Mélanie, la douceur incarnée
« Je sais qu’elle était très très heureuse d’occuper cette profession, d’aider les jeunes, l’ambiance était bon enfant, conviviale, familiale. (…) C’était quelqu’un de très souriante, très gentille, la douceur incarnée. (…) D’une nature bienveillante, elle avait tout pour elle. On est très triste, très touché. » (Une cousine, le 10 juin 2025 à l'AFP).
Le témoignage d'une cousine sur Mélanie a de quoi être émouvant. Quel contraste entre cette "douceur incarnée" et l'ultraviolence dont elle a été victime. Mélanie, assistante d'éducation (autrement dit, surveillante) de 31 ans, est devenue malgré elle une héroïne victime ; elle a commencé dans ce poste en septembre dernier. Elle se destinait à devenir accompagnatrice d'élèves en situation de handicap (AESH).
Elle était auparavant une apprentie coiffeuse mais, mère d'un enfant de 4 ans, elle a voulu un peu plus de temps pour son garçon, selon les confidences de son ancienne patronne au "Dauphiné". Un ancien client sur BFMTV : « C’était une femme adorable, vraiment très très gentille, pas un mot au-dessus de l’autre, qui aimait faire profiter de son métier aussi. ». Elle était aussi conseillère municipale de sa petite commune (une centaine d'habitants), Sarcey, à 10 kilomètres de Nogent, en Haute-Marne.
En allant au boulot ce mardi 10 juin 2025, elle ne pensait pas y perdre sa vie. Vers 8 heures 15, un collégien de 14 ans, apparemment sans histoire, l'a poignardée devant le collège Françoise-Dolto à Nogent. Un contrôle de sacs des élèves était effectué par la gendarmerie nationale à l'entrée du collège. L'adolescent a poursuivi Mélanie avec un couteau et l'a blessée. Hélas, à mort. Il a blessé aussi un gendarme qui l'a arrêté. En urgence absolue, la victime aurait dû être héliportée jusqu'à l'hôpital de Dijon, mais son état s'est dégradé et elle a succombé à ses blessures. Une victime, une nouvelle victime de la violence d'adolescent. Les 324 élèves du collège ont été confinés dans le gymnase puis ont pu quitter l'établissement ramenés par leurs parents. Le procureur de Chaumont a annoncé qu'un dispositif d'accompagnement des élèves et des enseignants a été mis en place.
La classe politique s'est rapidement emparé de cette tragédie. Parfois pour une sinistre récupération politique, comme Marine Le Pen dans l'hémicycle : « Un nouveau drame vient donc de toucher l’école et, par conséquent, l’ensemble de notre nation. Un drame, pas un fait divers sur lequel on "brainwasherait". Un drame, qui appelle une réponse politique. C’est parce qu’il n’y a jamais eu de réponse politique que notre société a vu la vie être progressivement désacralisée ; c’est parce qu’il n’y a jamais eu de réponse politique que l’ultraviolence s’est banalisée, en particulier chez les mineurs ; c’est parce qu’il n’y a jamais eu de réponse politique que des enfants deviennent orphelins et que des parents sont obligés d’enterrer des enfants victimes de la barbarie. ».
Le verbe "brainwasher" (faire un lavage de cerveau) avait été utilisé maladroitement par le Président Emmanuel Macron le 8 juin 2025 lors d'une interview dans la presse régionale. Il regrettait alors qu'on ne parlât que de fait-divers sans s'appesantir sur des sujets de fond comme le combat pour le climat (il allait participer au Sommet pour l'océan à Nice) : « Certains préfèrent brainwasher sur l’invasion du pays et les derniers faits divers. ». Il s'en prenait ainsi à la suppression des ZFE et à la suspension provisoire de MaPrimeRénov' (dispositif d'aide à la rénovation énergétique en vigueur depuis cinq ans).
Emmanuel Macron s'est expliqué plus longuement dans une interview ce mardi 10 juin 2025 sur France 2 : « Il y a des moments d’indignation sur l’écologie et ensuite ça sort complètement du débat public. ». S'en prenant à la « tyrannie du fait-divers », il a précisé sa pensée : « Il y a des gens qui regardent la télévision ou les réseaux sociaux, ils sont dans une société de l’information qui passe d’un fait divers à l’autre. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas avoir de la considération pour ces personnes qui vivent [ces drames], accompagner les familles, qu’il ne faut pas réagir de manière intraitable. ».
