Greta Thunberg et Rima Hassan ont tenté d’éveiller la conscience de l’Occident
Greta Thunberg, Rima Hassan et l'équipage de la flotille pour Gaza ont tenté de faire honte aux dirigeants occidentaux, mais ils ont découvert qu’ils n’avaient aucune honte. Alors que la Russie avait subi un déferlement de sanctions, Israël continue à jouir de la complaisance médiatique et du soutien diplomatique, économique et militaire total de l'Europe, dont les condamnations du génocide ne sont qu'un simulacre.
Israël est en train de parachever son génocide. Keir Starmer affirme que le blocus humanitaire est « intolérable » [tandis qu'Emmanuel Macron ne cesse de déclarer qu'il est « inacceptable »]. Et pourtant, jour après jour, il tolère les bombes, les tirs et la campagne de famine massive menée par Israël.
Par Jonathan Cook – 12 juin 2025
Traductions et notes entre crochets Alain Marshal
Si vous pensiez que les responsables politiques et les médias occidentaux commençaient enfin à ouvrir les yeux sur le génocide commis par Israël à Gaza, détrompez-vous.
Même la décision prise cette semaine par plusieurs États occidentaux – sous la houlette du Royaume-Uni – d’interdire d’entrée Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir, deux ministres israéliens d’extrême droite, n’est en réalité qu’un simulacre de résistance.
Le Royaume-Uni, l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande et la Norvège tentent peut-être de s’unir pour résister aux représailles d’Israël et des États-Unis [la Macronie, roquet de l'Empire, ne fait même pas semblant]. Mais en vérité, ils ont choisi la sanction la plus timide, la plus symbolique, parmi toutes celles qu’ils auraient pu infliger au gouvernement israélien.
Ce geste dérisoire n’est motivé que par la panique. Il leur faut à tout prix dissuader Israël de mener à bien ses plans d’annexion officielle de la Cisjordanie occupée – et ainsi faire voler en éclats les derniers lambeaux de l’illusion du « processus de paix » à deux États, seul prétexte sur lequel l’Occident s’est appuyé pour justifier des décennies d’inaction [et même de franche complicité].
Cerise sur le gâteau, cette interdiction d’entrée donne l’illusion que la Grande-Bretagne et les autres États se montrent fermes face à Israël sur la question de Gaza, alors qu’ils ne font strictement rien pour mettre fin à l’horreur qui s’y déroule.
Même Gideon Levy, éditorialiste chevronné du quotidien israélien Haaretz, a tourné en dérision ce qu’il a qualifié de « mesure insignifiante et ridicule », affirmant qu’elle n’aurait aucun impact sur le massacre en cours à Gaza. Il a appelé à des sanctions contre « l’ensemble d’Israël ».
« Pensent-ils vraiment que cette sanction aura le moindre effet sur les décisions d’Israël ? », a demandé Gideon Levy, avec incrédulité.
Pendant que Londres tape symboliquement sur les doigts de deux ministres israéliens, rappelons que l’Occident a imposé plus de 2 500 sanctions à la Russie.
Et pendant que David Lammy, ministre britannique des Affaires étrangères, s’inquiète de l’avenir d’un processus diplomatique inexistant – détruit par Israël il y a vingt ans –, des enfants palestiniens continuent de mourir de faim dans l’indifférence générale.
Le génocide ne cessera que lorsque l’Occident obligera Israël à y mettre un terme. Cette semaine, plus de 40 officiers du renseignement militaire israélien ont déclenché une grève effective, refusant de participer aux opérations de combat, affirmant qu’Israël menait une guerre « manifestement illégale » et « perpétuelle » à Gaza.
Et pourtant, ni Keir Starmer ni David Lammy [et encore moins Emmanuel Macron] ne sont prêts à admettre qu’Israël a violé le droit international.
