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Commentaire de Étienne Chouard

sur De la démocratie Internet


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Étienne Chouard Étienne Chouard 6 juillet 2006 21:56


Sylvain,

1. Le débat n’est pas sur la démocratie directe intégrale (que personne ne souhaite vraiment), mais sur le contrôle citoyen de la démocratie représentative que tout le monde attend (sauf les politiciens de métier qui redoutent évidemment ce contrôle).

Vous dites : « qu’aucune démocratie directe par en bas ne peut fonctionner », mais personne n’a vanté ici la démocratie directe intégrale, il me semble. En effet, nous sommes probablement trop nombreux pour cela : à Athènes où la démocratie directe a fort bien fonctionné pendant un siècle, la Cité comprenait 30 à 60 000 citoyens seulement et des contre-pouvoirs autrement plus honnêtes et performants que ceux que nous connaissons aujourd’hui. Cependant, M.H. Hansen, dans son livre monumental « La démocratie athénienne », soutient que les techniques modernes alliées aux méthodes classiques permettraient très bien de se rapprocher de la démocratie grecque, directe. Mais laissons cela.

En revanche, je réclame « une honnête et puissante participation citoyenne » à des représentants qui nous la refusent obstinément. C’est ce refus multi centenaire qui me conduit à utiliser les mots « trahison » et « voleurs de pouvoir », (et je ne suis pas le seul : il faut être sourd pour ne pas entendre partout les gens haïr ou mépriser leurs soi-disant « représentants » qui ne font plus qu’à peine semblant d’écouter leurs électeurs). Ces mots soi-disant exagérés correspondent donc exactement, en fait, à une situation elle-même exagérée, objectivement.

2. La cause à l’origine des mauvaises Constitutions : la malhonnêteté de leurs auteurs, à la fois juges et parties.

Et comme on laisse ces « représentants » écrire eux-mêmes les règles éventuelles de la participation citoyenne, force est de constater notre totale impuissance citoyenne entre deux élections (elles-mêmes truquées, de surcroît, par l’absence de reconnaissance du vote blanc et par diverses magouilles électorales archiconnues).

Donc, en affirmant l’impossibilité de la démocratie directe totale, vous déformez l’enjeu, involontairement sans doute, sans contredire ma thèse, qui est beaucoup plus réaliste que vous ne le dites.

3. Qui est légitime pour écrire UNE Constitution ? (pas LA Constitution : UNE... chacun la sienne, en quelque sorte) Ne pas répondre trop vite.

Par ailleurs, vous dites : « Etienne Chouard n’est pas plus le peuple que la commission qui a élaboré le TCE ».

À l’évidence, personne n’est plus « le peuple » qu’un autre, mais quand on a dit ça, on n’a pas dit grand-chose, n’est-ce pas ?

En tout cas, pour ma part, je n’ai évidemment jamais songé incarner le peuple, ça prête même à sourire, bien sûr... drôle d’accusation...

Par contre, je revendique pour chacun sur terre le droit de réfléchir concrètement à la constitution qu’il souhaite et même à l’écrire, en se gardant bien de ne jamais abandonner cette réflexion à des spécialistes, de peur de voir confisquer le précieux droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Vous avez raison de souligner que tous ces groupes (« la France », « le peuple », « la base », la classe ouvrière, les travailleurs...) sont souvent des mythes, des fictions rhétoriques, admettons ; mais ces vues de l’esprit ne débouchent pas forcément sur de la démagogie, Sylvain : vous fabriquez là, peut-être, des œillères qui vous empêchent de sortir de vos schémas : on peut parfaitement réfléchir autour des intérêts du « peuple » sans être un démagogue...

Évitons, autant que possible, les étiquettes simplistes (populiste, démagogue, fasciste, gauchiste, etc.) qui conduisent souvent à des visions caricaturales smiley

4. C’est au peuple de choisir lui-même ses représentants constituants, et rien ne l’oblige à désigner les mêmes que ses représentants ordinaires (pas la raison, en tout cas).