Il a dénoncé la surexploitation des faits-divers par des partis démagogiques : « Ils finissent par rendre les gens fous parce que les gens ont le sentiment de passer d’un fait-divers à l’autre, en passant des punaises de lit le matin à un drame qui s’est passé la journée. (…) On ne peut pas avoir un débat politique qui devient du suivisme de l’actualité. ».
Dans la matinée, Emmanuel Macron avait réagi sur Twitter comme le reste de la classe politique au meurtre de Mélanie : « Alors qu’elle veillait sur nos enfants à Nogent, une assistante d’éducation a perdu la vie, victime d’un déferlement de violence insensé. (…) Tous, nous sommes aux côtés de sa famille, de ses proches, de ses collègues et de l’ensemble de la communauté éducative. (…) La Nation est en deuil et le gouvernement mobilisé pour faire reculer le crime. ».
Au-delà de Twitter, c'est surtout l'Assemblée Nationale qui a été le lieu des réactions politiques. L'après-midi se déroulait en effet la séance hebdomadaire des questions au gouvernement. La Présidente de l'Assemblée Yaël Braun-Pivet a proposé une minute de silence à la mémoire de Mélanie et aussi des deux jeunes pompiers de 22 et 23 ans qui ont perdu la vie le 9 juin 2025 dans la soirée à Laon, piégés par l'effondrement d'un appartement en flammes dont ils tentaient de secourir les habitants : « Face à ces drames effroyables, j’adresse les sincères condoléances de la représentation nationale aux familles et aux proches des victimes. Je veux, en notre nom à tous, dire la reconnaissance de la nation envers nos soldats du feu, qui risquent leur vie pour nous protéger. Je veux aussi dire notre soutien à l’ensemble de la communauté éducative. La violence n’a pas et n’aura jamais sa place dans nos établissements scolaires. En la mémoire de nos trois compatriotes décédés, je vous invite à observer une minute de silence. ».
Le Premier Ministre François Bayrou est aussi intervenu en début de séance pour exprimer son émotion et présenter quelques mesures : « Immense gratitude et mobilisation : c’est ce que nous devons aussi à cette jeune assistante d’éducation (…). D’habitude, ces faits concernent des milieux sociaux profondément fragilisés ; or ce n’est pas le cas ici. Mais une chose est certaine dans ce second drame : c’est que les armes blanches, les couteaux, sont en train de devenir, parmi les jeunes, voire les très jeunes enfants (…), une réalité de tous les jours. (…) Nous ne pouvons pas demeurer indifférents et les bras ballants face à ce qui est en train de se passer, devant cette vague qui progresse. Nous avons des décisions à prendre, certaines de nature législative, d’autres d’ordre réglementaire. Nous avons commencé à les prendre, puisque je rappelle que le drame de ce matin s’est déroulé alors que les gendarmes procédaient à un contrôle des sacs. Ces contrôles, nous les avons multipliés depuis trois mois : plus de 6 000 ont été effectués, qui ont permis de saisir près de 200 couteaux et 200 autres objets dangereux. Nous ne pouvons pas nous contenter de déplorer ce qui s’est passé ; nous sommes obligés, en conscience, de prendre de nouvelles décisions pour que nos enfants et ceux qui travaillent avec eux puissent être, au minimum, en sûreté. C’est une œuvre très difficile, parce que, comme tout le monde le voit bien, il ne s’agit pas d’un fait isolé, mais d’une dérive de la société et des enfants dont nous avons la charge, et que nous n’arrivons pas à mettre à l’abri des drames qu’ils fomentent eux-mêmes. ».
