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#79 des Tendances

Considérations sur le chaos du monde II

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Suite à notre premier texte sur la dialectique du monde et ses contradictions, nous allons voir l’autre côté, celui du renforcement dialectique, notamment de l’occident, et de la réponse possible de la population occidentale elle-même.

Note préalable. Grâce à une remarque d’un lecteur attentif, nous allons d’abord revenir sur Sartre.

Ce qui en était dit : « Sartre : le règne du pratico-inerte et la dialectique de la rareté. La machine et la sérialité engendrent une humanité qui en est dépendante. Les mouvements de révolutions permettent de passer du collectif au groupe lié par le serment où chaque personne est libre par le serment qu’il fait de solidarité. C’est la rareté qui crée la contrainte. On débouche toujours sur une nouvelle rareté lorsque la précédente a été résolue. Inhérent à l’être humain. »

Dans son ouvrage Critique de la Raison dialectique, Sartre cherche à réinvestir le sujet dans la dialectique, et analyse le système capitaliste comme étant le règne de la machine sur les hommes, celle-là étant finalement maître de l’organisation et de la réaction qui pouvait en être faite. Les hommes sont séparés entre eux, comme dans une série, ou par exemple ceux qui prennent le bus sont soumis aux capacités du bus et sont dans une situation où l’autre est celui qui peut prendre ma place, donc d’hostilité. Le fonctionnement des transports conditionne les relations des passagers entre eux qui sont dans l’inertie face au fonctionnement pratique de la machine « bus ». C’est la rareté des places qui crée la condition d’inertie et d’hostilité. Il oppose au collectif inerte le groupe sous serment, qui apparaît par exemple lors de la révolution française lorsque les troupes attaquent le peuple. Au lieu de fuir chacun pour soi, dans une série inerte, des groupes se sont formés, où la survie de chacun était conditionnée par la lutte de l’autre. L’autre n’est plus hostile, mais au contraire, celui qui dans la situation similaire peut apporter son soutien. Il devient le même que soi.

Renforcement du système.

C’est en 1968 qu’est apparu, en France et dans certaines autres parties du monde, un mouvement d’ampleur de contestation du système. En France, ce mouvement a eu deux côtés à la fois parallèles chronologiquement et perpendiculaires idéologiquement.

D’un côté les ouvriers qui se mettent en gréve pour des revendications sociales, sur les salaires, le temps de travail, la reconnaissance sociale, plutôt proche de la CGT et du parti communiste et de l’autre un mouvement étudiant libertaire prônant l’évolution des mœurs, la liberté, l’interdiction d’interdire. À chaud, suite aux accords de Grenelle, il est apparu que le côté social l’avait emporté, d’auatnt plus que les élections portaient un parlement plutôt à droite. Mais en fait, le capitalisme post-gaullien, à partir de Pompidou avait intégré l’idée qu’une ouverture des mœurs pouvait être favorables à un resserrement social concomitant. C’est ce qui a depuis 1968 été systématiquement mis en œuvre, y compris par Giscard avec simultanément l’ouverture à l’IVG et l’évanouissement progressif de l’avancée sociale suite aux accords de Grenelle. Contrairement au capitalisme traditionaliste issu des forges, austère et bien-pensant, on donne du mou sur les mœurs pour serrer davantage la vis des conditions sociales réelles tout en laissant filer la consommation. Pendant que l’on achète des frigos, téléviseurs et des condoms, on ne voit pas l’effritement de la sécurité sociale, de l’enseignement, de l’industrie et de l’ensemble des services publics conjointement au développement indéfini du chômage. Si à l’époque la gauche communiste résiste encore, la gauche socialiste s’engouffre tête éperdue dans ce mouvement, avec en prime un anticommunisme de plus en plus prégnant, jusqu’à l’effondrement de l’URSS. Le nom de Glucksmann résonne en ce sens comme un signe qui ne trompe pas.

Aujourd’hui ce mouvement se poursuit avec le wok(en)isme et les JO 2024 en voient l’apothéose jusqu’à la laideur assumée.

