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Accueil du site > Actualités > Economie > La question des hautes rémunérations (7) : Niveau

La question des hautes rémunérations (7) : Niveau

Le niveau du salaire par référence à la hiérarchie des salaires qui résulte de l’économie de marché est ainsi au coeur du débat.
Dans un entretien dans Les Echos du 6 juin 2005, Daniel Bouton, le président directeur général de la Société Générale, expliquait : Il est clair qu’un salaire de PDG est difficilement supportable pour un RMIste, l’incompréhension est incontestable. Et alors ? A la Société Générale, l’échelle des salaires, en 2004, allait de 1.000 euros pour un employé de banque à Madagascar à plusieurs millions d’euros pour un trader. Il faut rester rationnel et payer chacun au prix du marché en fonction de l’univers de concurrence.
La franchise et l’honnêteté de cette déclaration mettent en lumière deux éléments essentiels.
Il est impossible d’abord de justifier d’une manière rationnellement convaincante l’écart qui sépare le salaire le plus faible du salaire le plus élevé dans la plupart des grandes organisations. Jamais une personne ne pourra accepter qu’elle vaut sur le marché du travail vingt fois, cent fois, mille fois, dix mille fois moins qu’une autre personne. Elle peut s’y résigner, considérer que cela correspond à la logique du système économique et même accepter qu’il n’y ait pas de meilleur système que ce mauvais système, mais le sentiment de l’injustice fondamentale d’une telle situation restera toujours ancré chez beaucoup. Aussi bien peu nombreux sont ceux qui se sont aventurés à la justifier en termes d’éthique.
Il ne reste donc que le deuxième élément évoqué par Daniel Bouton. Il faut payer chacun au prix du marché en fonction de l’univers de concurrence. Ainsi l’entreprise, son conseil d’administration et ses actionnaires n’ont-ils pas d’autre option pour disposer d’un président directeur général de qualité que de le payer au prix du marché.
Ayant fait ce constat, la question n’est pas résolue pour autant. Car s’il existe, dans un environnement économique donné, un marché des ouvriers qualifiés, un marché des ingénieurs, un marché des commerciaux, un marché des chefs de projet, un marché des comptables, des financiers ou des juristes, force est de reconnaître que le marché des présidents directeurs généraux de grandes sociétés cotées est d’une dimension nécessairement restreinte et encore plus, ce qui paraît sage, si on le segmente en marchés nationaux distincts. Par ailleurs la concurrence sur de tels marchés est quasiment inexistante. Il est rare que face aux exigences de rémunération des candidats possibles, ce critère soit déterminant dans le choix final. Le candidat retenu dispose donc d’un pouvoir de négociation important et, pour peu qu’il reste raisonnable dans l’excès, il aura satisfaction.
Par ailleurs plusieurs facteurs poussent à l’inflation. En raison de l’internationalisation des entreprises, les conseils d’administration et, plus encore, les dirigeants concernés ont présents à l’esprit, sans nécessairement totalement les imiter, les exemples étrangers, notamment anglosaxons, où les rémunérations peuvent atteindre des niveaux extrêmement élevés. De même ne sont-ils pas insensibles à celles des banquiers d’investissement ou des traders dont leur proximité avec le système bancaire leur permet d’avoir connaissance sans être convaincus que leur propre valeur ajoutée pour l’économie est moindre que celle des personnes concernées. Enfin le parti pris en faveur des recrutements externes joue dans le même sens comme le soulignait Jack Welch, l’ancien président directeur général de General Electric dans son entretien avec Laure Belot dans Le Monde du 7 juin 2005 : C’est lorsque les conseils d’administration vont recruter à l’extérieur un successeur au dirigeant qu’ils ont viré que le problème se pose : ils proposent toutes sortes d’arrangements financiers pour attirer les candidats.
Pour rester dans la mesure en la matière, un référentiel, résultant d’un consensus progessif et que chacun puisse invoquer, est donc nécessaire.De 1978 à 1993, Häagen-Dazs avait adopté une règle selon laquelle le salaire du président ne devait pas dépasser sept fois celui du salarié le moins bien payé de l’entreprise, règle abandonnée quand un nouveau président a remplacé le fondateur ! JP Morgan, figure emblématique du capitalisme du début du siècle dernier, considérait, lui, que ce multiple ne devait pas être supérieur à vingt. La pratique d’aujourd’hui est à des années-lumière de telles normes. Au demeurant, je ne vois pas quel raisonnement économique ou éthique pourrait justifier tel multiple plutôt que tel autre.
Comme je l’ai écrit dans mon livre Quatre millions d’euros Le prix de ma liberté, je ne vois pas d’autre référence réaliste possible que celle du marché des cadres dirigeants des grandes sociétés cotées et plus précisément de ceux d’entre eux qui font partie de ce qu’on appelle les comités exécutifs. C’est en effet de cette population que sont généralement issus les présidents directeurs généraux des grandes sociétés cotées et c’est en son sein que peuvent être recrutées, sauf exception, les personnes ayant les qualifications requises pour assumer de telles fonction.
Pour ma part, je l’ai dit, je considère qu’en offrant un salaire qui soit de 30 à 50% supérieur au salaire moyen du comité exécutif et un bonus annuel qui puisse représenter entre 0 et 100% du salaire annuel en fonction de critères de performance opérationnelle très exigeants, il est réaliste et possible de recruter et de motiver un président directeur général de qualité.
Je suis très réservé à l’égard de l’attribution d’indemnités d’accueil. En revanche, en cas de départ forcé ou anticipé par rapport à l’âge normal de la retraite, évidemment sans faute professionnelle, une indemnité de départ représentant une (solution imposée par voie législative aux Pays-Bas) ou deux fois la moyenne du salaire et du bonus des trois années précédant le départ avec engagement de non concurrence me paraît acceptable.
Envisager une norme pour l’attribution des options de souscription d’actions ou d’actions gratuites est beaucoup plus délicat, d’autant que ces attributions ne sont pas nécessairement annuelles. Là encore ma tendance serait de retenir la référence du comité exécutif en appliquant un ratio analogue à celui que je propose pour le salaire.
Certains s’interrogeront sur cette référence. Il est vrai que le marché concerné, s’il est plus large que celui des présidents directeurs généraux, reste étroit. Il me semble néanmoins significatif des efforts financiers que les entreprises doivent consentir pour s’assurer les services de dirigeants de branches, d’activités et de fonction de qualité.
Pour autant, ayons présent à l’esprit, qu’il ne s’agit pas nécessairement des salariés les mieux payés de l’entreprise. Le cas des traders, évoqué par Daniel Bouton, souvent mieux payés que les patrons de branches ou les présidents directeurs généraux de banques, n’est pas aussi isolé qu’on peut le penser. On le retrouve dans l’audiovisuel, dans l’aéronautique ou même dans des entreprises plus traditionnelles.
En définitive il faut se rendre à l’évidence : il n’y pas de solution miracle. Les hautes rémunérations, même si elles sont cohérentes avec l’économie de marché, seront toujours contestées, tant elles heurtent le sentiment d’équité dans une société qui ne se résigne pas aux situations d’inégalité, même si elles apparaissent inévitablement liées aux progrès de la richesse collective.