Quelques minutes plus tard, en réponse à Marine Le Pen : « L’ampleur de la vague, nous la connaissons tous, quels que soient les bancs sur lesquels nous siégeons. C’est une décomposition de la société dans laquelle nous vivons et c’est le surgissement de pratiques de vie communes. L’un de mes collègues disait à l’instant tout bas que son petit garçon de 10 ans lui a demandé quand il pourrait avoir un couteau à l’école. Cela concerne tous les milieux et d’abord, naturellement, les plus fragiles. On a deux choses essentielles à faire. La première, c’est de construire des règles et une réponse pénale susceptibles de dissuader ces jeunes, souvent des garçons, de saisir un couteau et de le mettre dans leur sac. Je l’ai rappelé, nous avons publié le 27 mars une circulaire pour que des contrôles de police et de gendarmerie aient lieu à l’entrée des établissements scolaires. Depuis, il y a eu 6 200 contrôles, au cours desquels près de 200 couteaux ont été saisis et 567 conseils de discipline ont été réunis pour lutter contre ce fléau. Nous allons travailler à l’application effective de l’interdiction de port de ce type d’armes. Il va falloir durcir la réglementation, parce qu’un certain nombre de ces couteaux ne sont pas considérés comme des armes, même s’ils sont construits, pour une part d’entre eux, pour figurer des armes très violentes. La deuxième chose que nous devons faire, c’est travailler à la question de la santé mentale des plus jeunes. À la première alerte, il faut qu’il puisse y avoir un examen, un diagnostic et une proposition de traitement, ou en tout cas une reprise de contrôle de ces jeunes. Ces deux missions, nous ne pouvons pas les éluder. Le 29 avril, j’ai demandé à Mme Naïma Moutchou et au préfet François Ravier de coprésider un groupe de travail, dont les conclusions m’ont été rendues le dernier jour du mois de mai. J’ai bien l’intention que les cinquante propositions de ce groupe de travail soient conduites à leur terme et je vais, si elle l’accepte, confier à votre collègue Naïma Moutchou la mission de vérifier leur application effective.Ce n’est pas une baguette magique ; nous n’avons pas la clef de toutes les questions qui se posent, car ces questions, pour l’essentiel, sont dans la société française, dans sa désorganisation, dans ses dérives. En revanche, ce que doit faire la loi, c’est assurer que les principes sont respectés autant que l’on puisse identifier des manquements à ces principes. J’ajoute que, même si les premières expériences n’ont pas été évidentes, nous devons travailler à l’installation de portiques à l’entrée des établissements scolaires ; ceux implantés dans plusieurs régions n’ont pas été maintenus partout, mais je suis persuadé que nous ne pouvons en rester à l’observation des accidents qui se multiplient. Le gouvernement a lui aussi l’intention d’aller dans le sens de cette expérimentation. ».
La députée Naïma Moutchou (Horizons) a, elle aussi, posé une question sur le meurtre de Mélanie, en rappelant une longue et inquiétante série de meurtres : « La société reste sidérée de ce qui est en train de se passer. Les Français sont sous le choc, en colère : presque chaque jour, l’actualité leur jette à la figure un nouveau drame, de nouvelles violences. Chaque jour ou presque, des adolescents tuent à l’arme blanche, des enfants et leurs surveillants sont poignardés jusque dans l’enceinte des établissements scolaires. Ce matin, Mélanie, assistante d’éducation, a perdu la vie ; hier, c’étaient Elias, Laurène, Thomas, Sékou, Inès, Enzo, Matisse, tant d’autres encore, tous tués à l’arme blanche par des mineurs. Cette liste ne recense pas des faits divers, mais les signes d’un effondrement. Nous voyons l’autorité reculer partout, la violence gagner partout ; nous voyons sombrer une partie de la jeunesse qui bascule dans la brutalité la plus décomplexée, des adolescents qui sortent armés pour commettre le pire. C’est tout sauf une crise passagère, c’est un fléau, l’ennemi public numéro un : voilà la conclusion de la mission que vous m’aviez confiée à ce sujet, ainsi qu’au préfet François Ravier. Notre rapport, que je vous ai remis le 28 mai, ne constitue pas un simple document ; ce doit être un électrochoc, une prise de conscience, et surtout l’occasion d’agir. ».
Parmi les pistes d'action : « Il est temps, comme nous le préconisons, d’interdire strictement la vente aux mineurs et la détention par ces derniers de tout type d’arme blanche, d’imposer le défèrement systématique des auteurs de tels faits, de prévoir des sanctions pénales bien plus rapides et des peines minimales, de sécuriser nos établissements scolaires, d’améliorer la chaîne de signalement. Il est temps d’investir dans la prévention, dans la santé mentale des jeunes, dans la médecine scolaire, de s’attaquer aux conséquences délétères des réseaux sociaux en interdisant le téléphone portable à l’école. Les mesures sont prêtes, applicables ; nous ne pouvons plus attendre, nous contenter d’hommages, de minutes de silence, encore et encore. ». François Bayrou a exprimé sa volonté de mettre immédiatement en œuvre ces mesures.
