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Accueil du site > Actualités > Citoyenneté > Justice : brève autopsie d’une réforme qui n’a jamais existé (...)

Justice : brève autopsie d’une réforme qui n’a jamais existé (I)

Alors que la campagne présidentielle reste toujours très silencieuse sur la réforme de la justice, le Conseil constitutionnel vient de censurer, par une décision du 1er mars, quatre articles (14, 21, 24 et 34) de la loi organique sur le recrutement, la formation et la responsabilité des magistrats. Pour le président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, Philippe Houillon, il s’agit d’une « victoire du corporatisme ». André Vallini, président de la commission d’enquête parlementaire sur Outreau, évoque une « réforme bâclée ». Mais le citoyen et le justiciable peuvent se poser une question plus basique : a-t-il jamais existé un quelconque projet de réforme de la justice française ? Que faire pour que cette aspiration légitime puisse devenir réalité ?

Ceux qui espéraient une réforme de la justice dans le sens demandé par de nombreux justiciables seront déçus, mais ce serait une erreur de croire qu’il ne reste plus rien des lois récemment adoptées. La réalité est bien plus inquiétante en ce qui concerne les conséquences de ces textes. Les implications des considérants du Conseil constitutionnel méritent également un examen attentif.

Pascal Clément avait dit devant le Sénat le 22 février : « Première évolution, peut-être la plus symbolique : la création d’une nouvelle faute disciplinaire, sanctionnant la violation grave et délibérée [par un magistrat] d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle du droit des parties. Au cours des débats dans votre assemblée, la définition de cette faute a été modifiée afin de mieux l’adapter aux exigences constitutionnelles. Je regrette que cette nouvelle définition n’ait malheureusement pas été retenue par la commission mixte paritaire ». Il avait également adressé des propos analogues à l’Assemblée nationale. Mon article du 25 février évoquait la nature objectivement contentieuse de la saisine du Conseil constitutionnel par le Premier ministre. Malgré l’obligation de soumettre le texte à la Haute Juridiction s’agissant d’une loi organique, la situation litigieuse découlait du point de vue publiquement exprimé par le Gouvernement via le Garde des sceaux. Le différend a été très vite réglé par le Conseil constitutionnel, lequel a estimé à propos de la définition de la faute disciplinaire :

« 6. Considérant que l’article 14 de la présente loi modifie l’article 43 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée qui définit la faute disciplinaire comme "tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité" ; que le 1° de cet article 14 précise que « constitue un des manquements aux devoirs de son état la violation grave et délibérée par un magistrat d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, commise dans le cadre d’une instance close par une décision de justice devenue définitive » ;

7. Considérant que l’indépendance de l’autorité judiciaire, garantie par l’article 64 de la Constitution, et le principe de la séparation des pouvoirs, proclamé par l’article 16 de la Déclaration de 1789, n’interdisent pas au législateur organique d’étendre la responsabilité disciplinaire des magistrats à leur activité juridictionnelle en prévoyant qu’une violation grave et délibérée d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties puisse engager une telle responsabilité ; que, toutefois, ces mêmes principes font obstacle à l’engagement de poursuites disciplinaires lorsque cette violation n’a pas été préalablement constatée par une décision de justice devenue définitive ;

8. Considérant, dès lors, qu’il y a lieu de déclarer contraires à la Constitution les dispositions du 1° de l’article 14 de la loi organique ; qu’il en va de même des dispositions de coordination prévues par son 2°, qui en sont inséparables... »

(fin de citation)

Quant à l’examen des réclamations portant sur le comportement d’un magistrat, le Conseil constitutionnel écrit :

« 9. Considérant que l’article 21 de la loi organique insère dans l’ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée un nouvel article 48-2 relatif à l’examen des réclamations des justiciables portant sur le comportement d’un magistrat ; que cet article 48-2 dispose que toute personne physique ou morale qui estime, à l’occasion d’une affaire la concernant, qu’un tel comportement est susceptible de constituer une faute disciplinaire, peut saisir directement le Médiateur de la République d’une réclamation ; qu’il prévoit que, pour l’examen de cette réclamation, le Médiateur est assisté d’une commission qu’il préside et qui est composée de cinq autres personnes dont quatre au moins n’appartiennent pas à l’ordre judiciaire ;

