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Accueil du site > Tribune Libre > Copropriété : la surélévation d’immeubles

Copropriété : la surélévation d’immeubles

« Ce n’est pas vrai de dire que construction rime avec bétonisation, avec fin des espaces verts ou de la qualité de vie. La réalité est qu’on peut continuer à construire, notamment en surélevant un certain nombre de bâtiments. (...) On peut continuer à construire en vertical. Ce principe est simple et clair, c’est du bon sens. Construire des étages supplémentaires pour construire de nouveaux logements. Il y a un certain nombre de projets qui étaient envisagés et qui ont besoin d’un coup d’accélérateur », G. Attal 14 février 2024.

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Au XVII° siècle Paris est déjà surpeuplé avec près d'un million d'habitants, un tiers sont des indigents qui vivent sous les toits d'immeubles insalubres relégués dans des cagibis sans fenêtres. Les maisons étroites et hautes de quelques étages sont toujours construites sur de minuscules parcelles, et une seule pièce par étage abrite une famille. Une différence, les toits ne sont plus en bande (ordonnance de 1667). La toiture et le pignon sont au-dessus de la façade pour limiter la propagation des incendies aux maisons voisines. Au milieu du XVII° siècle François Mansard généralise les combles brisés à quatre pans, une idée de Lescot. Les toitures reposent sur des terrassons (versants à faibles pentes) habillés de zinc, et des brisis, versants en fortes pentes couverts d'ardoise. Ce type de construction permet la création d'un étage habitable comprenant des pièces basses de plafond dont un des murs est en pente sont une aubaine pour les artistes, peintres, étudiants désargentés. Une lucarne ou tabatière apporte la lumière et contribue à l'aération.

Au milieu du XIX° siècle on recense dans le quartier des Arcis (6° et 7° arr) un habitant pour quelques mètres carrés ! En dix-sept ans le baron Haussmann va redessiner une partie de la capitale. La cause d'utilité publique prime sur le droit de propriété. Les ouvriers sont repoussés en périphérie et les familles bourgeoises se partagent les immeubles selon leur situation finançière. Les riches occupent les niveaux inférieurs aux grandes fenêtres, les classes moyennes les 3, 4 et 5 étages dont la hauteur sous plafond va en s'amenuisant, tandis que les galetas se transforment en chambres de bonnes avec robinet et WC sur le palier accessible par un escalier de service.

Au XXI° siècle Paris reste une des villes les plus peuplées d’Europe et des immeubles ont déjà connu entre 1880 et l’après-guerre de nombreuses surélévations qui ont contribué à façonner la ville telle que nous la connaissons aujourd’hui. Largement utilisée dans les années cinquante, la surélévation connait un ralentissement à partir des années 1960-70 avec le durcissement de la législation, l’apparition de la copropriété et l'étalement urbain. Paris compte près de 35 % d’immeubles surélevés. La municipalité estime à 11.500 immeubles ayant un potentiel de surélévation principalement : des toits plats, des dents creuses (petits immeubles ou des maisons de ville encadrées par deux immeubles plus hauts), et derniers étages avec d'anciennes chambres de bonne ou des combles permettant de créer 40.000 nouveaux logements.

L’autorisation des proprié­taires du dernier étage (loi Boutin 2009) qui bénéficient d'un droit de priorité pour réaliser une surélévation n'est plus obligatoire, et tout projet de surélévation adopté par l'AG se doit de respecter le Plan Local d'Urbanisme : faisabilité architecturale - s’assurer de la qualité des sols (Inspection Générale des Carrières, carottage, fondations) - consultation du plan de prévention des risques naturels - des gabarits constructibles (alignement sur la hauteur des bâtiments voisins et volume constructible maximal autorisé) - que la structure de l’immeuble permet la surcharge - réalisation des plans de l’existant et de la surélévation envisagée - dépôt du permis de construire - consultation des entreprises - coordination et suivi du chantier - réception des travaux. Si l’immeuble se situe dans une zone inscrite au titre des monuments historiques, un Architecte des Bâtiments de France doit valider l’aspect extérieur de la future surélévation.