Il est clair que les soupirs de regret exprimés le mois dernier par le Premier ministre britannique – sur l’aspect prétendument « intolérable » de la situation à Gaza – n’étaient que du théâtre.
Starmer, comme l’ensemble de l’establishment occidental, continue de tolérer ce qu’il prétend juger « intolérable », tandis que le bilan des morts causées par les bombardements, les tirs et la famine orchestrée par Israël ne cesse de grimper chaque jour.
Ces enfants décharnés – gravement dénutris, les jambes réduites à des baguettes recouvertes d’une peau diaphane – ne guériront pas sans intervention significative. Leur état ne s’améliorera pas tant qu’Israël continuera de les affamer jour après jour. Tôt ou tard, la plupart mourront, loin de nos regards.
Pendant ce temps, des parents désespérés sont contraints de risquer leur vie sous les balles israéliennes dans l’espoir – souvent vain – de rapporter un peu de nourriture séchée, largement inutilisable. La majorité des familles ne disposent ni d’eau ni de combustible pour cuisiner.
Comme pour se moquer des Palestiniens, les médias occidentaux continuent d’appeler cette réalité – une version grandeur nature de Hunger Games, imposée par Israël en remplacement du système d’aide humanitaire coordonné depuis longtemps par les Nations unies – de la « distribution d’aide ».
On nous demande de croire qu’elle répond à la « crise humanitaire » à Gaza, alors qu’en réalité, elle ne fait qu’aggraver cette crise.
Lire notre précédent billet intitulé Hunger Games : Israël force les Gazaouis à mourir de faim ou à risquer leur vie
Dans le meilleur des cas, les capitales occidentales s’enfoncent dans un mélange de silence et de faux-fuyants, ayant déjà préparé leurs excuses juste avant qu’Israël ne franchisse la ligne d’arrivée de son génocide.
Elles peaufinent leurs alibis pour le jour où les journalistes internationaux seront enfin autorisés à entrer – le lendemain du jour où la population de Gaza aura été soit exterminée, soit poussée de force vers le Sinaï. Ou, plus probablement, un peu des deux.
La vérité inversée
Ce qui distingue le massacre de plus de deux millions de personnes à Gaza, c’est ceci : c’est le premier génocide mis en scène de l’histoire. Un holocauste réécrit en théâtre public, un spectacle où chaque vérité est méthodiquement inversée.
Et pour parvenir à cette inversion, la méthode la plus efficace consiste évidemment à éliminer ceux qui essaient d’écrire un récit honnête et alternatif. L’ampleur du carnage et ses auteurs peuvent ainsi être effacés ou noyés sous une avalanche de contre-feux et de récits détournés, brouillant la perception des spectateurs.
Israël a assassiné plus de 200 journalistes palestiniens à Gaza au cours des vingt derniers mois, tout en maintenant les journalistes occidentaux à distance des champs de mort.
À l’instar des politiciens occidentaux, les correspondants étrangers ont fini par s’exprimer le mois dernier — en l’occurrence pour protester contre leur interdiction d’accès à Gaza. Tout comme les politiciens, ils étaient soucieux de préparer leurs excuses. Il en va, après tout, de leur carrière et de leur crédibilité future.
Les journalistes ont publiquement exprimé leur inquiétude : s’ils sont tenus à l’écart, c’est peut-être parce qu’Israël a quelque chose à cacher. Comme si, au cours des vingt derniers mois, Israël n’avait rien eu à dissimuler — durant lesquels ces mêmes journalistes ont docilement accepté leur exclusion, reprenant invariablement la propagande mensongère d’Israël au sujet de ses atrocités.
Si vous imaginez que la couverture médiatique aurait été bien différente si la BBC, CNN, le Guardian ou le New York Times [ou même Le Monde] avaient eu des envoyés spéciaux sur le terrain, détrompez-vous.
