La Bible ’’de Babylone’’ : Bras religieux d’un Coup Politique
Voici un siècle, à la lumière des découvertes de l'Assyriologie, le Pasteur A. Westphal disait sa perplexité sur certains textes de la Bible. Depuis, l'archéologie a mis au jour bien d'autres aspects qui contrastent avec les textes bibliques. Ce qui renforce la perplexité, et qui invite à penser que de grands pans de la Septante sont en fait le Bras religieux d'un Coup Politique ourdi à Babylone.
Ces textes ''étrangers'', qui ne sauraient être ''de Dieu'', se sont trouvés intégrés à nos textes sacrés et, en cohérence, leurs logiques sont passées dans nos pensées et actions politiques. Le Patriarche Bartholomée soulignait qu'il est nécessaire de traiter les racines éthiques et spirituelles des problèmes. Car autrement, nous n'affronterions que les symptômes.
(photo JPCiron)
Préambule
L'objet de cet article est de proposer d'entreprendre l'étude de cette hypothèse plausible. Le sujet est d'importance de par ses potentielles implications régionales ou mondiales, dans plusieurs domaines. Mais ledit sujet est aussi de manipulation difficile dans un environnement de cordes sensibles et de mythes enracinés.
Aussi cette hypothèse mérite-t-elle d'être approfondie et étayée par des érudits et des chercheurs ''indépendants''.
Cette hypothèse est la résultante de recherches effectuées sur nombre de questionnements spécifiques, qui m'ont amené à des conclusions ponctuelles dans différents articles. Du regroupement de ces conclusions émergea, comme dans un puzzle, l'hypothèse proposée ici.
Introduction
La Bible dont je parle est bien la Septante. Il s'agit d'un travail de compilation commandé par le roi Égyptien Ptolémée, pour enrichir sa bibliothèque. La traduction s'étala sur les III et II siècles avant JC. Selon Néhémie (13:23-24), l' hébreu n'était plus guère parlé dès avant l'exil des seules élites à Babylone. Les textes retenus pour ce travail de traduction étaient une sélection-collection de manuscrits d'origines géographiques variées, produits par de nombreux scribes, sur plusieurs siècles. Ces textes originaux, rédigés en Hébreu, Araméen et Grec, n'ont jamais été retrouvés. La traduction a été faite dans la langue à l'époque dominante en basse Égypte : le Grec ancien. D'où l'expression ''Septante grecque''.
La datation des écrits (ou copies d'écrits) formant les « manuscrits de la Mer Morte » (100.000 fragments relatifs à 900 documents, dont 200 ''bibliques'') va du III siècle avant JC au 1 s après JC. L'on ne sait rien de l' Hébreu Biblique en termes d'orthographe, grammaire, syntaxe et idiomes. Et l'on trouve davantage de lieux Bibliques en Asir/Hijaz qu'en Palestine. (ref. Der Spiegel / Kamal Salibi)
Notons en passant que la Septante grecque est rédigée en consonantique. Et son vocabulaire est étonnamment limité par rapport, par exemple, aux textes grecs de l'époque.
Le caractère sacré qui a été plus tard attribué à la compilation la rendit intouchable. Et certaines de ses Valeurs implicites se transmutèrent, au fil des siècles, en divers pays & continents, en Principes et Actions politiques, qui peuvent être questionables à la lumière des valeurs de textes postérieurs.
Précisons par ailleurs qu'il ne s'agit nullement ici de contester des réalités historiques induites, parfois vieilles de plusieurs siècles, mais de chercher à mieux éclairer certains des processus qui y ont participé. Ce qui enrichirait la compréhension de notre monde d'aujourd'hui, qui prépare celui de demain.
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L'intégration des vues de trois auteurs a été pour moi libératrice :
Les croyances & pensées religieuses infiltrent-infusent l' idéologie Politique.
« A côté de chaque religion se trouve une opinion politique qui, par affinité, lui est jointe. Laissez l'esprit humain suivre sa tendance, et il réglera d'une manière uniforme la société politique et la société divine ; il cherchera, si j'ose dire, à harmoniser la terre avec le ciel. » (De la démocratie en Amérique – Alexis de Tocqueville - 1986)
Certains textes bibliques fondamentaux sont source de perplexité.
« Car enfin, le propre de Jéhovah, dès son apparition, c'est de commander et de frapper impitoyablement quand il est désobéi. Étrange entrée en matière, pour une divinité sans états de service, qui cherche à se substituer aux vieux théraphim d'Israël. Si Jéhovah est un dieu d'emprunt, je ne m'explique ni les débuts de son culte, ni le zèle du patriote qui le prêche, ni la crédulité du peuple qui lui consacre des autels. » (L' Histoire du peuple d'Israël – Théologien Alexandre Westphal - 1903)
De nos jours, certains auteurs semblent avoir les idées plus claires et exprimables.