10. Considérant que l’article 16 de la Déclaration de 1789 et l’article 64 de la Constitution garantissent l’indépendance des juridictions ainsi que le caractère spécifique de leurs fonctions, sur lesquelles ne peuvent empiéter ni le législateur, ni le Gouvernement, non plus qu’aucune autorité administrative ;

11. Considérant que, si le législateur organique a précisé que le Médiateur ne pouvait porter une appréciation sur les actes juridictionnels, le nouvel article 48-2 lui donne néanmoins le droit de « solliciter tous éléments d’information utiles » auprès des premiers présidents de cours d’appel et des procureurs généraux près lesdites cours, ou des présidents des tribunaux supérieurs d’appel et des procureurs de la République près lesdits tribunaux ; qu’il prévoit que, lorsqu’il estime que les faits en cause sont de nature à recevoir une qualification disciplinaire, le Médiateur transmet la réclamation "au Garde des sceaux, ministre de la Justice, aux fins de saisine du Conseil supérieur de la magistrature" ; que le garde des sceaux doit, dans tous les cas, demander une enquête aux services compétents ; que, s’il n’est pas tenu d’engager des poursuites disciplinaires, il doit, lorsqu’il ne le fait pas, en informer le Médiateur par une décision motivée ; que le Médiateur peut alors "établir un rapport spécial qui est publié au Journal officiel" ; qu’en reconnaissant au Médiateur l’ensemble de ces prérogatives, le législateur organique a méconnu tant le principe de la séparation des pouvoirs que celui de l’indépendance de l’autorité judiciaire ;

12. Considérant qu’il s’ensuit qu’il y a lieu de déclarer contraire à la Constitution l’article 21 de la loi organique... »

(fin de citation)

La décision du Conseil constitutionnel est insusceptible de recours et doit être acceptée par tous. Certes, une jurisprudence n’est pas la loi, mais les jurisprudences évoluent lentement. En revanche, il paraît indispensable d’etudier les considérants du Conseil constitutionnel et de se demander quelle réforme institutionnelle peuvent proposer les justiciables qui, malgré tout, ne se satisfont pas de la situation qui s’est créée suite : a) aux lois sur la responsabilité des magistrats et sur la procédure pénale récemment adoptées ; b) à la décision du Conseil constitutionnel sur la première d’entre elles. Rappelons que le juge constitutionnel n’a pas pour vocation de se prononcer sur l’équité citoyenne d’une loi, mais uniquement de la comparer avec la Constitution en vigueur. Ses attendus sont censés être, avant tout, techniques.

Le premier constat qui s’impose est que les considérants sont tournés d’une telle façon, qu’ils ne laissent pratiquement aucune marge au législateur. Le deuxième, qu’ils sont très proches de l’avis du Conseil d’Etat du 19 octobre 2006 tel qu’il a été diffusé sur le site de « Maître Eolas » sans recevoir de démenti. Cet avis dit notamment :

« En revanche, en qualifiant de faute disciplinaire la "violation délibérée des principes directeurs de la procédure civile ou pénale", le projet de loi organique, loin de clarifier la définition de cette faute, introduit un risque de confusion entre l’office des juges d’appel et de cassation et celui du juge disciplinaire. L’appréciation du comportement professionnel ne serait en effet pas dissociable de celle du bien-fondé des recours portés, dans la même affaire, devant le juge d’appel ou de cassation. En l’absence de précisions appropriées sur les conditions dans lesquelles l’activité juridictionnelle d’un magistrat pourrait donner lieu à la constatation d’une faute disciplinaire, la disposition en cause est de nature à porter atteinte aux principes de séparation des pouvoirs et d’indépendance de l’autorité judiciaire.