La réalité, c’est que les reportages auraient été sensiblement les mêmes que ceux diffusés depuis plus d’un an et demi : un récit dicté par Israël, mettant en avant ses démentis, relayant ses affirmations selon lesquelles des « terroristes » du Hamas se cachaient dans chaque hôpital, école, boulangerie, université ou camp de réfugiés — autant de prétextes à la destruction et aux massacres.
Les médecins britanniques bénévoles à Gaza, qui nous ont assuré qu’il n’y avait pas de combattants du Hamas dans les hôpitaux où ils travaillaient, ni personne d’autre en armes si ce n’est les soldats israéliens ayant attaqué leurs installations médicales, ne seraient pas jugés plus crédibles sous prétexte que Jeremy Bowen, de la BBC, les aurait interrogés à Khan Younès plutôt que Richard Madeley dans un studio londonien.
Briser le blocus
S’il fallait une preuve supplémentaire, elle est venue cette semaine avec la couverture de l’acte de piraterie éhonté commis par Israël contre un navire battant pavillon britannique, le Madleen, qui tentait de briser le blocus génocidaire imposé par Israël.
Cette fois, les violations du droit par Israël ne se sont pas produites dans Gaza bouclée, ni contre des Palestiniens déshumanisés.
Le sabotage et l’arraisonnement du navire ont eu lieu en haute mer, visant un équipage occidental de douze personnes — parmi lesquelles la célèbre militante écologiste suédoise Greta Thunberg [et l'eurodéputée franco-palestinienne Rima Hassan]. Tous ont été enlevés et emmenés de force en Israël.
Thunberg cherchait à mettre sa notoriété au service d’une cause : attirer l’attention sur le blocus illégal et génocidaire de l’aide humanitaire orchestré par Israël. Elle l’a fait précisément en tentant de le briser, pacifiquement.
La démarche du Madleen et de son équipage, en mettant le cap sur Gaza, visait à faire honte aux gouvernements occidentaux, légalement — et moralement, cela va de soi — tenus d’agir pour mettre fin à un génocide, conformément à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 qu’ils ont ratifiée.
Les capitales occidentales se lamentent ostensiblement sur la « crise humanitaire » qu’Israël provoque en affamant deux millions de personnes, sous les yeux du monde.
La mission du Madleen visait à rappeler que ces États peuvent faire bien plus que signifier à deux ministres israéliens qu’ils ne sont pas les bienvenus. Ensemble, s’ils le voulaient, ils pourraient briser le blocus.
Le Royaume-Uni, la France et le Canada — qui déclaraient encore le mois dernier que la situation à Gaza était « intolérable » — pourraient organiser une flotte navale conjointe pour livrer de l’aide via les eaux internationales. Elle atteindrait les eaux territoriales palestiniennes au large de Gaza, sans jamais pénétrer en territoire israélien.
Toute tentative d’interférence de la part d’Israël constituerait un acte de guerre contre ces trois États — et donc contre l’OTAN. En réalité, Israël serait contraint de se retirer et de laisser passer l’aide.
Mais, bien sûr, ce scénario relève de la pure fiction. Ni le Royaume-Uni, ni la France, ni le Canada n’envisagent de briser le siège « intolérable » imposé par Israël à Gaza [mais ils sont tous prêts à soutenir activement le crime d'agression israélien contre l'Iran, condamnant Téhéran pour exercer son droit à la légitime défense garanti par l'article 51 de la Charte de l'ONU].
Aucun de ces pays ne compte faire autre chose que regarder Israël affamer une population entière jusqu’à l’extermination — avant de décrire cela comme une « catastrophe humanitaire » qu’ils n’auraient pu empêcher.
Le Madleen leur a coupé l’herbe sous le pied, dénonçant par avance cette posture cynique, mettant en lumière le véritable soutien des dirigeants occidentaux au génocide — et rappelant au peuple de Gaza que la majorité de l’opinion publique occidentale rejette la complicité de ses gouvernements dans les crimes commis par Israël.