Ce que je prétends, et vous n’avez pas répondu sur ce point décisif qui est aussi simple que fort : il y a parmi le peuple, parmi « les gens » si vous préférez, certaines personnes qui ont un intérêt personnel à tricher avec l’institution de contre-pouvoirs : ce sont ceux-là même qui vont enfiler les habits du pouvoir (soit par élection, soit par nomination).

J’ai du mal à imaginer que vous ne soyez pas d’accord sur cette évidence.

Sommes-nous obligés de traiter ces personnes à égalité avec les autres et de faire comme s’il n’y avait pas de problème, aucun soupçon de maquillage déloyal, nul risque de formulation tricheuse ? Quel est votre intérêt sur cette position, Sylvain ?, je ne vous comprends pas.

Je prétends, pour ma part, que nous sommes bien fous, (nous : « tous les autres », ceux qui ne sont candidats à rien et qui consentent à déléguer leur souveraineté, mais pas n’importe comment), nous sommes bien fous de laisser définir les limites des pouvoirs que nous savons fort dangereux par ces citoyens-là qui ont précisément un intérêt personnel marqué à ce que ces contre-pouvoirs soient factices.

C’est pourtant clair comme de l’eau pure, ce que je dis là, non ?

5. La Convention européenne et la Conférence intergouvernementales sont des usurpatrices : elles n’ont aucune légitimité pour écrire la Constitution européenne. Elles abusent de leur pouvoir pour s’en arroger encore plus, sans limite. Ce n’est pas parce qu’elles le font qu’elles ont la légitimité pour le faire.

C’est cette présomption de malhonnêteté qui fait que la Convention européenne (qui grouillait de parlementaires, de ministres et de chefs d’État, sans compter les commissaires !), et la Conférence intergouvernementale (CIG, grouillant de ministres) qui a ensuite profondément tripoté le texte pendant des mois (vous avez oublié de le rappeler), n’ont aucune légitimité à écrire une Constitution pour l’Europe, au contraire ! Ces gens-là sont précisément les plus dangereux, pour nous, dans ce rôle de constituant. On marche sur la tête.

Ceci est fondamental et difficile à contredire, je trouve, pour tous ceux qui accordent de l’importance à l’honnêteté des auteurs d’une règle.

Je ne peux pas croire que vous ne soyez pas de ceux-là.

Ensuite, vous dites : « En fait, Chouard a un gros handicap : il ne peut faire valoir ses propositions comme européennes car il n’aucun ni moyen ni pouvoir de négociation à ce niveau qui est sur cette question le plus pertinent : il oublie systématiquement qu’il s’agit d’un traité international qui exige la production d’un compromis pragmatique avec des partenaires qui ne pensent pas comme lui ; »

5. Le « handicap » (pour réfléchir et proposer) de n’avoir aucun pouvoir.

D’abord, en soulignant cette évidence que je n’ai aucun pouvoir ni moyen de négociation, vous ne faites nullement la démonstration que j’ai tort smiley

N’acceptez-vous donc pour réfléchir aux problèmes de la Cité que les hommes actuellement ou prochainement au pouvoir ? Cela expliquerait mieux votre position, mais cela nous tiendrait durablement éloignés, car ce serait proprement inique, une démarche de cratocrate, de « voleur de pouvoir ». Mais là, je suis sûr que c’est un malentendu et que vous n’êtes pas comme ça.

6. Peut-on oublier que les Traités utilisés pour abandonner la souveraineté populaire sans l’accord direct du peuple sont une félonie ?

Mais surtout, on peut se demander qui oublie quoi : en prenant comme acquit et légitime que la construction européenne peut se faire à coups de traités, vous zappez commodément sur un des plus graves reproches que l’on peut faire aux « locataires » de notre souveraineté populaire qui n’ont aucune légitimité à se comporter en « propriétaires » de cette souveraineté, comme je le soulignai plus haut.