Le Conseil d’Etat relève que si le Conseil supérieur de la magistrature statuant en matière disciplinaire et le Conseil d’Etat statuant au contentieux ont déjà admis que pouvaient être de nature à justifier une sanction disciplinaire les manquements graves et réitérés aux devoirs de son état que constituaient les violations par un magistrat des règles de compétence et de saisine de sa juridiction, c’est après avoir constaté que les faits ainsi reprochés avaient été établis dans des décisions juridictionnelles devenues définitives. »

(fin de citation)

J’avais exprimé un point de vue différent dans mes articles des 25 décembre et 14 février, mais le Conseil constitutionnel reprend l’argumentation, voire même les expressions, de l’avis du Conseil d’Etat.

Comme c’est la règle, la décision du 1er mars n’indique pas le nom du rapporteur, lequel, aux termes de l’article 19 de l’Ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, doit être un membre du Conseil constitutionnel. Cependant, un article de septembre 2005 du responsable du service juridique de ce Conseil, Régis Fraisse, expose que : « Le secrétaire général et les trois membres du service juridique assistent au délibéré. Ils [...] peuvent, à la demande du président, répondre à toute question technique ou rappeler l’état de la jurisprudence sur un point particulier ». Une page du service juridique précise que : « Le service juridique est une équipe restreinte de trois fonctionnaires détachés au Conseil ou mis à sa disposition (un membre du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, un magistrat de l’ordre judiciaire et un administrateur des services de l’Assemblée nationale) chargée d’apporter une assistance technique aux membres du Conseil constitutionnel ». On trouve donc, notamment, deux juges parmi les trois assesseurs juridiques dont le rôle est essentiel dans l’élaboration des décisions du Conseil constitutionnel.

Mon article du 5 novembre rappelait également que les membres du Conseil d’Etat sont avant tout des juges, au statut régi par le Code de Justice administrative. A cette précision, il convient d’ajouter que le secrétaire général du Conseil constitutionnel est un conseiller d’Etat en détachement. C’est le cas depuis 1959, sauf pour la période 1983-86 où ce poste fut occupé par un conseiller à la Cour de cassation.

La partie II de cette note abordera plus en détail les aspects juridiques de la décision du Conseil constitutionnel, et les parties III et IV, l’ensemble des deux lois sur la justice adoptées le 22 février. Mais, d’ores et déjà, deux conclusions paraissent raisonnables :

- Le Parlement peut, s’il le souhaite vraiment, rendre constitutionnels les articles 14 et 21 invalidés le 1er mars. Il suffirait d’une légère modification de la Constitution dans le sens de la Charte de 1998 du Conseil de l’Europe, aux termes de laquelle : « Toute personne doit avoir la possibilité de soumettre sans formalisme particulier sa réclamation relative au dysfonctionnement de la justice dans une affaire donnée à un organisme indépendant ».

- Compte tenu des péripéties récentes des lois sur la justice, il serait salutaire d’instaurer sans tarder une plus nette séparation entre le Conseil constitutionnel et les autres juridictions, de même qu’entre le Conseil d’Etat et la juridiction administrative, dans le sens des propositions de mes articles des 13 septembre et 18 février.

Sans jamais oublier que, dans cette Europe bourrée de monarchies, la Constitution française présente la spécificité d’un pouvoir émanant du peuple souverain. Le général de Gaulle estimait qu’en France, la cour suprême, c’est le peuple. Ce n’est pas vrai chez tous nos voisins.

 


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24 réactions à cet article    


  • Mm (---.---.119.149) 6 mars 2007 11:22

    Avant de vouloir régler à tout prix le compte aux magistrats , les justiciables voudraient D’ABORD en finir au plus vite avec leur propre affaire.

    Il manque une réformette élémentaire. C’est d’aller tout de suite, son dossier à la main pointer du doigt devant un magistrat les dysfonctionnements constatés.