« Yacht à selfies »
Le voyage du Madleen visait aussi à réveiller, vigoureusement, ceux qui en Occident continuent de dormir pendant qu’un génocide se déroule. C’est précisément pour cette raison que son message devait être étouffé par une opération de désinformation savamment orchestrée par Israël.
Le ministère israélien des Affaires étrangères a publié des déclarations qualifiant le navire humanitaire de « yacht à selfies de célébrités », reléguant son action au rang de « coup de com’ » et de « provocation ». Des responsables israéliens ont qualifié Greta Thunberg de « narcissique » et d’« antisémite ».
Lorsque les soldats israéliens ont illégalement abordé le navire, ils se sont filmés en train de distribuer des sandwichs à l’équipage — une mise en scène qui devrait choquer quiconque a conscience qu’au même moment, Israël affamait délibérément deux millions de Palestiniens, dont la moitié sont des enfants.
Le gouvernement britannique, dont le navire a été percuté et envahi en eaux internationales, a-t-il protesté avec colère contre cette attaque ? Les médias britanniques, si prompts d’ordinaire à défendre l’honneur national, se sont-ils insurgés contre cette humiliation flagrante de la souveraineté du Royaume-Uni ?
Non, Starmer et Lammy n’ont, une fois de plus, rien trouvé à dire.
Ils n’ont toujours pas reconnu qu’Israël violait le droit international en privant les habitants de Gaza de nourriture et d’eau depuis plus de trois mois – et encore moins admis que cela constitue en réalité un génocide.
À la place, les collaborateurs de Lammy – dont 300 ont protesté contre la complicité persistante du Royaume-Uni dans les atrocités israéliennes – ont été enjoints à démissionner plutôt qu’à exprimer des objections fondées sur le droit international.
Selon des sources au sein du ministère des Affaires étrangères, citées par l’ancien ambassadeur britannique Craig Murray, Lammy a également exigé que toute déclaration relative au Madleen contourne les conseillers juridiques du gouvernement.
Pourquoi ? Afin de lui permettre de nier de façon plausible qu’il cherche à se soustraire à l’obligation légale du Royaume-Uni de réagir à l’agression israélienne contre un navire placé sous sa protection.
Parenthèse : extrait de l'interview de Rima Hassan réalisée par Mediapart le 14 juin
Mediapart : Le ministre des affaires étrangères Jean-Noël Barrot a évoqué la « vacuité d’une opération de com’ » et en particulier les « gesticulations de Mme Hassan ». Comme le premier ministre François Bayrou, il a parlé d’une « instrumentalisation ». Votre réaction ?
Rima Hassan : C’est une honte. Nous sommes douze citoyens à avoir risqué notre vie dans une action militante qui se voulait symbolique, éminemment politique et qui était une réponse à leur vide politique à eux. Cette action contre le blocus à Gaza, elle existe depuis 2011, elle réunit vingt-deux ONG, elle est soutenue par les rapporteurs spéciaux de l’ONU, sans parler de Greenpeace, d’Amnesty International. Ça dépassait très largement le soutien politique de La France insoumise à la cause palestinienne. J’ai même eu le soutien de Ségolène Royal [sourires]. Donc oui, c’est une honte, parce que cette posture permet de camoufler leur inaction, voire leur complicité.
Mediapart : Emmanuel Macron répète que ce qui se passe à Gaza est « inacceptable ».
Rima Hassan : Mais tout le monde dit que c’est inacceptable ! La question c’est : qu’est-ce qu’on fait pour mettre un terme à ce blocus ? Ce qui compte, c’est le droit international. La population palestinienne est en droit de recevoir de l’aide humanitaire : ça n’a à aucun moment été rappelé par les autorités françaises. L’interception d’un bateau dans les eaux internationales est une violation du droit international : ça n’a jamais été rappelé par la parole politique de la France. Les eaux territoriales contrôlées par Israël au large de Gaza sont des eaux palestiniennes : là encore, ça n’a jamais été rappelé par la France. C’est parfaitement scandaleux.
