• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Actualités > Société > Du droit à mourir au permis de tuer ?

Du droit à mourir au permis de tuer ?

Si l’Assemblée a adopté le projet de loi dit de « l’aide à mourir », un vrai débat s’est développé, malgré le biais favorable des grands médias. Au point que le projet pourrait être retoqué au Sénat, du fait d’une configuration politique très différente. Si je reste favorable au fait d’aller un peu plus loin dans le droit à mourir, le projet actuel se rapproche un peu trop d’un permis de tuer pour ne pas m’y opposer.

 

Ce n’est pas parce qu’il faut aller plus loin qu’il faut aller trop loin 

Je reste totalement stupéfait par la cartographie du vote en faveur de ce projet. S’il y avait une liberté de vote dans la plupart des groupes, le décompte est clair : à quelques exceptions près, la gauche et le centre ont voté pour, et la droite s’est largement opposée au projet. C’est pourquoi le passage du Sénat sera une épreuve, puisque la droite y a une majorité. Je n’attendais rien de bon de ce bloc central dont presque toutes les mesures sont nocives pour notre pays  : comment penser que les macronistes vont réfléchir à ce projet en fonction des personnes en situation de faiblesse, ou aux abus inhumains que cela pourrait provoquer ? Mais, même si je n’ai guère d’illusion sur la gauche, à laquelle je me suis souvent opposé, je pensais qu’une partie serait capable d’imposer une lecture plus soucieuse de préserver les plus faibles de tout abus. Mais cela n’a pas du tout été le cas. Même François Ruffin a voté pour  !

Bien sûr, les média ont largement développé les cas de personne pour lesquelles un ajustement de la loi peut sembler une évidence. Et comme exprimé il y a déjà plus de 10 ans, j’ai la conviction que les lois actuelles sont sans doute un peu trop restrictives, ne permettant pas à des personnes ayant pourtant clairement exprimé leur volonté d’en finir du fait d’une condition incurable et douloureuse, d’accéder à une aide à mourir. Et j’y reste favorable. Mais toute évolution législative doit être extrêmement prudente car nous touchons à la mort et à la vie. Et malheureusement, le contenu de la loi, et son parcours à l’Assemblée indique pour moi que les députés sont allés beaucoup trop loin, beaucoup trop vite. Et il est très gênant que tant de média affichent un biais favorable au texte et le questionne de manière superficielle alors que sa nature nécessite un examen approfondi, jusque dans le détail de toutes ses modalités.

 

Alliance de la gauche TikTok libertaire et du centre inhumain

 Car c’est justement là que le bât blesse. A contrario de la présentation de certains, qui évoquent des conditions strictes pour accéder à l’aide à mourir, d’autres pointent au contraire que les conditions prévues par le projet sont parmis les plus larges. Le nombre de personnes qui pourraient y prétendre est important et les modalités d’exécution sont probablement trop simples, sans les nécessaires cordes de rappel pour éviter à la fois les abus ou la traduction trop rapide d’une pulsion en acte. Et que dire de la création d’un délit d’entrave dans ce domaine alors même qu’il n’y a pas de délité d’incitation à l’euthanasie, comme le pointe une remarquable tribune du Point. Quelle société fait de la volonté de garder en vie une personne un délit ? Nous parlons tout de même d’une procédure qui pourrait aboutir à 30 000 morts assistées par an, si nous atteignons les chiffres du Canada ou de la Belgique. Le refus du bloc central et de la gauche de mettre la moindre entrave, ou limite potentielle, a quelque chose d’humainement totalement terrifiant.

 Ne serait-il pas normal d’imposer un vrai choix collectif du corps médical et ne pas potentiellement donner tout le pouvoir à une seule personne ? Le législateur impose déjà un choix collectif pour des sujets critiques. Y a-t-il plus critique qu’aider à mourir une personne ? De même, instituer des garde-fous pour éviter les pressions ou s’assurer que ce choix n’est pas seulement une pulsion momentanée devraient être des évidences dans un moment aussi dramatique. Mais, non, le bloc central, avec l’appui de la gauche, a refusé la plupart des limites dans le projet de loi. Pulsion libertaire ? Posture pour les réseaux sociaux ? Je n’arrive sincèrement pas à comprendre comment des personnes qui se disent de gauche peuvent soutenir un tel projet du fait des amendements qui ont été refusés. Comment ne pas penser aux abus monstrueux que cela pourrait permettre, et à quel point les plus faibles en seraient les premières victimes.