    C’est le miracle de l’audience. (comme dirait le procureur Lesigne)

    Mais cette audience il la faut TOUT DE SUITE , et pas dans 10 ANS (et même pire, j’en sais quelque chose)


    • Jean-François (---.---.99.52) 6 mars 2007 12:31

      Ce n’est pas aussi simple. Si vous « pointez du doigt » et on vous dit que ce n’est pas vrai, ou que vous avez tort... Le problème essentiel est bien celui des garanties d’impartialité.


    • Jean-François (---.---.99.52) 6 mars 2007 12:35

      Par exemple, l’abbé Wiel a fait des montagnes de demandes de mise en liberté, elles ont toutes été rejetées. Croyez-vous que lui et son avocat ne soulignaient pas, chaque fois, ce qui n’allait pas ? Mais, en face, il y avait des témoignanges d’enfants et des rapports d’experts.

      Après, on a découvert que les experts étaient moins impartiaux qu’on ne pouvait le penser (récusation de Mme. Gryson), que la procédure avait été menée avec des préjugés, etc...


    • Jean-François (---.---.99.52) 6 mars 2007 12:42

      « Avant de vouloir régler à tout prix le compte aux magistrats... »

      Voici qui est très français, de parler de « règler leur compte » à des groupes ou à des corporations, dès qu’on parle de réformer quelque chose.

      Quant à la « petite réforme » d’avoir une audience tout de suite, en réalité au pénal vous avez des avocats qui peuvent à tout moment parler au juge d’instruction. Le problème est plus profond.


    • Mm (---.---.119.149) 6 mars 2007 13:37

      non mais là je veux dire, par exemple après 3 appels , 3 cassations, et une réouverture refusée...

      Ca existe ...


    • Mm (---.---.119.149) 6 mars 2007 14:12

      je ne peux pas vous montrer les pièces, mais 3 erreurs grossières en 8 lignes, ca existe !


    • . (---.---.106.39) 6 mars 2007 14:33

      des avocats qui parlent, non merci, je prefere parler moi meme. Je l ai dit a un juge


    • Delphine (---.---.155.85) 8 mars 2007 00:26

      Mm, je suis désolée, mais je crois que si les gens s’en prennent au système, c’est que le sentiment que vous exprimez est assez répandu. Et, alors on ne s’en sort pas par des mesures individuelles ou des petites retouches.

      On n’aurait pas besoin de changer de République pour améliorer l’actuelle Constitution et ses lois organiques dans le sens que propose Isabelle et qui n’est pas « anti-magistrats ».


    • Briseur d’idoles (---.---.168.138) 6 mars 2007 12:36

      C’est pas une réforme qu’il faudrait (un coup de peinture, changer le mobilier etc) mais bien plutôt une prise de bastille !


      • Jean-François (---.---.99.52) 6 mars 2007 13:03

        « une prise de bastille »

        Il faut d’abord que l’ensemble de la société prenne conscience de l’envergure du problème, autrement quelle bastille allez-vous prendre ?


      • Briseur d’idoles (---.---.168.138) 6 mars 2007 14:15

        Peut-être d’abord mettre les magistrats actuels aux champs...et les « remplacer » selon un mode de recrutement basé sur d’autres critères que ceux des seuls diplômes et des copinages politiques...

        Et pour terminer une commission paritaire de contrôle des magistrats, pouvant être saisie directement par les citoyens !

        Et bien évidemment interdire l’entrée de la franc-maçonnerie et le CRIF (surtout !) dans les décisions de justice !


      • silex (---.---.229.46) 6 mars 2007 18:04

        l’industrie judiciaire étant frappée d’engogamie aigue, une « révolution » n’en viendrait pas à bout !


      • XYette (---.---.32.16) 8 mars 2007 17:12

        L’opinion publique peut faire basculer le fonctionnement de la Justice, à condition qu’elle soit bien informée (ce qui n’est pas le cas) et qu’elle aille jusqu’au bout. Cet article est très utile, alors que la langue de bois des actuels partis politiques est néfaste.