La posture du gouvernement français qui, nous concernant, consiste à dire « on les a prévenus », ce n’est pas une réponse face à l’impunité dont bénéficie l’État d’Israël. Notre action visait justement à dénoncer cette impunité, à démontrer le caractère inacceptable de ce blocus.
On a laissé Nétanyahou piétiner l’espace aérien à deux reprises, on a inventé une immunité qui n’existe pas dans le Statut de Rome, on a continué les collaborations militaires – révélées par le média Disclose, et désormais portées devant la justice par la Ligue des droits de l’homme – alors que la simple ordonnance de la Cour internationale de justice suffisait comme base légale pour les arrêter. Le gouvernement français piétine le droit international. Cela m’enrage.
Mediapart : Vous parlez de complicité de la France...
Rima Hassan : Bien sûr qu’il y a une complicité. 30 % des armes qui arrivent dans les mains du régime israélien proviennent de pays européens. Le risque à poursuivre cette politique, c’est de devoir rendre des comptes sur le plan de la complicité du crime de génocide. Nous ne sommes pas en dictature. En démocratie, on est censé se référer à cette boussole du droit international, et selon la Constitution, le chef de l’État est le garant des engagements internationaux de la France. C’est aussi ce que souhaite l’opinion, qui aujourd’hui est complètement opposée à la politique que mène Emmanuel Macron.
Mediapart : Israël a dénoncé votre « yacht à selfies » et plusieurs éditorialistes, dans les colonnes de « Franc-Tireur », sur certaines radios ou chaînes d’info ont repris à leur compte cette comparaison, en évoquant un « cirque », un « spectacle », ou le « Festival de Cannes ». Que répondez-vous ?
Rima Hassan : [Soupirs] On censure les voix propalestiniennes. La mienne et les autres. Et ce n’est pas nouveau. Et d’ailleurs, ce ne sont pas forcément les journalistes qui bloquent cette parole. Plutôt leurs directions.
Les médias, pour leur part, ont joué leur rôle dans le blanchiment de ce crime flagrant – un crime perpétré au grand jour, et non dissimulé dans le « brouillard de guerre » savamment entretenu à Gaza.
Une grande partie de la presse s’est emparée du terme « yacht à selfies », comme s’il s’agissait de leur propre trouvaille. Comme si Thunberg et le reste de l’équipage étaient de simples hédonistes venus faire la promotion de leurs réseaux sociaux, plutôt que des militants risquant leur vie face à la puissance militaire génocidaire d’Israël.
Et ils avaient toutes les raisons d’avoir peur. Après tout, l’armée israélienne a abattu 10 de leurs prédécesseurs – des militants à bord du navire humanitaire Mavi Marmara, en route pour Gaza – il y a 15 ans. Israël a tué de sang-froid des citoyens américains comme Rachel Corrie, des citoyens britanniques comme Tom Hurndall, et des journalistes de renom tels que Shireen Abu Akleh.
Et ceux qui ont la mémoire un peu plus longue se souviendront que l’armée de l’air israélienne a tué plus de 30 militaires américains lors d’une attaque de deux heures en 1967 contre l’USS Liberty, et en a blessé 170 autres. Les survivants de ce crime – étouffé par toutes les administrations américaines successives – en ont commémoré l’anniversaire la veille de l’attaque contre le Madleen.
« Détenus », pas enlevés
Les calomnies d’Israël à l’encontre de l’équipage du Madleen, réduisant l’affaire à une anecdote, ont été relayées sans esprit critique, de Sky News et The Telegraph à LBC et Piers Morgan.
