servi. Une anecdote prétend qu’il lança à Hitler : "Tu me tues, mais la révolution vivra". Apocryphe ou non, cette phrase reflète l’âme d’un homme convaincu jusqu’au bout. Röhm, l’ami trahi, demeure un miroir des très nombreuses ambitions et trahisons du IIIe Reich


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12 réactions à cet article    


  • jacques 13 juin 17:47

    C’est bien la preuve qu’il faut interdire les couteaux aux moins de 65 ans smiley


    • Paul Jael 13 juin 19:12

      L’homosexualité de Römer n’a commencé à poser problème à Hitler que lorsque sa position de chancelier l’a amené à donner des gages aux conservateurs. Mais plus que Römer, c’est la SA qui était visée. L’armée dirigée par la vieille garde aristocratique en avait marre de ces régiments braillants et autonomes. 

      Surtout, pendant une décennie, Hitler avait compté sur la soif de changement de la jeunesse allemande pour se hisser au pouvoir. Lorsqu’il y est arrivé, lui qui n’aspirait pas à ce changement mais seulement au pouvoir et à la guerre, a pu éliminer tout ce pan de son électorat et de ses partisans.


      • Bonsoir @Paul Jael,

        Merci pour votre commentaire pertinent. Vous avez raison : l’homosexualité de Röhm n’a été un problème pour Hitler qu’à partir de 1933, quand il a dû rassurer les conservateurs et l’armée, irrités par l’autonomie et le radicalisme des SA. La purge de la Nuit des Longs Couteaux visait moins Röhm personnellement que l’ensemble de la SA, perçue comme une menace par l’élite militaire aristocratique. Quant à Hitler, il a effectivement exploité la fougue révolutionnaire de la jeunesse pour accéder au pouvoir, avant de trahir cet idéal pour consolider son autorité et préparer la guerre. Votre analyse souligne bien cette duplicité stratégique.

      • juluch juluch 13 juin 20:58

        Röhm etait gay certes comme beaucoup de dignitaire nazi....du à ça son exécution et la chute des SA ?

        J’en doute

        Pour Hitler un des deux était de trop pour la pérennité du pouvoir.....


        • markos 14 juin 11:37

          par contre la sexualité de hitler demeure à ce jour plutôt méconnue.

          il vivait depuis pas mal d’années avec eva braun, hors mariage, et il semble que les conservateurs n’aient pas trouvé cela immoral. 


          • pierre 14 juin 11:57

            @markos

            sa sexualité n’a aucune importance... smiley


          • markos 14 juin 12:18

            @pierre
            oui, je sais bien.
            l’élimination de rohm a été bien évidemment motivée pour des raisons politique afin de s’attribuer les pleins pouvoirs.
            par contre, si il a masqué les raisons réelles pour s’attirer la sympathie des élites conservatrices, il n’a pas fait la démonstration qu’il était un homme à la moralité exemplaire. mais ces derniers devaient être sans doute peu regardants.


          • Seth 14 juin 14:03

            @markos

            Si ça se trouve c’est que Röhm était fou amoureux d’ Adolf, lui courait aux basques sans cesse et l’importunait alors que Adolf restait de marbre, n’avait pas l’intention de céder à ses avances et a perdu patience en considérant le physique assez ingrat et peu avantageux du Nénesse.

            Allez savoir... Amour, amour quand tu nous tiens...  smiley


          • Seth 14 juin 14:56

            @markos

            En plus l’Adolf ayant été à ses heures artisse peinturlureur aurait du avoir les idées plus larges.

            Bon mais c’est pas grave, que les nazis se soient zigouillés entre eux ne me pose aucun problème, bien au contraire, mais en fait de « nuit » il y eut aussi la Nuit de Cristal...

            On aimait bien la nuit chez les hitlériens.


          • Gerard_menvusa Gerard_menvusa 14 juin 12:43

            Il est vrai qu’une tapette chez les nazis, ça ne manque pas de sel, comme on sait combien cé régime glorifiait le virilisme et la masculinité. Röhm voulait sans doute avec son idéal « révolutionnaire » instaurer les défilés LGBTQ+ à Berlin avant l’heure...la Merluche et LFI auraient été ravis ! 🤯


            • Seth 14 juin 15:11

              @Gerard_menvusa

              En plus petit et pas aryen pour un rond le nénesse.  smiley

              Remarque l’adolphe non plus.


            • ETTORE ETTORE 15 juin 21:33

              A mince !

              Eliminé juste pour ça ?

              La Grandeur et décadence de Röhm !

              Comme quoi, la reconnaissance d’un état symptomatique de pratiques, passées à noyer le poisson à coup de chopes de bières, et à roter, comme des porcs, au bras des plantureuses grétchen munichoises....

              Qu’il eut eu un peu plus de panache, qu’il se serrait fait mousser le col, en disant qu’il « testait », tout en « détestant », certaines pratiques, qui aurait également, pu, entrainer, son Führeur moustachu, à la Village People, et lui dire .......Y A M cié !

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