Vous acceptez apparemment sans résister le catéchisme médiatique dont on nous rebat les oreilles tous les jours, selon lequel la Convention et la CIG sont vraiment les plus légitimes des assemblées pour écrire une Constitution.

Moi pas.

Rappel : par notre Constitution nationale, nous consentons à obéir aux lois écrites par nos représentants élus et sous contrôle (tout cela est d’ores et déjà bien factice au niveau national, pour les raisons que j’ai dites), mais nous ne consentons pas (en tout cas, nous sommes au moins 54 % à ne pas y consentir) à perdre tout contrôle à l’occasion d’un transfert de notre précieuse souveraineté décidé sans notre accord direct et explicite.

Je suis consterné que vous laissiez, sans rien dire, le locataire disposer de l’objet (le vendre ou le donner)...

Consterné de votre exigence minimaliste (totalement nulle ?) en matière de contrôle citoyen des pouvoirs à tout moment. Il est politiquement suicidaire de s’en remettre aux seules élections comme contre-pouvoir : une vraie démocratie exige absolument des pouvoirs de surveillance, d’alerte, de jugement et de sanction, en plus des élections, actionnables à tout moment.

Consterné que l’on puisse retenir comme argument pour accepter le non contrôle des pouvoirs européens le fait que ce non contrôle existe déjà en France... Comme si un excès pouvait en justifier un autre...

7. OK pour un pouvoir centralisé et hiérarchisé...

Enfin, quand vous dites que « la stabilité est nécessaire à l’expression politique de la base, comme on dit, et que seul un pouvoir constitué plus ou moins centralisé et hiérarchisé est capable d’en faire une synthèse efficace et consentie en terme d’intérêt perçu comme général, en tout cas plus général que les intérêts particuliers contradictoires des forces sociales », je vous suis volontiers, mais vous n’avez pas fait la démonstration que ce pouvoir centralisé et hiérarchisé devait être placé en dehors de tout contrôle citoyen quotidien. (Vous parlez là d’autre chose que moi, il me semble.)

8. ... mais sous contrôle citoyen exercé à tout moment entre deux élections.

Or c’est précisément cette absence de contrôle des acteurs politiques qui se répand comme une gangrène à nos dépens et que je condamne en en cherchant les causes profondes. Je prétends que cette irresponsabilité n’est pas seulement évitable simplement (à condition de bien repérer notre erreur au moment décisif de l’écriture du pacte fondateur), mais qu’elle est très dangereuse pour nous tous (vous y compris).

Pourrait-on se concentrer sur cette idée phare que la délégation de pouvoir politique (nécessaire et souhaitable, à l’évidence, vous voyez que nous sommes d’accord) ne doit se faire que sous le contrôle effectif des citoyens, y compris entre deux élections ? Et que les règles qui permettent ce réel contrôle ne peuvent pas être écrites honnêtement par ceux qui vont être contrôlés ?

Pour raccourcir la distance qui semble nous séparer : est-ce vous pensez qu’on peut contrôler réellement les pouvoirs institués sans risquer la guerre civile que vous dites craindre ?

Moi, je suis sûr que oui.

Enfin, vous dites de moi : « Il aspire à un pouvoir qu’il ne peut pas avoir pour être longtemps crédible sinon sur une base confusément négative. »

Non, je n’aspire à aucun pouvoir, ce qui, justement, constitue une forte spécificité par rapport aux hommes au pouvoir et aux candidats, au moment de rédiger une Constitution.

Peut-être pas si négatif, si vous voulez bien considérer que, depuis un an, je passe mes nuits et mes vacances à mettre au point une alternative, une honnête Constitution d’origine citoyenne... valable aussi bien en France qu’en Europe puisqu’il y est question de protéger les personnes physiques, au lieu des États et des personnes morales comme le font prioritairement l’UE et le « TC »E.

Ce n’est pas si négatif que cela, n’est-ce pas ? Honnêtement...

Amicalement.

Étienne.


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