Le petit doigt se refuse à mettre la main dans l’engrenage

Il préfère passer la main.

Tous nos petits doigts connaissent une profonde crise existentielle. Ils n'ont plus rien à nous dire au creux de l'oreille que des moyens extraordinaires leur ont ôté de la bouche. C'en est fini pour eux de leur capacité à faire circuler de bouche à oreille par leur merveilleux truchement, des informations essentielles qui circulaient librement alors au gré du vent, des rumeurs ou des bruits de couloir.

En ce temps-là, nos petits doigts avaient toujours la primeur de l'information. Ils étaient capables de tous se donner la main pour que circule ce que d'autres voulaient taire. Ils s'étaient fait la main depuis si longtemps dans l'art délicat d'un langage des signes qui échappe à la volonté de tout contrôler des pouvoirs en place, que nous leur accordions notre confiance les yeux fermés.

Le petit doigt était toujours aux aguets, sachant saisir au bond la moindre bribe de conversation pour étayer bien vite une version personnelle qu'il ne manquait jamais de transmettre à son tour, sans filtre ni censure. Il avait tout particulièrement ce don merveilleux de surprendre les enfants qui apprenaient ainsi un secret, certes de Polichinelle mais dont on lui attribuait la paternité. Il en était grandi.

Depuis, le brave riquiqui a dû passer la main, mettre les pouces ; un comble pour lui quand on y songe. Il a trouvé un remplaçant qui ne donne pas dans la demi-mesure pour divulguer tout et n'importe quoi. La circulation de l'information ou supposée telle, a pris une telle ampleur que la communication « auriculo-digitale » a dû baisser pavillon devant le rouleau compresseur numérique.

Pourtant, jamais nos petits doigts n'auraient songé à organiser de fausses nouvelles à l'échelle de la Planète, à monter des histoires abracadabrantesques, à créer de toutes pièces des scénarios machiavéliques et nocifs. Ils avaient l'amour du travail bien fait, cet artisanat de la communication orale susurrée avec amour et tendresse.

Ils se sentent mis à l'écart par une phalange hostile qui le poing levé, entend imposer une vision fausse et absurde de l'art de transmettre l'information. Tout est prétexte désormais à manipulation, ce que jamais le petit doigt n'aurait songé à faire sans l'aide de toute la main. Il s'indigne de tant de malveillances sans pour autant être en mesure de montrer d'un doigt vindicatif l’origine du mal.

Plus l'information circule à la vitesse de la lumière plus nous entrons dans les ténèbres de la manipulation à grande échelle. Pour la vérité, ce n'est pas le pied, hurlent en cœur tous nos petits doigts qui se refusent quant à eux à mettre la main dans l'engrenage. Bien rares sont en effet les adeptes de l'usage du clavier – quelle que soit la forme - qui se servent de leurs deux riquiquis. C'est bien la preuve du refus de collaborer de nos glorieux émissaires d'autrefois.

C'est en mettant des gants que tous les petits doigts de la terre crient leur indignation devant cette hydre mortifère qu'on nomme la communication numérique. Ils se donnent la main pour former une grande chaîne, non pas de celles qui asservissent et assujettissent, mais tout au contraire qui libèrent et élèvent. Une information qui vérifie ses sources, qui prend le temps, qui émane d'émetteurs connus et reconnus, voilà leur volonté.

Revenons à l'essentiel pour satisfaire nos petits doigts afin qu'ils reprennent du service pour notre bien à tous. Repoussez d'une main méprisante cette prothèse cérébrale qui ne cesse de vous raconter des sornettes tout en pillant votre intimité. Seul le petit doigt a le mérite de se charger de retirer ce qui obstrue vos oreilles. C'est là une fonction vitale pour notre société.