Piers Morgan, l'incarnation du journaliste occidental : « Excusez-moi Madame... Est-ce que vous condamnez le Hamas »
Étrangement, les journalistes qui avaient à peine mentionné le tsunami de selfies publiés par des soldats israéliens se glorifiant de leurs crimes de guerre sur les réseaux sociaux [en particulier, posant vêtus des sous-vêtements de femmes palestiniennes, avec des jouets d'enfants, commettant des crimes de guerre, etc.] se sont soudain montrés très préoccupés par une supposée culture narcissique du selfie qui régnerait parmi les défenseurs des droits de l'homme.
Alors que Thunberg regagnait l’Europe mardi, les médias ont poursuivi leur attaque contre la langue anglaise et le bon sens. Ils ont rapporté qu’elle avait été « expulsée » d’Israël, comme si elle y était entrée clandestinement, et non traînée de force par l’armée israélienne.
Mais même les médias dits « sérieux » ont occulté la portée du voyage du Madleen vers Gaza, ainsi que la violation manifeste du droit par Israël. Du Guardian et de la BBC au New York Times et à CBS, l’agression criminelle d’Israël a été qualifiée « d’interception » ou de « détournement » du navire humanitaire, et Israël présenté comme ayant « pris le contrôle » du bâtiment. Dans la presse occidentale, Thunberg a été « détenue » – pas enlevée.
La mise en récit semblait tout droit sortie de Tel-Aviv : une narration absurde présentant Israël comme un État rétablissant l’ordre face à une situation d’anarchie et d’infraction dangereuse aux règles, provoquée par des militants engagés dans une excursion futile et vaine vers Gaza.
Une telle uniformité dans la couverture médiatique ne traduisait nullement une quelconque réalité : c’était de la pure propagande – une mise en scène narrative servant non seulement les intérêts d’Israël, mais aussi ceux d’une élite politique et médiatique occidentale profondément impliquée dans le génocide israélien.
Armer les criminels
Dans un autre exemple accablant de cette collusion, les médias occidentaux ont choisi d’étouffer presque immédiatement les déclarations explosives faites la semaine dernière par le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou.
Celui-ci a reconnu qu’Israël avait armé et entretenait des liens étroits avec des gangs criminels à Gaza.
Il répondait aux accusations d’Avigdor Lieberman, ancien allié politique devenu rival, selon lesquelles certaines des personnes soutenues par Israël seraient affiliées au groupe terroriste Daech. Le plus connu d’entre eux s’appelle Yasser Abu Shabab.
Les médias occidentaux ont soit ignoré cette révélation, soit adopté docilement l’interprétation intéressée de Netanyahou, qui présentait ces liens comme une alliance de circonstance : un moyen de fragiliser le Hamas en promouvant des « forces locales rivales » et en créant de nouvelles « opportunités de gouvernance post-conflit ».
Mais l’objectif réel – ou plutôt les deux objectifs, l’un à court terme, l’autre à plus long terme – est bien plus cynique et inquiétant.
Il y a plus de six mois, des analystes palestiniens et des médias israéliens tiraient déjà la sonnette d’alarme : Israël, après avoir démantelé les institutions dirigeantes de Gaza, y compris la police, collaborait avec des gangs criminels nouvellement renforcés.
L’objectif immédiat d’Israël, en armant ces criminels – transformés en milices puissantes – était de précipiter la décomposition de l’ordre public. Cette déstabilisation servait de prélude à une double campagne de désinformation orchestrée par Israël.
Ces gangs ont été placés dans une position idéale pour piller la nourriture issue du système de distribution humanitaire de longue date mis en place par les Nations unies, avant de la revendre au marché noir. Ce pillage a permis à Israël de prétendre – à tort – que le Hamas volait l’aide de l’ONU et que l’organisation internationale s’était révélée inapte à mener des opérations humanitaires à Gaza.
Israël et les États-Unis ont alors entrepris de créer un groupe mercenaire de façade – trompeusement baptisé « Gaza Humanitarian Foundation » (Fondation humanitaire de Gaza) – afin de mettre en œuvre une opération de remplacement factice.