      • Didier (---.---.10.115) 6 mars 2007 13:20

        Après avoir tenté de transférer sur les juges la responsabilité de son médiocre bilan en matière de sécurité, le président de l’UMP souhaite remanier de fond en comble l’organisation judiciaire. Ce bouleversement a été acté lors de la convention de l’UMP consacrée à la justice qui s’est tenue en mai 2006. A cette réunion, un certain nombre de hauts magistrats ont participé en qualité d’intervenants. Leurs fonctions (procureurs généraux, avocats généraux, etc.) furent mentionnées dans le document distribué à la presse. Retenons de cette présence ostensible à une réunion partisane que la contribution de magistrats à l’élaboration du programme d’un parti n’est pas estimée incompatible avec le « devoir de réserve ». Cette ouverture d’esprit n’a rien à voir avec le fait qu’il s’agissait de la formation du ministre de la Justice, et on veut croire qu’elle s’appliquera à tous... Mais examinons le contenu de ce projet, car c’est le fond qui est intéressant. Et inquiétant. En premier lieu, la plateforme préconise qu’il n’y ait plus qu’un seul tribunal de grande instance par département et une cour d’appel par région. Cela signifie la suppression de la moitié des tribunaux de grande instance (actuellement 181), de certains tribunaux d’instance et d’une douzaine de cours d’appel. L’argument : « A l’heure du TGV et d’Internet, la justice de proximité n’est pas d’avoir un tribunal à dix kilomètres de chez soi. » Nombreux, on le sait, sont les justiciables susceptibles de se rendre aux audiences en TGV ! S’imagine-t-on que c’est en réduisant de manière drastique les implantations judiciaires sur le territoire qu’on va favoriser l’accès au droit, qu’on va améliorer les rapports entre la société civile et sa justice en construisant d’énormes blockhaus judiciaires, où des centaines de magistrats et de greffiers se pressent dans des bureaux (quand ils en ont), tout en laissant dépérir les maisons de justice et du droit ? Le projet prévoit ensuite de transformer les membres du ministère public en quasi-fonctionnaires placés sous l’autorité d’un « procureur général de la nation », sorte de Janus mi-politique, mi-judiciaire. Jusqu’ici, ils étaient, comme leurs collègues du siège, garants de l’intérêt général et, dans ce cadre, chargés de veiller à la régularité des enquêtes. Quelle sera la distance des « parquetiers » avec les services policiers placés sous la tutelle de l’exécutif s’ils dépendent eux-mêmes de ce maréchal judiciaire nommé par le pouvoir politique ? Il y avait 7 700 magistrats en France. C’était peu (il y en plus de 20 000 en Allemagne). Soustraction faite des 1 800 parquetiers, si ce projet voit le jour, il y en aura... un peu moins. Troisième point clé du projet : la démolition de la justice de l’enfance. Avec une première mesure phare : la division en deux tronçons des juges de l’enfance (aux uns la répression, aux autres la protection). Sans doute pense-t-on qu’on punit mieux... quand on ne sait plus aussi protéger. Autre chamboulement : l’abrogation de l’atténuation de peine (qui brise le consensus républicain sur la nécessité de ne pas juger des enfants comme des adultes, même s’ils peuvent répondre de leurs actes). Au lieu de donner à la justice des mineurs les moyens de fonctionner face aux nouvelles formes de délinquance, mais aussi aux effets de la crise sociale, civile et familiale, on préfère ébranler les principes qui la fondent