L'argument en faveur d'une surélévation est de générer des revenus pour le syndicat de copropriété en mettant à la vente les appartements et/ou en cédant le droit de « foncier aérien » à un promoteur qui se doit de fournir des ressources pour financer des travaux de rénovation (façades, parties communes, ascenseur). Une copropriété impécunieuse peut percevoir le paiement avant même le démarrage des travaux, une fois le permis de construire purgé (19 % des copropriétés connaissent des difficultés financières ANRU). La plus-value de cession de droit à construire n'est pas imposable à condition de passer par une entreprise.

Une surélévation ne représente pas toujours une manne providentielle ; pensez au ratio investissement / bénéfice. Le prix d’une surélévation varie entre 2000 et 6000 euros par mètre carré. Celui-ci dépend de la ville, des aménagements intérieurs, matériaux utilisés, des normes, type de surélévation, frais d'architecte (environ 18 %), l'étude de faisabilité (10 %). La copropriété revend des mètres carrés habitables, les parties communes doivent donc être déduites. Selon le nombre d'appartements créés, la répartition des charges entre davantage de propriétaires peut se révéler être un leurre : l'assurance immeuble, les honoraires du syndic, les frais d'entretien et les désagréments liés à l'augmentation du trafic vont de pair, et il faut revoir le règlement de copropriété et la distribution des charges.

Il existe peu ou prou quatre manières de surélever une copropriété. Modifier la pente de toiture afin de transformer des combles perdus en combles aménageables. La surélévation partielle se contente d'une partie d’étage supplémentaire : penthouse, extension d’une pièce, solarium, serre. La surélévation totale ou multiple avec l'ajout d'un ou plusieurs étages. Une tendance minimaliste se porte sur les appartements containers...

La création d’une surélévation peut avoir des effets sur la structure de l’immeuble et celle des immeubles mitoyens : fissures, affaissements des planchers, infiltration, troubles de jouissance, perte de lumière, gêne occasionnée pendant les travaux. Le 17 novembre 2007 un pan de mur latéral s'est effondré rue Bivouac-Napoléon à Cannes au moment où les ouvriers coulaient du béton dans un coffrage appuyé à ce mur. Celui-ci n'a pas résisté à la charge des 3 m3 de béton (7,5 tonnes) et a basculé sur le toit de l'immeuble voisin qu'il surplombait ! La ville a aussitôt pris un arrêté de péril et les experts devront déterminer si l'immeuble peut être sauvé ou s'il doit être détruit. L'assurance dommages-Ouvrages est obligatoire (garantie décennale). « Un chantier de surélévation dure en moyenne entre 10 et 12 mois, en sachant que le gros œuvre, même en ossature légère, partie générant le plus de nuisances, dure environ 2 mois ».

Les différents matériaux utilisés n'offrent tous pas la même durée de vie. Un petit immeuble de trois étages de 1920 construit en pierre est surélevé de trois étages dans les années cinquante. Cinq décennies plus tard les parties en béton sont fortement endommagées, d’où une décote pour les vendeurs et d'importants travaux de reprise. Autre argument, la rénovation énergétique. Les niveaux inférieurs et médians ne sont guère impactés par les écarts de la température. Si le toit parisien est la principale source de déperdition ou d'accumulation de chaleur, les bâtiments anciens possèdent des avantages : « Ils sont mitoyens les uns des autres et ont des échanges réduits avec l’air chaud extérieur et « les façades sur rue en pierre ont la capacité de garder la fraîcheur. (...) Des logements sont traversants et permettent de créer des courants d’air et les immeubles possèdent pour la plupart des cours ou des courettes (...) Les courettes sont sous-exploitées, on pourrait y créer des cheminées de « froid » en refroidissant l’air de la rue par les caves ou les rez-de-chaussée avant de le faire remonter par ces puits de lumière » Fabien Gantois, Ordre des architectes d’Île-de-France. Un premier geste ne serait-il pas de recouvrir la toiture avec une peinture thermo-chromique ?