L’ouverture des capitaux permet au capitalisme, et aux oligarchies, d’ouvrir leur réseau afin de choisir les pays leur permettant l’optimisation financière et des profits. N’étant plus liés au sol, mais en situation d’extraterritorialité, elle permet aux capitalistes d’imposer leurs lois anti-sociales aux États, installant des usines et retirant d’autres où bon leur semble. Ce ns sont plus les peuples qui décident, ni les institutions étatiques, ce sont les réseaux capitalistes et financiers. Le mouvement social est démuni, car une gréve, une révolte, un mouvement d’ampleur dans une région voire un État, voire un gouvernement favorable comme ce fut le cas en Grèce, ne servent à rien, entraînant liquidations d’entreprises qui délocalisent ou le boycott financier d’un État rapidement réduit à la faillite. Le peuple se voit ainsi confisqué de ses anciens moyens de réaction et les gouvernements n’hésitent désormais plus à réprimer jusqu’au bout tout mouvement populaire de contestation. L’Europe des régions est une étape de plus dans l’affaiblissement de la capacité des États, qui ainsi n’existeraient plus du tout, à contrer les injonctions des entités financières et capitalistes internationales

Cette bascule s’est produite progressivement à partir des années quatre-vingt et n’a cessé depuis.

La dernière bascule qui permet le renforcement du système est celle de la dématérialisation du capitalisme, entamé par Bill Gates avec Microsoft, poursuivi depuis par les GAFAS et rejoint, via l’extension des brevets, par Pfizer et le Big Pharma. Il n’est d’ailleurs pas anodin que Bille Gates s’intéresse justement aux vaccins, source de profits immatériels* considérables. Cela ouvre une possibilité de profits considérables sans fabrication concomitante et on comprend pourquoi il est indispensable aux États-Unis d’interdire Tik-Tok, dont les profits potentiels risquent de leur échapper. Les USA inondent la planète de leurs produits mais interdisent à quiconque d’entrer sur leur territoire : ce sont leurs fameuses règles bien connues. Les peuples se retrouvent à nouveau sans moyen puisque c’est leur existence même qui est menacée, dans la mesure où le profit immatériel a besoin de très peu de main d’œuvre pour être mise en place (les équipes de conception), d’autant plus qu’avec le développement de l’IA, les professions intellectuelles sont à leur tour touchées. Ce n’est plus la serveuse, l’ouvrier manuel ou la caissière qui est remplacée par la machine, mais désormais l’ingénieur, l’auteur de scénario, le présentateur de télévision, ou même l’acteur de cinéma. Pour le moment, la livraison à domicile voit l’extension d’emplois bas de gamme, mais ceux-ci seront bientôt à leur tour remplacés par des drones de livraison.

Possibilité d'une réaction ?

Chaque être humain se retrouve alors seul face au système, doté de son écran, de son smartphone et de ses réseaux sociaux, à travers lesquels il communique tout en alimentant le système qui le détruit. On est exactement dans la situation que Sartre décrivait, le champ de la sérialité pratico-inerte : c’est la machine qui décide des relations entre être humains squizés entre eux et attachés à un flux d’informations qu’ils ne maîtrisent pas mais qui les emprisonnent. De ce point de vue, une élection ne permet pas de sortir de la sérialité pratico-inerte, au contraire, puisque chaque vote est la série d’une suite sans que ceux qui votent n’aient quelque échange que ce soit. Ce sont les élus qui décident alors ce qui est bon ou non pour la population, en réalité pour eux-mêmes.

Comment une population peut-elle dépasser cette situation qui peut aller jusqu’au tragique lorsque sa survie est en cause, comme cela semble le cas actuellement pour la France (et l’UE en général) ?

Nous venons de parler de flux d’information. Je crois que c’est par là, qu’il faudrait commencer. Car c’est ce flux d’information qui lie chacun, non avec l’autrui d’à-côté, mais avec le grand Autrui que le système impose. Celui qui dit le Vrai. La vérité, comme la beauté et la justice, a perdu son statut, remplacée par le mensonge au quotidien, mais ce flux de mensonge, justement, se dit le Vrai, ce à quoi l’on doit croire et constitue la référence, même pour ceux qui en contestent la véracité. Retrouver la liberté intérieure consiste alors à couper ce flux, se retrouver avec soi et avec l’autrui d’à côté, celui ou celle qui était rivée sur son écran et n’en démordait pas, pour enfin se parler entre être humains sans intermédiaire de la machine systémique de surveillance et d’injonction.

À partir de là, d’ouverture en ouverture, un mouvement peut se créer, un peu comme les Gilets Jaunes, libéré des icônes cybernétiques, ou des écrans mangeurs de cerveau, pour que les personnes se parlent d’égale à égale, dans la solidarité et la cordialité et ensemble dire non à notre destruction par le système devenu inhumain.