Arrivée sur les lieux du drame, à Nogent, la Ministre d'État, Ministre de l'Éducation nationale Élisabeth Borne a déclaré : « Ses professeurs sont totalement sidérés de ce qui a pu se produire. Il avait fait l'objet en début année de deux exclusions temporaires pour des perturbations de la classe. Mais depuis le mois de novembre, il n'y avait pas du tout de difficultés avec cet élève. (…) On doit agir aussi sur la santé mentale, j'ai demandé aux assises de la santé scolaire qu'il y ait dans chaque établissement un protocole de repérage et de prise en charge pour les élèves qui peuvent avoir des problèmes psychologiques ou psychiatriques. (…) Avec le Ministre de la Santé, on s'est assurés que les jeunes signalés par l'Éducation nationale bénéficient d'une priorité pour la prise en charge dans les centres médicopsychologiques. (…) On doit aussi agir pour prévenir l'usage excessif des écrans et des réseaux sociaux, parce qu'on sait que c'est bien souvent ce qui peut conduire à des comportements violents, un peu déréalisés, de la part de nos jeunes. (…) Je suis très mobilisée pour prévenir de tels drames. (…) On doit travailler avec les familles, pour prévenir de tels drames. (…) On va continuer à chercher toutes les mesures qui peuvent nous permettre d’éviter de tels drames. ».
Précisant les affirmations du Premier Ministre, Élisabeth Borne a déclaré qu'entre le 26 mars et le 23 mai 2025, il y a eu 6 000 fouilles inopinées menées dans les collèges et les lycées, ce qui a provoqué 567 conseils de discipline pour détention de couteau, la saisie de 186 couteaux et 32 gardes-à-vue.
Quant au Ministre d'État, Ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, qui était en déplacement à Laon en hommage aux deux jeunes pompiers décédés, il a fait cette déclaration mesurée : « La réponse ne peut pas être seulement sécuritaire, car il y avait des gendarmes. ». Il a ajouté : « Ou il y a une hypothèse de santé mentale, et il faudra voir s’il y avait eu un signalement, ou alors c’est autre chose, et on tombe dans ce que j’ai appelé la barbarie. ». Il ne croyait pas en l'intérêt des portiques devant les écoles.
Invité de BFMTV en fin d'après-midi ce mardi, l'ancien Premier Ministre Gabriel Attal a dit ne pas croire non plus aux détecteurs de métaux à l'entrée des établissements qui pourraient accroître les attroupements en période de menace terroriste : « On peut regarder le couteau, mais je pense qu'il faut surtout regarder le gamin de 14 ans. (…) Il y a une violence de plus en plus forte, débridée, de plus en plus jeune. ».
François Bayrou, interrogé ensuite dans le journal de 20 heures sur TF1, a rappelé ses propositions : « L'élargissement de la liste des armes blanches, des couteaux, c'est tout de suite que ça entre en vigueur et l'imposition que ce soit une vérification d'âge de celui qui reçoit le colis c'est tout de suite aussi. ».
Ce fut l'occasion pour certains de se moquer du Premier Ministre en énumérant de nombreux instruments qui pourraient être dangereux (jusqu'à la pince à épiler et à l'épluche-légume). Et ils ont raison : les armes blanches pourront toujours passer d'une manière ou d'une autre dans les établissements scolaires. Les portiques n'ont pas été d'une grande efficacité lors de premières expérimentations.
L'élément principal est sans doute la détection psychologique, l'évaluation de la santé mental des élèves, comme l'a affirmé le porte-parole de la fédération de parents d'élèves PEEP Laurent Zameczkowski : « Le véritable problème est la santé mentale de nos jeunes. », et c'est évidemment très difficile à appréhender. Ce qui est notable, c'est la position de Bruno Retailleau qui convient que le problème n'est pas seulement sécuritaire. La solution se trouve certainement dans l'éducation qu'apportent les parents à leurs enfants, la transmission des valeurs et en particulier du caractère sacré de la vie.
Hommage à Mélanie, tombée sur le champ de bataille de l'éducation.
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Sylvain Rakotoarison (10 juin 2025)
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Pour aller plus loin :
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