Le marché des surélévations peine à décoller et 73 % des immeubles parisiens sont en copropriétés. « Les immeubles à potentiel (toits plats, dents creuses, toits pentus avec du foncier aérien) ne sont en effet recensés dans aucune base de données et leur localisation est très complexe. Et quant à deviner sur photo si la copropriété est prête à céder ses droits de surélévation, c'est encore plus impossible. la majorité des surélévations (54 %) récentes ont été menées par des propriétaires uniques (propriétaires physiques ou personnes morales comme des banques, assurances, SCI privées ou bailleurs sociaux), alors qu'ils ne représentent que 27 % des logements à Paris » Philippe Pozzo di Borgo.

Des copropriétaires de faire remarquer que chacun d'eux connaît un immeuble abritant des locaux professionnels dans d'anciennes habitations ou un bâtiment laissé à l'abandon qui pourraient être remis sur le marché. Les ultras de préconiser l'utilisation des arches de certains viaducs ou de construire sur la Seine, et d'anciens habitants du Marais de rappeler l'aspect spéculatif de la loi Malraux (défiscalisation dans le cadre de la rénovation d’un bâtiment classé aux monuments historiques). Les habitants d'un immeuble de la place des Vosges (angle rue de Birague) furent expulsés et l'immeuble est resté vacant pendant des décennies.

A contrario, « 30 % des surélévations portent sur des maisons individuelles ou des hôtels particuliers, alors qu'ils ne représentent que 7 % des parcelles à Paris ! Plus de la moitié des surélévations (55 %) jusqu'en 2011 sont des extensions de copropriétaires du dernier étage, et non de nouveaux logements sur le toit au bénéfice d'une copropriété. Résultat : moins de 10 % des projets démarrés aboutissent » Agence Parisienne d'Urbanisme.

Des associations de copropriétaires et riverains multiplient les recours auprès des élus et devant les Tribunaux pour contester une décision d'AG ou demander l'annulation des permis de construire, certains d'invoquer à l'appui de leur doléance, une demande de classement de l'immeuble ou du quartier en cours. « De fait, à y regarder de près, chacun peut trouver dans n’importe quel bâtiment un attrait, un détail particulier, une personne qui l’a fréquenté, ou une participation au paysage urbain local qu’il serait dommage de dénaturer ». Si « Rajouter un ou plusieurs étages, c'est aussi l'opportunité de reprendre la façade pour harmoniser la construction et faire en sorte que tout l'immeuble soit amélioré, qu'il ait une nouvelle signature visuelle » (Guillaume Boussuge).

Les résultats ne furent pas toujours au rendez-vous. Malraux fut le fossoyeur du Paris populaire et celui des immeubles faubouriens. L'expropriation de la population du Plateau Beaubourg qui resta à l'abandon jusqu'en 1969 pour bétonner le quartier et y bâtir un « temple » dédié au mercantilisme n'en est hélas qu'un exemple. « Il y a deux choses dans un édifice : son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde, à vous à moi, à nous tous » V. Hugo

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9 réactions à cet article    


  • ZenZoe ZenZoe 25 avril 11:55

    Tout d’abord, je voudrais savoir comment Attal peut se permettre d’être aussi catégorique. Il est architecte ? Non ? Alors il laisse parler les experts.

    Et même si l’idée peut paraître bonne à priori (esthétique mise à part), les experts sont plus nuancés. Un architecte expliquait ainsi qu’un bâtiment est conçu structurellement comme un tout au départ, et que toute altération majeure (ajout d’un étage, supression ou perçage de murs à plus forte raison quand ils sont porteurs, etc.) a une influence potentiellement négative sur toute la construction, modifiant les équilibres pensés à la conception et mis en place.