___________________________

* : ce sont des profits immatériels dans la mesure où c’est le brevet, répété sur chaque exemplaire, qui est vendu par Pfizer, avec une fabrication qui peut être indépendante.

 


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4 réactions à cet article    


  • Sylfaën.H. Sylfaën.H. 7 mai 19:33

    Retrouver la liberté intérieure consiste alors à couper ce flux, se retrouver avec soi et avec l’autrui d’à côté, celui ou celle qui était rivée sur son écran et n’en démordait pas, pour enfin se parler entre être humains sans intermédiaire de la machine systémique de surveillance et d’injonction.

    La liberté intérieure fera baisser le chômage, annulera l’inflation, empêchera les guerres, rendra les entreprises vertueuses, ...
    Vous invitez là les populations à s’interdire de faire-blok, pour CONTEMPLATION du Chaos, et aller voter aussi ?

    .

    À partir de là, d’ouverture en ouverture, un mouvement peut se créer, un peu comme les Gilets Jaunes,

    Comment de 1 à 1 voulez vous faire Mouvement ? S’ils sont tous très convaincant, on devrait voir un mouvement d’ici 2 ou 3 millénaires smiley

    .

     et ensemble dire non à notre destruction par le système devenu inhumain.

    Les jeunes gueulent ! Ils sont seuls !! Ils se font cracher dessus !!!

    Cà à l’air bien votre mÔnde. Arrêtez de dialectiser smiley



      • Christophe 8 mai 09:59

        @l’auteur

        Il y a déjà pas mal d’années que la philosophie dénonçait la société de communication en faisant usage des outils intermédiaires ; Jurgen Habermas écrivait même : La communication devient la Voix unique, qui seule peut unifier un univers ayant perdu en route tout autre référent. Communiquons. Communiquons par les instruments qui ont, précisément, affaibli la communication. Voilà le paradoxe où nous sommes jetés.

        Lucien Sfez exposait clairement : il ne serait sans doute pas venu à l’esprit d’un Grec du cinquième siècle de voir dans la cité une « société de communication ». Un citoyen grec ne doutait pas des vertus du langage et de la discussion, mais à ses yeux une idée de ce genre n’aurait pas représenté beaucoup plus qu’une tautologie sans intérêt : On ne parlait pas de communication dans l’Athènes démocratique, car la communication était au principe même de la société.

        En remontant l’histoire, pour l’animal politique d’Aristote, la polis représentait un lieu d’échange et de parole dans lequel le citoyen puisait le sentiment de son appartenance à la communauté des êtres raisonnables. Citoyen et être de raison n’y faisaient qu’un. Mais comme le montre aisément la lecture d’Aristote, un tel sentiment demeurait lié à la conviction d’un règne ou d’une destination plus élevé que celui de la seule convention. Or des théories du contrat social, l’immanence des valeurs et des choix est un produit beaucoup plus tardif de l’histoire. Max Weber associait le phénomène de la rationalisation à une pluralité. Un enjeu important de l’idée de communication consiste apparemment à déterminer dans quelle mesure la guerre des Dieux (relire Weber) constitue notre horizon. La « communication » est aujourd’hui le lieu de ce débat.

        A l’étude de l’évolution des concepts liés à la communication, outil de transmission et de savoir, ne sommes-nous pas là à l’orée de notre régression sociétale ?

        Ne sommes-nous pas jetés, comme l’a souligné Lucien Sfez : dans une société qui ne sait plus communiquer avec elle-même, dont la cohésion est contestée, dont les valeurs se délitent, que des symboles trop usés ne parviennent plus à unifier  ?

        Toute tendance instaurée par la plèbe sous influence voit naître sans cesse des idéologies, et comme le soulignait Ludwig Wittgenstein, tout ce que le philosophe peut faire, c’est de détruire les idoles. Et cela ne veut pas dire en forger de nouvelles.


        • Sylfaën.H. Sylfaën.H. 8 mai 16:51

          tout ce que le philosophe peut faire, c’est de détruire les idoles. Et cela ne veut pas dire en forger de nouvelles.

          Les idoles représentent La Finalité : pour Quoi, à quelle fin on roule, chacun.
          Quand on entend des « gens » dirent qu’ils ne savent pas ce qu’ils font sur Terre, je ne vois aucun intérêt à les écouter, ou presque smiley

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