Prochaine note : (8) Que conclure ?


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1 réactions à cet article    


  • Cass (---.---.7.127) 24 juin 2005 12:05

    On arrive ici au point capital de votre analyse : l’ensemble des discussions autour de la rémunération des dirigeants n’aurait pas lieu si le niveau de ces rémunérations paraissait plus en phase avec la réalité des autres salaires. Le niveau des rémunérations est finalement le vrai sujet du débat. A ce titre votre argumentation me paraît peu convaincante, car finalement vous semblez dire « la rémunération de ces dirigeants est par définition injuste, le marché est là, il faut s’en accomoder ». Plusieurs remarques :
    - au sein même des très grandes entreprises les disparités sont fortes. Entre un Thierry Breton, Président de France Telecom, et un Lindsay Owen Jones à la tête de l’Oréal le rapport est de 1 à 10, voire plus. Sauf à considérer que M. Breton n’est pas un bon manager, on voit bien que l’argument consistant à dire qu’il faut toujours payer plus pour attirer les meilleurs n’est pas valable. En théorie des jeux on pourrait d’ailleurs considérer que les grandes entreprises auraient intérêt à modérer ENSEMBLE les rémunérations offertes à leurs très hauts dirigeants (THD). Elles en seraient les premières bénéficiaires,
    - cette inflation des rémunérations est récente. Car si des salaires élevés pouvaient être offerts dans le passé aux THD, les nouveaux instruments de rémunération notamment liés aux actions (options, BSA...) ont fait exploser les dites rémunérations. Le THD a désormais le beurre, l’argent du beurre et la crémière.
    - un des autres arguments avancés est souvent celui du marché international de l’emploi des THD. En gros si nous ne payons pas bien nos managers ils iront ailleurs. Mais quels sont les français dirigeants de grandes entreprises étrangères ? Ils se comptent sur les doigts d’une main, et le réseaux nationaux (Corps, Grandes Ecoles) restent fondamentaux dans le recrutement. Vous parlez de vivier étroit pour les THD ; ce n’est pas la compétence qui est seule en jeu mais un ensemble de facteurs qui n’y sont pas fortement liés. Une approche plus ouverte sur l’origine des THD, pour le coup à l’anglo-saxonne, aurait à ce titre des effets très bénéfiques.

    Au final une approche réaliste consiste bien entendu à admettre la nécessité de rémunérer de façon importante les THD et ce pour l’ensemble des raisons que vous avez bien décrites (compétences, responsabilités...). En même temps on ne peut pas, à mon sens, faire l’impasse sur la question du niveau de ces rémunérations en se remettant au seul marché, sauf a entériner les effets délétères de ces questions sur le lien social et la confiance dans les entreprises et leurs dirigeants - sasn parler des effets sur les N-1 ou N-2 de ces THD. A ce sujet une question me paraît utile : est-il sain qu’un dirigeant, qui n’est pas un entrepreneur ou un actionnaire important de son entreprise, puisse devenir en quelques années, et ce quel que soit le scénario d’évolution de son entreprise un rentier ?

    En somme aux entreprises de faire jouer un minimum de bon sens, et il sera alors inutile de légiférer.

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