 Merci à tous ceux qui ont porté le questionnement de ce texte, de Philippe Juvin à Claire Fourcade, en passant par Sadek Beloucif et François Braun, bref ministre de la santé, pour leur texte remarquable dans le Point, ou Bruno Dellaporta qui clarifient grandement le débat et montrent la rupture que représente ce texte. J’espère que les prochains mois permettront soit de corriger grandement le texte, soit de l’enterrer.


Moyenne des avis sur cet article :  2.52/5   (21 votes)




Réagissez à l'article

13 réactions à cet article    


  • véronique 15 juin 06:14

    Bonjour Laurent Herblay.

    Je suis entièrement d’accord avec vous, d’autant plus que même en cadrant strictement les choses, une loi peut ensuite évoluer. J’ai regardé d’assez près le cas belge. Le droit à l’euthanasie a été progressivement étendu aux personnes ayant des troubles mentaux, puis aux mineurs, et la durée de validité des directives anticipées a été rallongé. Il n’y a donc aucune garantie, aucun garde-fou valable.

    Personnellement je suis contre ce projet, surtout dans notre société actuelle. Il existe déjà une loi en France, et elle va assez loin. Il est vrai que cette loi ne prend pas en compte les personnes qui ne sont pas, même après arrêt éventuel des traitements, en fin de vie, en tous cas à court terme. Mais c’est très compréhensible quand on est dans la logique de protéger la vie. 


    • véronique 15 juin 06:20

      @véronique

      J’ajoute que si techniquement, on peut dire qu’il y a une gauche en France, puisqu’il existe une opposition, sur le fond cette gauche est plutôt à mes yeux une autre sorte de droite. Donc la protection du plus faible, je crois que ça n’intéresse personne.


    • Fergus Fergus 15 juin 18:05

      Bonjour, véronique

      « même en cadrant strictement les choses, une loi peut ensuite évoluer »
      Désolé, mais cet argument est sans valeur. Car il n’y a pas de différence entre « faire évoluer une loi » ou la voter : dans les deux cas, cela repose sur la décision d’une majorité de parlementaires.

      Je suis résolument favorable au vote de cette loi, à condition que les limites soient clairement définies. Sur ce plan, le texte voté par l’Assemblée nationale me semble plutôt bien équilibré. Puissent les sénateurs  par idéologie conservatrice ou pour des convictions religieuses poussiéreuses  ne pas contribuer à enterrer ce texte qui constitue de fait une avancée majeure du droit français !

      Car vous faites erreur : l’actuelle loi Claeys-Leonetti ne règle pas du tout les cas des personnes en grande souffrance du fait d’une maladie dégénérative incurable qui n’entraînera pas de décès avant de très longs mois, parfois plus d’une année ! Autrement dit, des cas ne pouvant pas bénéficier de l’euthanasie lente mise en oeuvre légalement dans les unités de soins palliatifs !


    • Aristide Aristide 16 juin 12:33

      @Fergus

      La loi ne règle pas ce que vous dites : « une maladie dégénérative incurable qui n’entraînera pas de décès avant de très longs mois »

      Dans la loi, il s’agit de « une maladie grave et incurable, en phase avancée ou terminale »


    • Aristide Aristide 16 juin 12:37

      @véronique

      Il est vrai que cette loi ne prend pas en compte les personnes qui ne sont pas, même après arrêt éventuel des traitements, en fin de vie, en tous cas à court terme.

      Comme je l’ai dit à Fergus, la loi prévue ne règle pas ce sujet.
      Ue des conditions d’accés est : « une maladie grave et incurable, en phase avancée ou terminale »


    • Seth 16 juin 16:22

      @Aristide

      Je me suis trouvé dans ma vie en coma profond où on envisageait en cas de nécessité et en cas de ratage des interventions déjà pratiquées une opération chirurgicale cérébrale qui se solderait par le retour à la vie mais totalement aphasique avec une incapacité totale de mémoriser quoique ce soit, une espèce de légume incapable du moindre souvenir, de reconnaître jamais qui que ce soit, de subvenir à ses besoins sans pouvoir les exprimer, etc...

      Ma mère avait alors demandé que l’on ne procédât pas à un tel charcutage et je l’approuve totalement.