depuis 1945, pour l’aligner sur la justice des majeurs, sans dire un mot du recrutement d’éducateurs, de juges et de greffiers qui s’impose. Enfin, l’UMP préconise que des peines « planchers » soient appliquées aux récidivistes. Cette automatisation de la réponse pénale est une régression civilisationnelle : on menace le principe d’individualisation des peines. La récidive est déjà prise en compte par les tribunaux. Quel sera le rôle de l’avocat chargé de « défendre » un individu qui connaît déjà sa peine ? Que deviendra la qualité des audiences (du latin audire, « entendre ») si elles ne sont plus que des meetings où se notifient des « tarifs » préfixés ? L’institution judiciaire est en crise. De moyens, de performance, de crédibilité. Une démarche de changement réaliste qui essaye de l’améliorer sans détruire sa substance est pleinement d’actualité. Répondre au besoin de justice dans les quartiers et pas seulement dans les centres-ville, développer les politiques d’accès au droit, humaniser la procédure pénale et améliorer l’équilibre des droits entre les parties, renforcer l’indépendance de la magistrature, doubler le budget de la justice en cinq ans, mais aussi promouvoir une réponse rapide et proportionnée aux premiers actes de délinquance et développer qualitativement l’aide aux victimes, tout cela est indispensable. Mais ce qui se dessine là, c’est un schéma, un format et un « climat » radicalement nouveaux. Après avoir démagogiquement pris appui sur de réelles difficultés (tenant à la misère de moyens, unique en Europe), on nous prépare un démembrement du système de justice. Le président de l’UMP a fréquemment notifié aux juges le mépris dans lequel il les tient, jusqu’à parfois critiquer publiquement des décisions judiciaires. Il a stimulé des divisions contre-productives entre la police et la justice. Il parlait, avant d’avoir « changé », de « racaille » et de « gangrène », ce qui ne pousse pas au scrupule dans l’examen des cas individuels. Il a usé du qualificatif (emprunté à l’extrême droite) de « droits-de-l’hommistes ». L’ambiance créée à petites touches, nous voici maintenant à la croisée des chemins. Dans un entretien au Parisien (1), Nicolas Sarkozy proposait que « toute personne portant atteinte à l’intégrité physique d’une victime fasse de la prison préventive[...] ». Si on s’en tient aux violences recensées en 2006, près de 435 000 personnes devraient donc aller en prison ? Il y en a 60 000. On voit le changement d’échelle. Voici un projet inspiré clairement des Etats-Unis, déjà exposé dans un livre en 2001 : « Les critiques du système américain dénoncent la surpopulation carcérale. Je n’ai jamais compris la pertinence de cet argument car, après tout, il vaut mieux voir les délinquants en prison que dans la rue ! » Deux millions de personnes sont détenues aux Etats-Unis. Appliqué en France, un tel taux d’incarcération donnerait 450 000 détenus. Or la société américaine est l’une des plus criminogènes du monde développé. On peut avoir, en même temps, l’ultraviolence et un système hyperpunitif qui distribue sans compter les années de prison. Mais pour parvenir à implanter le modèle punitif américain, il faut d’abord désarticuler la justice française, en la robotisant et en la plaçant sous tutelle policière, au mépris de l’équilibre des pouvoirs. Telle est la substance du projet de Nicolas Sarkozy. Mieux vaut le savoir, et le dire, avant qu’il ne soit trop tard. Didier


