Une planète pour les cons
J’ai enfin compris. Je sais pourquoi nous cherchons des exoplanètes, ces planètes tellement similaires à la nôtre où il ferait bon vivre. Rien à voir avec un quelconque intérêt scientifique ou philosophique. La véritable raison est bien moins noble : nous débarrasser des cons.
Je sais, je sais, nous sommes tous éligibles. Être cons, c’est dans nos cordes, à tous. D’ailleurs, le statut de con n’est pas confiscatoire. Le fait que l’autre soit con n’exclue pas que je le sois aussi : hypothèses non mutuellement exclusives. Nous pouvons tous être cons. Et en vérité, nous faisons mieux que pouvoir.
Mais ce qui est fascinant, c’est cette capacité que nous avons tous à être cons, en même temps. A tel point que nous sommes victimes d’une illusion statistique : « je pense que la majorité des gens est bien plus con que la moyenne », Hervé Le Tellier (Oulipien, et Goncourt 2020). C’est pourtant impossible, le bon sens nous rappelle que tous les cons particuliers ne peuvent pas être plus cons que le con général.
Et si les cons semblent toujours plus nombreux, c’est aussi parce qu’ils n’ont plus peur de se montrer. Le con contemporain est complètement désinhibé, il passe à la télé, fait des tweets, s’exprime en sujet – verbe – complément. Le con ne se cache plus, il ose dire et penser (dans cet ordre). Le con a le port altier et le point sur la hanche, il en impose. Bref, le con est devenu encombrant et insolant. Que faire ?
Se débarrasser des cons
La science avance. Certes, il n’existe pas de vaccins contre les cons. Mais il existerait potentiellement des planètes où une vie serait possible, la vie des cons par exemple. Et à voir l’excitation de certains milliardaires à faire un tour dans l’espace, on se dit que l’aventure a déjà commencé. En vérité, cette idée est tellement féconde que d’autres l’ont déjà eue bien avant cet article (la planète des cons). Soyons donc patients même si le temps presse. La planète conne est toute proche. Des volontaires ?
Première difficulté. Qui est con ? Qui n’est pas con ? Parfois, la frontière est ténue, on se trouve avec des un peu cons, et des pas trop cons. En réalité, il n’existe pas d’épaisseur dite rhérique entre les cons et les pas - cons. D’ailleurs, on observe des cons tangents, ces cons qui résident à la frontière de l’intelligence et de la connerie, sur la crête du QI. Ces cons là pourraient presque devenir pas cons, mais non. C’est con.
Deuxième difficulté. Qu’est ce qu’un con qui n’est pas con ? Un intelligent ? Soyons prudents. Quelqu’un qui ne fait pas le con n’est pas forcément quelqu’un d’intelligent, c’est juste quelqu’un qui n’a pas été pris en flagrant délit de connerie. Plutôt qu’intelligent, nous parlerons donc de non – con, ce con qui n’est pas con, mais pas forcément intelligent.
Troisième difficulté. Si le non – con est un con qui n’est pas con, est – ce à dire que le non - non - con est un con ? Oui dit l’arithmétique, de la même façon que deux fois le signe moins ( - - ) donne le signe plus (+). Non dit la logique, où parfois l’énoncé non non A n’est pas équivalent à l’énoncé A (logique intuitionniste) ; un exemple ? « Vous n’avez pas tort, mais cela ne signifie pas que vous ayez raison ».
Qui est prioritaire ?
D’abord, on pense au super connard, celui qui a droit au carré vip des cons. Le super connard est facilement reconnaissable, et nous est parfaitement résumé par Jules Renard : « même lorsqu’il ne dit rien, on sait qu’il pense des bêtises ». Le super connard habitera les quartiers huppés de la planète conne. Attention cependant, car les places sont chères vu le nombre de prétendants.
Puis il y aura les cons bien cons, mais un ton en dessous du super connard. Ces cons là ont la carte gold du con, qui leur donne le droit d’avoir des raisonnements à la con, de dire des conneries assez souvent, et d’avoir des loisirs de cons. Les cons bien cons habiteront des quartiers sympas de la planète conne, résidentiels ou banlieue chic. On pourrait dire qu’ils seront les cons en col blanc.
Ensuite, il y a les cons moyens. Un genre de cons à courant alternatif, à temps partiel, de vrais intermittents du spectacle de cons. L’exercice de leur connerie dépend des circonstances, de leur humeur, de ce qu’ils ont mangé la veille. Un jour on est con, le lendemain on dit un truc intelligent, sur un malentendu. Ces cons là sont les plus nombreux, ils habiteront les quartiers populaires de la planète conne.
Enfin, il y a les con - cons, les benêts, les boulets, ceux qui n’impriment pas. Le con - con est ce qu’on pourrait appeler un con diaphane : il écoute mais n’entend rien, il laisse bien passer la lumière mais rien ne transparait, un genre de verre dépoli. Le con diaphane habitera en périphérie, voire en campagne, afin de s’éloigner des autres cons bien plus cons que lui, un genre de réflexe de survie intellectuelle.
Qui est volontaire ?
Inutile d’espérer une réflexion personnelle ou un travail d’introspection du con. On n’imagine pas le con se convaincre qu’il est vraiment trop con pour rester sur cette planète. Si le con est con, il n’est pas en condition de faire émerger en lui les conditions d’une quelconque fulgurance. Au mieux peut on espérer la contribution de sa petite voix intérieure « usurpant sa volonté et le subornant par ruse » (Bernanos).
Quand même, les cons ne seront – ils pas vexés qu’on les traite ainsi ? Pas forcément. Il faut réaliser qu’une fois sur la planète des cons, le con n’est plus con, il est normal. Il est devenu la norme puisqu’il n’y a que des cons. Si avant le con était con, c’était parce qu’il y avait des non - cons : c’est le non - con qui fait du con un con, et inversement. Illustration parfaite de l’illusion d’optique du cercle d’Ebbinghaus.
Mélancolie plotinienne
Une fois débarrassé des cons, il n’est pas impossible qu’ils finissent par nous manquer. En effet, il faut bien reconnaitre qu’ils nous donnent matière à penser, et parfois même nous élèvent en nous invitant à la tolérance. Mais bon, si l’aller simple pour la planète conne est le prix à payer pour nous en débarrasser, ca me va. Bien entendu, je fais l’hypothèse que le con c’est l’autre, j’espère donc ne pas faire partie du voyage.
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