« Homo sapiens est une espèce post-vérité, dont le pouvoir suppose que l'on crée des fictions et qu'on y croie. (…) il semble bien que nous vivions bel et bien dans une ère terrifiante de post-vérité, quand (…) des histoires et des nations entières pourraient bien être faux. » ( 21 leçons pour le XXI siècle - Historien Yuval Noah Harari - 2018)
Quand, tant aux niveaux régionaux que mondial, l'infiltration-infusion idéologique mène à des politiques où le sort du ''non-Prochain'' est sans importance par rapport aux prophéties existentielles adoubées-intégrées par le politique, alors, il s'agit d'une situation qui n'opposera pas de frein aux penchants de dominance ou de suprématie : une situation potentiellement dangereuse pour tous. Surtout si ces idéologies infusent des États militairement puissants habités par un mode de pensée binaire de type Bien-Mal, qui invite à la radicalité.
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Certains mythes sont communs à quasi toutes les confessions inspirées de la ''Religion du Livre''. Je pense en particulier au mythe de la Mission Divine ''de témoignage'' (en langage Académique) qui se comprend comme mission de domination-colonisation régional ou mondial (en termes politique). D'où l'émergence, pour les populations issues de ces confessions, du sentiment de ''nécessaire'' confrontation des uns contre les autres, pour des raisons de commandement divin, habillés politiquement de raisons de libération ou d'assistance.
Pour ce faire, le mythe du Prochain crée en creux le concept de ''non-prochain'' dont il apparaît que le sort est le plus souvent considéré comme étant sans importance.
Certaines confessions considèrent être le peuple Choisi, à côté du peuple Élu. D'autres ont par contre considéré être, eux, le peuple Élu, en substitution. En tout cas, tous disent oeuvrer pour la paix. Au final, la Paix promise viendrait des conversions-soumissions (Zacharie 14) (Daniel 7:27) (Isaïe 56:7-10) et de l'extermination des récalcitrants (Isaïe 56 : 12). La paix donc selon les termes de chacun face aux autres.
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La datation des textes de la Septante montre que les passages importants (généalogies/ passage en Égypte/ entrée en Canaan) ont été rédigés-modifiés dès l'exil à Babylone des seules élites Judéennes. Textes qui ont été complétés-retouchés jusqu'au III ou II siècle avant JC, avant d'être intégrés aux textes qui composeront la Septante grecque.
Notons en passant le Mythe de la grande dispersion via l' Exil par les Romains, qui n'apparaît nulle part dans les pourtant riches archives des puissances de l'époque ; lesquelles mentionnent par contre l' expulsion de Jérusalem. La ''dispersion'' a d'autres causes.
Hypothèse
La lecture du contenu des textes conforte dans l'idée que l'essentiel de la Septante n'est pas le texte théologique que l'on croit, mais plutôt le bras religieux d'un coup politique en préparation. Voici un résumé ''compressé'' de l'analyse qui me semble répondre aux perplexités du Pasteur Westphal :
Aux temps bibliques, la loi du dieu du vainqueur était imposée au vaincu. Avec la prise de contrôle des Perses sur l'empire babylonien, les règles changent : le vaincu peut conserver dans son pays la loi de ses dieux (expurgée des éléments incompatibles avec la loi du roi Perse). De la sorte, la loi de la province conquise par le roi Perse devient un sous-ensemble du cadre juridique de l'empire Perse. Les Perses ne pratiquant pas les déportations de populations, il leur était donc naturel de libérer les exilés qu'ils trouvaient dans les contrées conquises, dont les judéens de Babylone.
La plupart de ces Judéens, intégrés, ont choisi de rester dans leur nouvelle patrie. Une minorité a perçu l'opportunité que constituaient ces nouvelles règles. En effet, les Judéens étaient appréciés à la Cour. Certains ont donc choisi de se préparer à un 'retour' dans la petite province Perse de Yehud. Avec en tête l'idée, dans une de Perse Achéménide faiblissante, de contrôler à terme bien plus que le petit territoire de Yehud. D'où la place particulière du pays de Canaan dans les textes produits alors.
L'important était donc de structurer une Loi du dieu des judéens qui favorise la prise de pouvoir en Yehud des ex-exilés, dès leur arrivée en Yehud comme envoyés représentants du roi Perse... Loi qui leur réserve aussi le pouvoir, pour la suite éventuelle.
