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Commentaire de Sylvain Reboul

sur Relisons Marcuse pour comprendre la France de Sarkozy


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Sylvain Reboul Sylvain Reboul 30 mai 2007 16:45

Le problème principal de la difficulté de construire une pensée réformiste socialement progressiste réside dans le fait que cette intégration des individus dans le système techno-marchand capitaliste généralisé dont vous parlez après Marcuse est rendu possible par ce que cet auteur appelait la dé-sublimation répressive (et/ou régressive), à savoir par le fait que la contrainte sociale que résume excellemment la formule de NS « travailler plus pour gagner plus » est (re)présentée comme consentie et fait écho au désir de consommer sans limites et tabous donc au seul progrès dans le pouvoir ou la puissance d’agir l’on puisse avoir dans ce système, en tant qu’individu dés-intriqué de tout devoir sociétal désintéressé ou de toute activité et relation sociale gratuite. Ce désir régressif fondamental s’exprime dans l’orientation de tous les désirs particuliers, sans vergogne moraliste ou religieuse, sans perte sacrificielle apparente, dans la consommation d’objets symboliques de la valeur narcissique que chacun désire affirmer aux yeux des autres et à ses propres yeux (Dieu n’est plus là pour promettre le salut en un autre monde).

Mais la condition impérative de cette dé-sublimation du désir d’être, libéré de la tutelle sourcilleuse de Dieu et de la morale sacrificielle transcendante du salut, est de se soumettre au travail, ou plutôt à l’employabilité, c’est à dire à la discipline et à la loi du profit, présentée comme une loi quasi-naturelle. La loi des marchés est, en effet, anonyme (fonds d’investissements liquides), sans lieu (délocalisée), omniprésente et aveugle à tout ce qui n’est pas l’intérêt et le profit que l’on peut tirer de l’exploitation instantanée ou à très court terme de la force de travail.

Cette aliénation libératrice du désir dans la relation marchande est au coeur de la difficulté à (re)construire du collectif et de la conscience citoyenne. Seule la précarisation, y compris des couches sociales intermédiaires, peut faire prendre conscience de la nécessité de la solidarité au travers de règles moins inégalitaires de répartition partagée des risques et des richesses mais aussi et surtout des chances. C’est ce point que doit porter en priorité la réflexion sur une réforme de la vision de gauche (réduction des inégalités et prise en compte de la solidarité vis-à-vis des plus fragiles en vue d’une plus grande égalisation des chances).

Mais c’est au travers d’une évolution du désir d’être et d’agir vers des activités autonomes créatrices qui concernent la vie privée plus que la vie économique, ce qui implique la réduction du temps de la contrainte qu’est le temps de travail (de l’employabilité) au profit du temps libéré, que l’on peut faire le mieux échec à l’idéologie du travail servile comme voie d’accès à la puissance d’être et au désir universel de reconnaissance.

Je vous rejoins sur ce point : il faut reconstruire une pensée du non travail ou mieux de l’activité libérée de l’employabilité et de la mythologie anti-écologique de la croissance pour la croissance, voire une pensée du loisir créatrice de sens relationnel et de culture, pour faire advenir des formes de désirs qui fassent rupture avec cette dé-sublimation répressive qui brise les capacités de résistance au système et aux possibilité qu’il provoque lui-même de le détourner vers la gratuité créatrice et l’auto-dévelopement personnel (ou « capabilité » selon le terme de A.Sen) dont parle Marcuse.

Je suis en train de travailler sur ce thème pour une forum à Bruxelles en Novembre. Merci de votre article qui m’a fait me ressouvenir de l’importance de la pensée critique de Marcuse que les socialistes ont grand tort de ne pas revisiter pour refonder un discours de gauche intellectuellement (et donc philosophiquement) critique et alternatif à celui de la nouvelle droite qu’incarne NS..


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