    Il faut aussi envisager les possibilités réelles dans notre pays de laxisme, d’incompétence, voire de corruption, dans l’évaluation des risques, la délivrance de permis de construire, et la réalisation des travaux. On ne parle plus de maison individuelle là, mais de projets qui peuvent affecter plusieurs habitants en cas de problème ! Mieux vaudrait d’abord envisager la réfection de bâtiments existants à mon avis, ils sont légion.


    • Seth 25 avril 13:15

      @ZenZoe

      Les structures sont effectivement en général conçues par rapport au poids final ne serait-ce que pour des raisons de coût. Alourdir n’est pas forcément évident.

      Il y a ensuite la question des sols. Le « bon sol » est celui qui est à même de supporter un poids donné. Or le sous-sol de Paris est un gruyère. On peut toujours surcharger mais si c’est à condition de faire des reprises en sous-oeuvre, ça va coûter un bras. Tout est possible : ouvrir voire même détruire un mur porteur pour le remplacer par des poteaux, tout cela bien sûr après calculs.

      Avant ce type de travaux en milieu urbain il faut bien sûr un état des lieux précis de tous les immeubles qui ressentiront les effets de ces travaux (fissures, etc...) avdec reprise de tous les dommages que cela aurait pu entraîner.

      Et puis bien sûr il faut pour de tels travaux installer un chantier en pleine ville. Déjà que c’est coton pour un ravalement de façade, là il va falloir tout le bordel : les algéco, les chiottes, les salles de repos, les douches, éventuellement une salle de réunion, un passage des engins, possiblement l’implantation d’une grue fixe et suivant la nature de la rue, un point de retournement.

      Quand j’étais en formation, on a du faire ce genre d’installation de chantier, je peux vous garantir que c’est infernal et la surface exigée très importante impacte automatiquement l’accès aux immeubles mitoyens. Sans oublier la protection des arbres s’il y en a, le nettoyage de la voie de circulation, etc, etc...

      Attal est un petit garçon propret de l’Alsacienne qui ferait mieux de ne pas causer de ce qu’il ne connait pas. smiley


    • amiaplacidus amiaplacidus 25 avril 16:27

      @Seth :

      « ...Or le sous-sol de Paris est un gruyère.... »


      Combien de fois faudra-t-il répéter que le gruyère n’a pas de trous, tout comme le
      comté ou le beaufort ?
      Si ces fromages ont le moindre trou, ils sont disqualifiés, c’est le signe d’une fermentation indésirable.

    • ZenZoe ZenZoe 25 avril 17:43

      @Seth
      On est bien d’accord !


    • ZenZoe ZenZoe 25 avril 17:45

      @amiaplacidus
      C’est vrai, les gens confondent emmental et gruyère. Le goût n’est pourtant pas le même, et le gruyère est plus fondant, pour des gratins notamment.


    • Seth 25 avril 18:12

      @amiaplacidus

      C’est vrai, en plus j’ai acheté du gruyère ce matin. Mais que voulez-vous, c’est une « expression consacrée ». smiley


    • pasglop 25 avril 12:09

      Le tout en sachant que 15% des logements parisiens sont vides toute l’année.


      • Seth 25 avril 13:18

        @pasglop

        Il serait possible en effet que ces travaux titanesques se terminent par une montée vertigineuse du b n b mais ce ne serait que justice : la petite bourgeoise est une mine de voies fidèles pour le pouvoir à la macron que l’on supporte en Frôôôôônce depuis des lustres.


      • Seth 25 avril 13:22

        @Seth

        Et naturellement il faudrait un contrôle drastique de l’occupation des logements avec surtaxe dissuasive pour les vacants. Faudrait commencer par là mais les anti-ISF ne vont pas prendre ce risque.

        Et puis Hidalgo, défenseuse féroce du tourisme à outrance ne va pas mettre fin au b n b et au petit profit (au noir si c’est possible)..

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