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Accueil du site > Tribune Libre > 5. Il n’y a pas de violence gratuite : seul le cri compte

5. Il n’y a pas de violence gratuite : seul le cri compte

 Tandis que la réflexion sur la « violence incomprise » qu’elle soit individuelle, visant soi-même ou l’Autre (Camus, Gide, Sarte) ou étatique - totalitaire (Arendt, Aaron, Foucault) cesse d’être un sujet de réflexion philosophique majeur au moment même où elle s’épanouit et devient multiforme, le cinéma, bien plus en phase sur son temps, prend le relais. Les exemples sont nombreux : Tarantino (Reservoir dogs), Oliver Stone (Tueurs nés), Takeshi Kitano (Nagisa Oshima, Violent cop), Clint Eastwood (Silent River), Terence Malik (La balade sauvage, La ligne rouge) et bien entendu le déjà cité Stanley Kubrick (Fear and desire, Shining, Eyes Wide Shut,) etc… 
 
A des degrés divers mais avec constance, cette filmographie particulière introduit la notion théâtrale de la violence, son apparence, sa représentation et l’importance des relais, du témoin, dans son évolution. Cette dernière thématique, centrale dans le film d’Oliver Stone précité, est inexistante dans les écrits actuels portant sur la violence et à peine effleurée sur les mesures pour faire face : Quelques lignes sur la question « faut-il continuer à montrer chaque année les voitures brulées », tandis que les médias ont certainement transformé cette pratique en rituel de la saint Sylvestre. En effet, si « que faire », « comment punir », « quelle réponse donner », sont des termes récurrents, « comment représenter », « « quelle est la place des relais », celui d’une société du spectacle qui se transforme en voyeur, ne sont presque jamais abordés. Guy Debord écrivait pourtant : « L’époque ne demande pas seulement de répondre vaguement à la question que faire ? Il s’agit maintenant si l’on veut rester dans le courant, de répondre, presque chaque semaine à la question « Que se passe-t-il ? » (Correspondance, volume 5). La question en quoi les témoins deviennent un acteur dynamique de la violence de l’autre devient aujourd’hui centrale. 
 
Le « dum spiro spero » est en effet remplacé par « tant que je suis visible, j’existe ». D’une évidence, on passe à une interrogation - voire une angoisse existentielle - qui ne peut être tranchée que par l’Autre. Cela en dit beaucoup sur le retranchement de l’individu sur un monde tellement enfermant qu’il ne se demande plus si l’autre existe, mais plutôt si lui même, tant il devient invisible, existe-t-il vraiment. La visibilité devient essentielle. Aux multiples divisions - ségrégations qui régissent notre société s’en est rajoutée une autre entre ceux que l’on voit (et qui valent la peine de vivre) puisque « on en parle », et ceux dont en on parle jamais, au point de se demander s’ils existent vraiment. Vivre pour et par soi-même n’est plus une évidence. Cela ne concerne pas que l’individu : des guerres, des génocides, des famines, des maladies n’existent que si on en parle, pire, que si on les voit. Tout ce qui s’enlise, qui se perpétue, disparaissant de nos écrans n’a plus d’existence. Ainsi se crée une addiction à l’exceptionnel, au bizarre, à l’outrageux, au critique, qui régit non plus seulement la représentation (médias) mais la gouvernance. Pour être gouverné il faut donc devenir exceptionnel, outrageux, pressant, scandaleux.
 
Une partie de la « violence inexpliquée » s’inscrit dans cette nouvelle gestion du politique qui donne des signes clairs et bien lisibles qu’il ne s’attaque qu’au plus pressant, au plus urgent, au plus symbolique. Cela concerne la violence des quartiers (urgence sociale) aussi bien que les tueurs en série (urgence analytique). Il y a là un renversement des rôles : Ce n’est plus l’individu autiste qui, par ses actes, implore l’attention, mais le citoyen lambda qui ne peut faire aboutir sa souffrance ou sa revendication que par un geste, une action exceptionnelle ; la parole n’a plus de sens, seul le cri compte. C’est-à-dire l’urgence. Or, pour revenir à Guy Debord, « Quand une société plus complexe en vient à prendre conscience du temps, son travail est bien plutôt de le nier, car elle voit dans le temps non ce qui passe, mais ce qui revient. La société statique organise le temps selon son expérience immédiate de la nature, dans le modèle du temps cyclique ». (La société du spectacle). La violence inexplicable l’est par ce que on lui refuse sa modernité, étant dans la négation de l’urgence que nous-mêmes avons intronisé comme reine hégémonique de la gestion de notre société. (A suivre)
 

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2 réactions à cet article    


  • Michel Koutouzis Michel Koutouzis 22 avril 2010 16:32

    Absolument ! Dans une autre réponse, plus concrète, je disais que l’enjeu majeur du futur sera le combat pour un Etat de Droit intériorisé, c’est à dire, à travers équité et exemplarité, perçu comme un bien commun. Détruire symboles et symbolique en les remplaçant par le vide et le sentiment d’urgence, transforme tout effort d’ordre en facteur entropique violent. 