En lieu et place du réseau fiable et étendu de distribution de l’ONU à travers Gaza, les quatre « centres d’aide » de la GHF ont été parfaitement conçus pour servir les objectifs génocidaires d’Israël.
Implantés dans une étroite bande de territoire jouxtant la frontière égyptienne, ces centres contraignent les Palestiniens à se regrouper dans une minuscule portion de Gaza – s’ils veulent avoir une chance de se nourrir – en préparation de leur expulsion vers le Sinaï.
Ils sont parqués dans une zone extrêmement surpeuplée, dépourvue d’espace et d’infrastructures nécessaires, où la propagation des maladies est inévitable, et où ils peuvent être plus facilement massacrés par les bombardements israéliens.
Une population de plus en plus mal nourrie est contrainte de parcourir de longues distances et de patienter dans d’immenses foules sous une chaleur accablante, dans l’espoir de recevoir quelques rations de nourriture. Cette situation, délibérément orchestrée, vise à attiser les tensions, provoquer le chaos et déclencher des affrontements. Le tout fournit un prétexte idéal aux soldats israéliens pour interrompre « préventivement » la distribution d’aide au nom de la « sécurité publique » et ouvrir le feu sur la foule pour « neutraliser les menaces », comme cela se produit chaque jour avec des conséquences meurtrières.
Les massacres répétés dans ces « centres d’aide » ont eu pour effet d’effrayer les plus vulnérables – ceux qui ont le plus besoin d’assistance – laissant le champ libre à des membres de gangs comme celui d’Abu Shabab pour profiter du butin. Mercredi, Israël a massacré au moins 60 Palestiniens, pour la plupart venus chercher de la nourriture, dans ce qui est déjà devenu une routine normalisée : un rituel quotidien de carnage à peine relayé dans les gros titres.
https://x.com/AlainMarshal2/status/1933906195628060876
Comble de l'impudence, Israël a déformé les images captées par ses propres drones, montrant les gangs criminels qu’il arme en train de piller l’aide sur les camions et de tirer sur les Palestiniens venus chercher de quoi survivre – images qu’il présente comme des preuves supposées du vol de nourriture par le Hamas, justifiant la nécessité pour Israël de contrôler lui-même la distribution de l’aide.
Tout cela est d’une transparence et d’une répugnance telles qu’il est proprement stupéfiant que ce ne soit pas au cœur de la couverture médiatique occidentale, alors même que politiciens et journalistes s’alarment de la situation « intolérable » à Gaza.
Au lieu de cela, les médias ont dans l’ensemble repris sans question l’affirmation selon laquelle le Hamas « volerait l’aide humanitaire ». Ils se sont livrés à un débat entièrement fallacieux – nourri par Israël – sur la nécessité d’une « réforme » de la distribution d’aide. Et ils ont tergiversé sur la responsabilité des soldats israéliens dans les tirs mortels visant ceux qui cherchent de l’aide.
Et, bien sûr, les médias ont refusé de tirer la seule conclusion logique de cette situation : qu’Israël exploite le chaos qu’il a lui-même créé afin de gagner du temps pour poursuivre sa campagne de famine et tuer davantage de Palestiniens.
Une seigneurie de guerre calibrée
Mais les enjeux sont bien plus vastes. Israël engraisse ces gangs criminels pour leur confier, à terme, un rôle plus large dans ce qu’on appelait autrefois « le jour d’après » – jusqu’à ce qu’il devienne évident que cette période succéderait à l’achèvement du génocide en cours.
Aucun Palestinien n’a été surpris d’entendre Benjamin Netanyahou confirmer qu’Israël avait armé des gangs criminels à Gaza – y compris ceux liés à Daech.
Cela ne devrait pas non plus étonner les journalistes qui, comme moi, ont passé un temps significatif à vivre dans une communauté palestinienne et à étudier les mécanismes de contrôle colonial d’Israël sur la société palestinienne.