    • Fergus Fergus 16 juin 19:47

      Bonjour, Aristide

      La maladie de Charcot ou certaines autres terribles maladies neurodégénératives peuvent être dans une « phase avancée » 8 mois, 10 mois, voire plus d’un an avant la « phase terminale ».
      Et ce n’est pas pris en charge par la loi Claeys-Leonetti !!!
      A l’évidence, il y a une grave lacune dans la législation actuelle !


    • véronique 16 juin 19:48

      Bonjour Fergus,

      Je pense que vous vous trompez. L’argument qui est sans valeur est celui qui consiste à tenter de rassurer les opposants en prétendant que la loi peut être strictement cadrée et encadrée (d’ailleurs je note que vous écrivez « à condition que les limites soient clairement définies »), parce que la loi peut évoluer. Et quand je dis que la loi peut ensuite évoluer, c’est surtout un constat. Je ne remets pas en question les votes parlementaires. Je veux seulement montrer que le moment le plus important du débat, c’est vraiment maintenant, en comprenant bien que n’importe quel garde-fou qu’on va poser pourra sauter par la suite. 

      Personnellement je ne vois aucune avancée majeure dans ce texte.

      Et pour la loi leonetti, je ne crois pas avoir fait d’erreur. Il me semble avoir précisé que ce texte-là concernait le court terme. Cela étant la proposition d’aide active à mourir, si j’ai bien compris, ne concernera que les personnes dont la fin de vie peut arriver dans un délai d’une année au maximum, en tous cas au début (cf 1er paragraphe).


    • Fergus Fergus 16 juin 19:49

      Nulle part dans la loi votée par les députés, la « phase avancée » n’est limitée dans le temps. Le constat doit en être fait par un collège de soignants !


    • véronique 16 juin 19:53

      Bonjour Aristide,

      Oui effectivement. En fait là je parlais de la loi leonetti.
      Pour ce qui concerne la proposition examinée en ce moment, il me semble que ce serait pour des personnes dont la fin de vie est attendue dans plusieurs mois, maximum 1 an. Mais bien sûr, rien n’est encore bien défini, et ça ne le sera peut-être pas en définitive.


    • MAGURA 16 juin 23:46

      @véronique
      Vous écrivez :
      " Le droit à l’euthanasie a été progressivement étendu aux personnes ayant des troubles mentaux, puis aux mineurs, et la durée de validité des directives anticipées a été rallongé.« 
      allusion

      1. Pourriez-vous préciser les troubles mentaux auxquels vous faites allusion
      2. Qu’entendez-vous par » la durée de validité des directives anticipées « 

      La maladie d’Alzeimer fait partie des droits à la demande d’euthanasie, à condition de le faire rapidement après le diagnostic ; »les directives anticipées" sont strictement encadrées.

      Auriez-vous déjà réalisé une euthanasie au domicile d’un patient ?

      Pouvez-vous envisager les contraintes légales impliquées par cet acte médical ?

      Á votre avis, les Français qui viennent se faire euthanasier en Belgique le font-ils sans raison ?


    • lecoindubonsens lecoindubonsens 16 juin 10:53

      A quand une loi pour répondre aux souhaits de ma belle-mère plus que centenaire :

      • ne pas savoir
      • et un soir s’endormir tranquillement comme d’habitude
      • et ne pas se réveiller le matin.

      Pas le stress de devoir « appuyer sur le bouton » le jour J. Ni pour soi, ni pour la famille.

      Pour l’intéressé(e), le corps médical et la famille, juste s’être exprimé pour dire que le temps était venu de partir, sans urgence, sans pression, sans stress ... quasi naturellement smiley


      • amiaplacidus amiaplacidus 16 juin 16:22

        @lecoindubonsens

        C’est le meilleur des cas. J’ai une amie qui est partie comme cela. Elle fait sa sieste comme d’habitude, c’est son compagnon qui en venant voir pourquoi elle ne se levait pas à l’heure habituelle l’a trouvée morte.
        Idéal pour elle, mais dramatique pour son compagnon, après plus de trois ans, il ne s’en est pas vraiment sorti.

        Mais, on ne choisit pas d’être malade et de souffrir, c’est pourquoi il faut trouver une solution digne qui évite de souffrir ou de finir comme un légume.

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON



Publicité



Les thématiques de l'article


Palmarès



Publicité