Le texte biblique raconte que, dans cette contrée aux cultes variés, essentiellement Cananéens, le récit de la réforme qu'aurait envisagé/entrepris le roi Josias, juste avant l'exil des élites à Babylone, aurait alors déjà visé à ''prendre la main'' avec YHWH, au milieu de nombreux autres cultes. Ce choix étant validé, me semble-t-il, par le fait que ce dieu-là avait déjà été suivi autrefois (parmi d'autres divinités) du temps de Omri.
Peut-être les premiers ''Israélites'' furent-ils d'ailleurs issus de tribus Kénites/ Arabes (ref. Thomas Römer), peut-être venus à l'époque avec leur dieu YHWH, qui se serait ajouté aux dieux Cananéens, dont le Grand Dieu ''El'', qui donna son nom à Israël.
Pour nos Judéens, il restait donc à élaborer l'imaginaire (pseudo) religieux qui leur paverait la route pour leur Projet politique de ''retour'' dominateur en Canaan. Cet imaginaire, composé d'une douzaine d'éléments fondamentaux, mûris durant l'Exil à Babylone, a constitué le 'bras religieux' du 'coup politique' mis en oeuvre durant l'effondrement de la Perse Achéménide.
Pour ce faire, la rédaction de la Loi intègre-retouche les textes antérieurs, et privilégie les principaux axes suivants :
> En fin d'exil, ce dieu YHWH était alors toujours peu connu sur le terrain, au nord-ouest de la péninsule arabique (archéologie) (Bible Septante). Mais ils étaient cependant plusieurs de ce nom dans la région : certain ici avec parèdre, là sans. L'autre avec aussi un fils. Il est alors affirmé qu'ils ne forment qu'un. Et, grâce à un habile stratagème inspiré de traditions égyptiennes, son unique ''maison'' sera le temple de Jérusalem, au centre de Yehud ! L'avantage étant que, envoyés du roi Perse en Yehud, ce sont les ex-exilés qui fourniront les prêtres-prophètes. Ainsi que le satrape (Judéen) du roi Perse qui assurera la mise en œuvre et le respect de la Loi...
> Au moment du 'retour' en Yehud, YHWH serait néanmoins là une divinité perçue comme immigrée, venant ''du Sud'', ''sans états de service'' en Canaan. Les récits bibliques créditèrent donc YHWH d'exploits (fictifs) extraordinaires en Égypte, situés dans un passé lointain oublié des peuples (et absents des archives archéologiques).
> Après quoi, dans ce passé mythique lointain, le même récit raconte la (fictive) prise de possession violente de Canaan par le peuple Hébreu, après en avoir repoussé-massacré les habitants sur commandement du Dieu YHWH : une prise de possession (imaginaire) du territoire.
> Le récit raconte aussi que YHWH prend la place de Baal au Temple (...de Baal ! ) où YHWH ''hérite'' donc de Astarté, la parèdre de Baal. Le récit (symbolique) raconte l'égorgement de centaines de prophètes de Baal... Quelque temps plus tard, l 'idole d'Astarté sera sortie du Temple et brûlée. Et le Culte d'Astarté sera bientôt interdit... (ref. Septante)
> Le concept fédérateur de ''peuple Hébreu'' avait été inséré lui aussi dans le texte, conceptuellement installé dans les temps anciens d'avant la mémoire des peuples. Il s'agit d'une construction très structurée, géniale pour l'époque. La population-cible de Canaan était en fait d'une grande diversité d'origines et de croyances (réf Bible & archéologie). On affirme néanmoins que c'était là un seul peuple, le peuple Hébreu, qui aurait autrefois vénéré YHWH, mais qui s'en serait écarté pour d'autres divinités.
Notons que le peuple Hébreu n'apparaît nulle part dans les archives des peuples et civilisations d'alors de la région. Et l'archéologie y confirme la constante prépondérance, dans le temps, des divinités Cananéennes. Tout comme le dit aussi la Bible Septante.
Les Hébreux sont donc ''apparus'' d'abord dans la Septante.
> Le texte suggère que YHWH était plus puissant que les dieux gigantesques des empires Égyptien, Babylonien et Assyrien ; d'ailleurs, le texte assure que c'était bien YHWH qui contrôlait le dieu assyrien Assur, et que c'est YHWH qui avait fait envoyer les Assyriens pour faire massacrer-violer-piller Son propre peuple en Samarie, et ainsi le punir de l'avoir autrefois abandonné.