Depuis au moins deux décennies – bien avant l’éruption létale du Hamas hors de Gaza le 7 octobre 2023 – les intellectuels palestiniens ont compris pourquoi Israël investissait autant d’énergie à démanteler progressivement les institutions de l’identité nationale palestinienne en Cisjordanie occupée et à Jérusalem-Est.
Le but, m’ont-ils dit – à moi comme à quiconque acceptait de les écouter – était de vider la société palestinienne de toute substance, de l’écraser sous la domination de gangs criminels rivaux, jusqu’à rendre l’idée même d’un État impensable.
Comme le fait remarquer l’analyste politique palestinien Muhammad Shehada à propos de la situation à Gaza : « Israël n’utilise PAS [ces gangs] pour s’attaquer au Hamas – il les utilise pour détruire Gaza de l’intérieur. »
Depuis des années, la vision ultime d’Israël pour les Palestiniens – dans l’hypothèse où il ne parviendrait pas à les expulser entièrement de leur terre historique – est celle d’un système de seigneurs de guerre soigneusement calibré. Israël armerait une série de familles criminelles dans leurs fiefs géographiques respectifs.
Chacun disposerait d’un arsenal d’armes légères suffisant pour terroriser les populations locales, les soumettre par la peur, et livrer bataille aux familles voisines afin de délimiter l’étendue de son fief.
Aucun ne disposerait de la puissance militaire nécessaire pour défier Israël. Au contraire, tous devraient rivaliser pour obtenir les faveurs d’Israël — le traitant comme une sorte de parrain surdimensionné — dans l’espoir de prendre l’ascendant sur leurs rivaux.
Dans cette vision, les Palestiniens — l’une des populations les plus instruites du Moyen-Orient — seraient réduits à un état de guerre civile permanente et à une politique fondée sur la loi du plus fort. L’ambition d’Israël est de détruire la cohésion sociale palestinienne aussi méthodiquement qu’il a rasé les villes de Gaza pour les « ramener à l’âge de pierre ».
Bénie par Dieu
C’est une histoire simple, qui devrait être bien connue des publics européens — s’ils avaient été éduqués à leur propre histoire.
Pendant des siècles, les Européens ont étendu leur domination au-delà de leurs frontières — mus par un fanatisme suprémaciste et la soif de richesses — pour conquérir les terres d’autrui, piller leurs ressources, et soumettre, expulser ou exterminer les peuples autochtones qui leur faisaient obstacle.
Les populations indigènes ont toujours été déshumanisées. Toujours perçues comme des barbares, des « animaux humains », même lorsque nous — membres d’une civilisation supposément supérieure — les massacrions, les affamions, détruisions leurs maisons et brûlions leurs récoltes.
Notre mission de conquête et d’extermination a toujours été présentée comme bénie par Dieu. Notre efficacité dans l’éradication des peuples indigènes, notre aptitude à tuer, a toujours servi de preuve de notre supériorité morale.
Nous avons toujours été les victimes, même lorsque nous infligions l’humiliation, la torture et le viol. Nous avons toujours prétendu incarner la justice.
Israël ne fait que perpétuer cette tradition à l’ère moderne. Il nous tend un miroir, et nous montre qu’en dépit de nos grands discours sur les droits humains, rien n’a vraiment changé.
Quelques rares figures, comme Greta Thunberg, [Rima Hassan] ou les autres membres de l’équipage du Madleen, sont prêtes à montrer, par l’exemple, que nous pouvons rompre avec ce passé. Nous pouvons refuser de déshumaniser. Nous pouvons refuser de nous rendre complices de la sauvagerie industrielle. Nous pouvons refuser de donner notre assentiment par le silence ou l’inaction.
Mais pour cela, nous devons d’abord cesser d’écouter les sirènes de nos dirigeants politiques et des médias aux mains des milliardaires. Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrons peut-être réapprendre ce que signifie être humain.
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