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Saucisson pinard

Débattons ou des bâtons, choisissons… Il faut débattre avec celles et ceux qui ne pensent pas comme nous, celles et ceux qui ne sont pas comme nous. Non pas qu’il n’y ait que du bien dans le débat, non pas qu’il n’en sorte que du bien. Mais si on refuse le débat, que nous reste-t-il pour résoudre les problèmes ? La violence. On peut aussi nier l’existence des problèmes et dire qu’ils n’existent que dans la parole de celles et ceux qui les posent, que ceux-ci les créent en les posant, par le fait qu’ils les posent, que les problèmes sont voulus par celles et ceux qui les posent. Mais même dans ce cas-là, si on ne tente pas de résoudre les problèmes par la parole et le débat, que nous reste-t-il pour ne pas laisser se développer ces perceptions erronées, fabriquées ? Débattons ou des bâtons, telle est la question.

Des citoyens ont voulu organiser un apéro saucisson pinard et cet apéro a été interdit. Ils l’ont voulu, en tant que Français. Ils ont voulu sortir dans la rue deux éléments dont les Français rient assez aisément. Lier saucisson pinard à la francité est un peu cocasse. Ce sont des symboles moqueurs, qui fonctionnent et qui semblent comiques, ridicules... le caractère d’un peuple ne peut tout de même pas être dans ce genre de détails si petits. Dans le genre, il y a la baguette sous le bras et le béret basque noir. Il y a aussi le steak-frites qu’avait analysé Roland Barthes en 1957. Ce sont des symboles pleins d’humour, qui fonctionnent et qui se moquent en même temps de la francité. Et l’humour, c’est rire de soi.
 
Ce groupe de citoyens qui ne va pas pouvoir saucissonner dans ce grand symbole pinard-saucisson francité n’a pas envie de rire.
 
Notre francité change et ces changements font peur à certains. Ils nient le temps qui passe et choisissent de respecter ce qui était. Ce qui était est connu, reposant. Ce qui advient doit se conformer à l’ancien, et trouver le maximum de ressemblance avec ce qui est déjà. Ce qui advient ne doit advenir que s’il ne dérange que peu, voire qu’il ne dérange rien. Le nouveau doit ressembler à l’ancien sous peine d’être illégitime. Il ne doit pas nous étonner, ni nous surprendre, il ne doit pas nous obliger à quoi que ce soit, par exemple, il ne doit pas nous obliger à nous adapter. La vie doit, le plus possible, être une succession de choses identiques. Ainsi, on peut imaginer que le temps ne passe pas. Et si le temps ne passe pas, nous devenons immortels. Qu’est-ce qui assure la supériorité de l’ancien sur le nouveau, parce qu’il y a toujours du nouveau, ce n’est pas cette vision du monde qui peut agir sur le réel et empêcher l’émergence de nouveau, malheureusement pour eux ? Qu’est-ce qui assure la supériorité de l’ancien ? C’est l’antériorité, tout simplement. La connaissance qu’on en a l’habitude, l’absence d’efforts à faire pour vivre avec, dedans... La tradition, les discours qu’on a bâti depuis longtemps, les théories. L’antériorité arrive sous forme de valeurs... de théories... pas toujours sous forme d’amour du passé.
 
La francité, le ou les caractères français, change. Comme tout change. Pour certains, il est fondamental de garder ce qui l’antérieur et que le nouveau se mette à partager l’antériorité. S’intègre. Vous allez me dire que cet apéro interdit ne correspond à aucune tradition. Il est même pure opportunité, liée à facebook, qui n’est pas une œuvre de la francité.
 
Ça n’a pas d’importance. Ce groupe de citoyens ne voulait pas honorer dans l’apéro quelque chose de la francité, seulement dans le saucisson-pinard. Dans l’apéro, ils voulaient s’opposer à une pratique qu’ils estiment illégitime : la prière dans la rue de musulmans, dont bon nombre sont citoyens français.
 
Il s’agit d’un acte d’un débat que nous avons depuis longtemps sur la francité, qu’on peut appeler aussi l’identité nationale. Je range cette proposition d’apéro, cette interdiction et tout ce qui se dit et s’écrit autour dans la catégorie du débat, parce qu’il s’agit d’actes symboliques. Les échanges sont vifs et rudes mais ne blessent pas les corps, ne tuent pas.
 
Il y a quelque temps, Eric Besson a organisé un moment étatique de ce débat collectif et permanent. Beaucoup se sont opposés à ce débat, avec une force irréductible (ils montraient bien qu’ils tiendraient jusqu’au bout) et des arguments peu convaincants, à mon sens.
 
Il fallait débattre, il faut débattre. Il ne faut pas s’invectiver. Nous sommes encore dans le débat, mais nous sommes en menace de quitter le débat. Car si cet apéro avorté est encore dans les symboles, il n’est pas dans les mots, il est dans les actes : manger, boire, occuper un territoire par le nombre (pas par la force comme dans la guerre, mais on s’en rapproche...)
 
Il faut débattre, il faut débattre avec ses opposants, avec ses adversaires, pour ne pas risquer d’en faire des ennemis. La politique continue la guerre par d’autres moyens, certes, il faut prendre ces moyens politiques pour ne pas avoir la guerre. La politique est enviable par rapport à la guerre.
 
Ceux qui ont refusé l’institutionnalisation du débat sur l’identité nationale on voulu voir dans ce débat une création du gouvernement et de Eric Besson, ils ont voulu croire que l’on devait discuter avec Eric Besson, et non pas entre Français ; ils ont dit aussi que le débat était faux, qu’il était joué d’avance, qu’il visait à définir l’identité et donc à empêcher les évolutions, qu’il était structurellement du côté de la conservation, de la peur de la nouveauté, de l’étrangeté de l’étranger... qu’il était aussi décidé d’avance, que tout serait détourné du côté de la politique du gouvernement, quoiqu’on dise dans ce débat...
 
Ils ont fait deux grandes erreurs : ne pas avoir confiance en eux et dans les Français, ne pas voir que le pouvoir dans un débat est aux débatteurs et pas à l’organisateur du débat, quand il y en a un ; penser qu’un débat sur l’identité française ne pouvait être que des arrangements des français « de souche », ceux qui aiment les apéros saucisson-pinard, à propos des Français issus de l’immigration (et des non-Français).
 
Il fallait, au contraire, en faire une « arme » démocratique pour que tous les Français, vraiment tous, s’expriment sur ce qu’est l’aspect français de leur identité et en déplacent les contours et les limites et que plus personne ne puisse se prévaloir agressivement de symboles « saucisson-pinard ».

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