Note : les Assyriens firent réellement disparaître les dix tribus de Samarie (ref. e-talmud.com), remplacées par des tribus Arabes (ref. archives Assyriennes).
Le texte biblique assure aussi que le roi Perse, oint par l'Esprit de Dieu, fit plus tard libérer les exilés à Babylone. Notons que, du côté des Babyloniens, vaincus par le roi Perse, leurs prophètes babyloniens assuraient eux aussi que leur dieu "Marduk a visité la totalité du pays et a vu celui qu'il cherchait pour être un roi juste, un roi d'après son propre coeur, qu'il guiderait par la main. Il a prononcé son nom : Cyrus d'Anchan, et il a désigné son nom pour la royauté sur tout." (R. Ghrisman - 1951)
> Des écrits religieux existaient dès avant l'exil à Babylone, qui ne pouvaient être ignorés.
Aussi, l'adjonction d'une généalogie ad-hoc écarta toutes les descendances ''indésirables'' ou gênantes pour le Projet politique. Y compris la mise hors jeu du peuple qui était resté ''dans les ruines'' en Judée après l'exil des élites. Deux ''articulations'' généalogiques ont été intégrées avec Abram/Abraham et Jacob/Israël. Avec lesquelles, plus tard, les Chrétiens ont dû eux aussi composer pour y intégrer Jésus.
> Parallèlement, la gigantesque ''Terre Promise'' initialement mentionnée pour le peuple Hébreu s'ajuste géographiquement pour venir s'adapter à un ''retour'' via la minuscule province Perse de Yehud.
Notons que la lecture-interprétation des textes, faites siècles après siècles, par des populations de diverses confessions, ont généré une demi-douzaine de Terres Promises, de dimensions et localisations différentes. Avec une variété de modalités de cohabitations plus ou moins démocratiques avec les indigènes.
> Au temps de l'Exil à Babylone, le concept d'Au-delà était déjà présent, depuis des millénaires, chez tous les grands peuples de la région (lesquels étaient alors essentiellement d'expression non-sémitique). Les exilés se sont par ailleurs largement inspirés de ces peuples, sur d'autres sujets : ce sont principalement les Sumériens, Perses, et Égyptiens. Les élites judéennes ont préféré rester sans Au-delà pour la Loi de leur ''retour''. En effet, YHWH ne diffère pas ses châtiments : il frappe mortellement ceux qui désobéissent à ses commandements. Ce qui est en parfaite cohérence avec le Projet politique des futurs ex-exilés. D'autant plus qu'ils devenaient gardiens de la Loi et garants de son respect sur le terrain.
> En outre, pour plusieurs confessions, la combinaison des concepts de ''particularisme'' (peuple saint, élu/choisi, doté d'une mission divine) et de ''Prochain'', rendent le sort du non-prochain sans importance en présence d'un sentiment de péril existentiel, ou en vue de la réalisation d'une prophétie essentielle. Ces concepts correspondent en fait aux logiques de la cruelle ''guerre sainte'' des Assyriens., qui permettent-justifient-valident tous les excès.
au final
Le Pasteur et Théologien A. Westphal soulignait le fait que la tant attendue rénovation théologique n'avait pas eu lieu. Ce qui nous semble également fort regrettable.
Car ces grands pans de textes politico-religieux, issus de l'imaginaire et nourris de non-vérités, ne sauraient être ''de Dieu'', et constituent donc des faux (Jean 14:6). Qui ont cependant été (et sont toujours) considérés comme parole divine par diverses populations de diverses confessions.
Et pourtant, nos sociétés inspirées ''du Livre'' s'organisent autour de fictions ''vendues comme réalités'' mais qui furent créées-inventées autrefois pour servir un objectif spécifique de domination autoritaire sur un territoire. Utilisés aujourd'hui, les mêmes textes mènent nos sociétés à agir en cohérence, dans ''une ère terrifiante de post-vérité.'' Tant pour les ''non-prochains'' lointains que pour les croyants des autres sociétés inspirées par le même Livre.
Or, on reconnaît le bon arbre à ses fruits (Matthieu 7 : 15-19).
Quels fruits ? Droit et Justice, Égalité, Dignité, Équité,...
Sans rénovation, l'information peut aider à pallier la ''défaillance'' théologico-politiique, sans cependant traiter le problème à la source. En effet, le Patriarche Bartholomée n'a-t-il pas « attiré l'attention sur les racines éthiques et spirituelles des problèmes » qu'il convient de traiter « parce qu'autrement nous affronterions uniquement les symptômes. » (Laudato Si')
JPCiron
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