        • Germaine (---.---.99.97) 6 mars 2007 16:21

          Vous avez tort, je pense. Sarkozy s’est allié avec Clément depuis décembre en vue des présidentielles et, depuis cette date, il a laissé tomber les quelques parlementaires qui réclamaient une réforme.

          Il suffit de regarder comment se sont passés les débats à l’Assemblée nationale et au Sénat. Sarkozy n’a jamais voulu réformer la justice. Il a voulu, seulement, la rendre plus répressive.


        • Germaine (---.---.99.97) 6 mars 2007 16:22

          « le président de l’UMP souhaite remanier de fond en comble l’organisation judiciaire »

          Non, justement, cette organisation lui convient trsè bien à condition qu’elle roule pour lui.


        • Germaine (---.---.99.97) 6 mars 2007 16:36

          « Telle est la substance du projet de Nicolas Sarkozy. Mieux vaut le savoir, et le dire, avant qu’il ne soit trop tard. »

          Non, les syndicats de magistrats se servent des tendances répressives de Sarkozy pour masquer le rôle de la magistrature elle-même et d’un certain nombre de ses alliés dans le monde politique.

          Dans l’affaire de la pédophilie présumée, il y avait déjà eu le suicide de l’enseignant Bernard Hanse avec Ségolène Royal au ministère de l’enseignement scolaire. Voir, par exemple :

          http://bernardhanse.canalblog.com

          http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=13976


        • Germaine (---.---.99.97) 6 mars 2007 17:04

          « Mais le Conseil constitutionnel ne pouvait pas statuer autrement qu’il l’a fait. »

          Cette question a-t-elle vraiment un sens, dès lors que la décision du Conseil Constitutionnel est sans appel et doit donc être acceptée, que l’on soit ou non d’accord ?

          En revanche, le Parlement pourrait notamment réformer le Conseil Constitutionnel. Dans son article d’aujordu’hui, Isabelle dresse ce constat :

          http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=20121

          ... un article de septembre 2005 du responsable du service juridique de ce Conseil, Régis Fraisse, expose que : « Le secrétaire général et les trois membres du service juridique assistent au délibéré. Ils [...] peuvent, à la demande du président, répondre à toute question technique ou rappeler l’état de la jurisprudence sur un point particulier ». Une page du service juridique précise que : « Le service juridique est une équipe restreinte de trois fonctionnaires détachés au Conseil ou mis à sa disposition (un membre du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, un magistrat de l’ordre judiciaire et un administrateur des services de l’Assemblée nationale) chargée d’apporter une assistance technique aux membres du Conseil constitutionnel ». On trouve donc, notamment, deux juges parmi les trois assesseurs juridiques dont le rôle est essentiel dans l’élaboration des décisions du Conseil constitutionnel.

          Mon article du 5 novembre rappelait également que les membres du Conseil d’Etat sont avant tout des juges, au statut régi par le Code de Justice administrative. A cette précision, il convient d’ajouter que le secrétaire général du Conseil constitutionnel est un conseiller d’Etat en détachement. C’est le cas depuis 1959, sauf pour la période 1983-86 où ce poste fut occupé par un conseiller à la Cour de cassation.


          • Germaine (---.---.99.97) 6 mars 2007 17:06

            Ce commentaire était adressé à l’article de Philippe Bilger d’aujourd’hui :

            http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=20270


          • Delphine (---.---.155.85) 8 mars 2007 00:20

            Voici, par exemple, de quoi les journalistes ni même les « spécialistes honnêtes », ne parlent jamais ! Bravo à Isabelle Debergue.


          • Rage Rage 6 mars 2007 22:05

            Bonsoir,

            J’avoue ne pas m’être « plongé » dans la structure juridique liant les diverses instances juridictionnelles, et même si finallement je ne connais pas toutes les ficelles, il me semble néanmoins fort urgent de réformer la justice française par la SEPARATION effective des pouvoirs dont le coeur de réflexion serait de réellement mettre les 3ème niveau (Conseil Etat et Cour de Cassation) hors de portée de la politique.

            La défaillance de la justice est à la hauteur des petits meurtres entre amis et copinages politiques de cette république bananière.

            Dans l’affaire d’Outreau, le problème ce n’était pas le juge d’instruction, mais le suivi de sa HIERARCHIE dans sa démarche.

            On « balance » un juge - puis on le promeut après un scandale où sa responsabilité est indéniable- sans jamais évoquer le fait qu’il a du en référer à plusieurs échelons hiérarchiques qui n’ont fait que dire leur bénédictions aux erreurs du jeune juge.

            C’est cela qui est condamnable, et outre la radiation de M.Burgaud, c’est la révision du CSM et de toute la branche locale qu’il aurait fallu réaliser.

            Le problème, c’est qu’en France il n’y a plus de gens capables de prendre de telles décisions. Le courage s’étant substitué à la lacheté, l’éthique au clientelisme et aux magouilles, la république forte, à l’état bananier désorganisé.

            La crise française est structurelle, certes, mais elle est avant tout issue de PERSONNES qui, depuis trop longtemps, vampirisent l’Etat au nom de l’Etat pour leur propre compte. Le CSM n’a pas le courage de se réformer parce que personne n’a le courage de tapper dans la fourmilière pour « assainir » un conseil de cooptation réciproque où tout le monde se tient, et où tout le monde jouit de sa place au soleil.