    Merci pour votre commentaire.

    • ddacoudre ddacoudre 25 avril 2010 11:10

      bonjour koutouzis

      "Ce n’est plus l’individu autiste qui, par ses actes, implore l’attention, mais le citoyen lambda qui ne peut faire aboutir sa souffrance ou sa revendication que par un geste, une action exceptionnelle ; la parole n’a plus de sens, seul le cri compte. C’est-à-dire l’urgence« .

      j’ai retenu ce passage car l m’a rappelé l »étude sur un poussin isolé de son groupe et qui est mort de faim alors qu’il disposait de nourriture, un autre essaie fut fait avec un poussin mis devant un miroir, s’alimenta normalement son reflet suffit à cela.

      il y a long temps j’avais écrit ceci.

      Nous naissons unique mais dépendant.

       

      Donc, être un sujet unique porteur de notre individualité ne s’acquiert pas, nous naissons comme cela grâce à la dépendance, l’attraction de deux Êtres dont nous allons être culturellement dépendants. Nous qui tenons tant à notre individualité, imaginons-nous seul dans un espace ou tout serait uniforme, quelle que soit notre capacité individuelle : nous en mourrions.

      Pour vivre, il suffirait que dans cet espace uniforme il y ait une chose qui dénote, quelque chose avec laquelle il peut y avoir un échange d’information qui créerait un mouvement, qui attirerait notre attention comme nous le disons. Alors cette chose deviendrait le centre de notre existence non pas parce qu’elle a une quelconque, valeur mais parce que l’information que nous captons d’elle nous donne un repère auquel nous allons nous associer pour nous mettre en mouvement.

      Dans l’uniformité d’un ciel bleu, ce serait un tout petit nuage et dans une uniformité nuageuse ce serait un coin de ciel bleu.

      Ainsi s’il y a vie et mouvement, ce n’est pas parce que nous avons une existence unique, avec son tempérament, mais parce que nous pouvons « nous regarder, nous percevoir, nous sentir » les uns les autres et acquérir un  caractère.

      S’il y a vie et mouvement, c’est parce qu’il y a le monde, un miroir gigantesque dont nous deviendrons le reflet.


      l’individu, aujourd’hui parce que l’état n’a plus les moyens d’intervenir dans les circuits économiques et financiers, les deux mamelles de la loi du marché qui a détruite petit à petit la stabilité de la structure familiale pour l’atomiser, il fait de la chasse a la violence le mirroir qui donne une raison de se nourrir.
      jamais société n’a été aussi sécurisé que la notre, les plus grands dangers ne viennent pas des explosions de violence sociales par ici ou là , mais de la production de nos industries qui pour faire du capital nous feraient manger nos propres déjections, il y a donc là indéniablement un problème éthique à considérer. en ensuite avec la chasse au violence familiale, nous sommes entrain de faire éclater un peu plus, le « groupe de poussin » si nécessaire a la survie de chacun même s’il est imparfait et comporte effectivement des violences.
      face a cela le seul miroir que nous lui offrons et un statut de victime qui génère un climat d’insécurité qui lui offre sa raison d’exister, et le moindre événement, permet a tous ceux qui au quotidien doivent trouver une information à commenter pour alimenter leur audimat lucratif de maintenir et amplifier le climat actuel autour de la violence que bientôt nous en arriverons à dire que mettre au monde un enfant est une violence faite aux femmes.
      la lutte contre la souffrance et une chose, la violence une autre.

      en fait ce n’est pas l’augmentation de la délinquance qui à suivit l’augmentation de chômage et se maintient à un seuil stable de puis 1985 qui pose problème, mais l’histoire de ce poussin que l’on sépare du groupe et que pour faire vivre et manger les productions industrielles nous ne lui offrons qu’un miroir narcissique qui se dégrade faire a mesure qu’il se nourrir de production qui ne sont pas faites pour lui assurer son bonheur.
      j’avais écrit dans un article que ce gouvernement, après le résultat des élections, ne pouvait pratiquer que la fuite en avant et faire donner le ministère de l’intérieur qui répond à toutes les urgences médiatiques instrumentalisés. mais il n’est pas le seul ce n’est pas un problème franco français j’étais à l’étranger et l’information est construire sur le même structure, et les programmes télés du même tonneau. cela dépasse instrumentalisation de la violence qui ne cache qu’un énorme problème existentiel.

      cordialement.


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