            Votre analyse juridique est intéressante, mais en France, derrière les lois et autres « mythes du droit » se cache des réalités plus digne de la maternelle que d’un niveau intellectuelle et éthique approprié pour exercer ce type de tâche.

            Alors réforme ou pas ?

            La question sombre dans l’abîme globale : la France doit-elle sombrer et toucher le fond pour changer ou bien saura t’elle faire ce qui s’impose parce que la situation actuelle est indigne d’une république ?

            Je n’ai malheureusement pas la réponse, mais je crainds fort que ce ne soit pas en 2007 que les choses changent...


            • Borgne chez les aveugles (---.---.166.126) 7 mars 2007 15:14

              Tout d’abord BRAVO à BRISEUR D’IDOLES, bien qu’il l’ait dit en ses mots, il a mis le point sur une réalité révoltante : Les réseaux d’influence et la politique dans les tribunaux = affaire Outreau

              RAGE a vu juste dans ses propos et c’est bien TOUT le tribunal de Boulogne sur mer + la Mairie + Certains fonctionnaires qui auraient du se retrouver en commission d’enquête parlementaire !

              Un petit rappel à tous, qui fera travailler ce qui reste de conscience à certains de nos fonctionnaires se servant de leur situation comme d’un polit-bureau ( le PS à Boulogne sur mer of course !) :

              " L’autorité que les serviteurs de l’ état tirent de leurs fonctions est une prérogative d’emprunt dont ils sont redevables à l’ état et qu’ils n’ont pas le droit de retourner contre lui . Que deviendrait la constitution républicaine, que deviendrait l’ordre public, que deviendrait la volonté du pays, le jour où le gouvernement issu de la souveraineté populaire serait exposé à trouver en face de lui, dans des circonstances critiques, un ou plusieurs autres gouvernements anonymes ou des oligarchies professionnelles qui disposeraient le cas échéant, contre lui, de tous les organes vitaux de la Nation ? Certes nous n’en sommes pas là. Mais dès maintenant la notion de l’état a subi chez nous, une sorte de décomposition et d’éparpillement qui eût indigné les Gambetta, les Floquet, les Brisson, les Jules Ferry, les Waldeck-Rousseau, et qui un jour, si nous ne nous hâtions pas à remettre la pyramide sur sa base, ne laisserait rien subsister de nos institutions libres "

              Malheureusement cette jolie citation est bien dépassée, s’il fallait punir tous les traîtres de l’état à Boulogne sur mer il faudrait construire une prison rien que pour eux !

              La France n’est plus un pays mais l’agglomération de roitelets locaux faisant leur propre loi au mépris du Droit !


            • Delphine (---.---.155.85) 8 mars 2007 00:30

              « Dans l’affaire d’Outreau, le problème ce n’était pas le juge d’instruction, mais le suivi de sa HIERARCHIE dans sa démarche. »

              Dans l’affaire d’Outreau et dans l’ensemble de celles de pédophilie présumée, il y avait en 2001, un peu partout, une pression du monde politique pour avoir des coupables. Ce que l’on appelle des « résultats », quoi... Demandez à MMe. Royal qui a été d’abord à l’enseignement scolaire et ensuite à la famille...


            • Borgne au royaume des aveugles (---.---.238.80) 8 mars 2007 15:43

              Je suis à 100% d’accord avec vous.

              D’autant plus que je puis vous dire que la Hiérarchie qu’il y avait derrière ce jeune juge (victime de la vindicte), elle, remercie désormais la Mairie de la ville affichant sa sympathie pour le PS local. CQFD

              Le PS local a fait bien mieux que cela lors de la comission d’enquête parlementaire : Mr Lengagne faisait partie de la comission d’enquête parlementaire, il a 40 ans de sévices à Boulogne sur mer derière lui, et il s’est fait juge et partie !

              Aucun juge ne pourrais se le permettre !

              Si le CSM était choqué de cette commission, il devrais se poser des questions sur ce personnage ( chez nous il est appelé le marionettiste, car toujours actif, nuisible, mais en coulisses )

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