OTAN : corruption, mensonge et fumisterie (2) Le complexe militaro-industriel
Il y a un phénomène remarquable chez les commentateurs occidentaux qui abordent la question du rapport de force entre l'armée russe et l'OTAN. Il s'agit d'un « oubli » systématique de tout un pan de l'arsenal russe, qui n'a pas d'équivalent en Occident, et qui est capable de mettre en échec la majeure partie des matériels de l'OTAN. Au-delà d'une simple question de quincaillerie militaire, c'est la déroute du système occidental qu'on peut apercevoir.
Première partie : OTAN : corruption, mensonge et fumisterie (1)
Le complexe militaro-industriel (CMI) des Etats-Unis est certainement le groupe d'intérêts le plus puissant du pays. Son existence remonte à la seconde guerre mondiale. La question de son devenir, après la guerre, a été un élément central des luttes politiques. J'aurais l'occasion de le montrer dans un article séparé, les militaires américains et une partie des politiques ont largement contribué à mettre de l'huile sur le feu de la guerre froide, qui ne fût pas tellement froide d'ailleurs, afin de justifier les budgets militaires. C'est à posteriori qu'ils forgeront le slogan du « containment », c'est-à-dire « l'endiguement » du communisme, qui est un tour de passe-passe sémantique pour inverser les rôles de l'agresseur et de l’agressé. Ceci est particulièrement remarquable lorsqu'on analyse en détail l'origine des deux grands conflits emblématiques de la période, la guerre de Corée et celle du Vietnam. Tout au long de son histoire, le CMI a réussi à capter des masses gigantesques d'argent, en employant deux méthodes : la déstabilisation à l'extérieur et la psychose à l'intérieur.
L'époque du « Red Scare », la terreur rouge.
Il est important de noter qu'aux Etats-Unis, la question du militarisme ne se pose pas qu'en termes rationnels. L'idéologie fondatrice du pays est fortement imprégnée de messianisme [1]. Pour les adeptes de ce courant, le pays est la nouvelle « terre promise » biblique, et ses ressortissants un nouveau « peuple élu », dont la responsabilité dans le salut de l'humanité est universelle. L'affirmation de sa puissance par l'armée constitue une confirmation de sa « destinée manifeste », et l'outil militaire est un instrument de son oeuvre de salut mondial. C'est un facteur psychologique qui ne peut, ni ne doit être écarté, tant il fut et reste déterminant dans l'Histoire du pays. [2] Certains utilisent cette idéologie de manière totalement cynique, sans y croire, mais beaucoup de membres influents des institutions y adhérent sincèrement.
Dépenses de « défense » des E-U, en dollars constants.
Bien que les militaires furent de nombreuses fois désavoués, en particulier au Vietnam, à partir surtout de 1968, le budget du CMI n'a jamais cessé de croître, par paliers. Il atteint aujourd'hui, en dollars constants, quasiment le même niveau que durant la seconde guerre mondiale. Malgré les tentatives de plusieurs présidents de mettre les militaires « sous contrôle », ces derniers ont toujours réussi à imposer leur politique. Lors de son discours d'adieu en 1961, le président Eisenhower adressera à la nation une mise en garde tout à fait explicite contre les dangers du militarisme, il dira entre autres [3] :
« Nous dépensons chaque année pour la sécurité militaire plus que le revenu net de toutes les entreprises des États-Unis.
Dans les conseils de gouvernement, nous devons nous prémunir contre la captation d'une influence injustifiée, qu'elle soit recherchée ou non, par le complexe militaro-industriel.
Le potentiel de la montée désastreuse d'un pouvoir dévoyé existe et persistera.
La conjonction d'un immense appareil militaire et d'une grande industrie de l'armement est une nouveauté dans l'expérience américaine. L'influence totale - économique, politique et même spirituelle - est ressentie dans chaque ville, chaque législature et chaque bureau du gouvernement fédéral. »
Le refus de son successeur, J.F. Kennedy, d'offrir aux militaires la guerre qu'ils désiraient tant au Vietnam (« l'escalade » ) [4], n'est certainement pas étranger à son élimination. Après une période de déroute durant les années post Vietnam, les militaires reviendront en force avec Reagan. La fin de l'URSS justifiera une légère baisse des budgets militaires, mais bien faible au regard du changement radical de la situation internationale. Le 11 septembre et la fameuse « guerre contre le terrorisme » sera un superbe prétexte pour faire exploser le budget. La politique de déstabilisation reprendra à une échelle jamais vue. On pense à l'Afghanistan et à l'Irak, mais il faut également se souvenir que l'agressivité américaine était, dès 2001, tournée contre la Russie. En effet, G. W. Bush a décidé cette année, unilatéralement, le retrait des E-U du traité ABM signé en 1972, qui interdisait les armes susceptibles d'intercepter les missiles balistiques intercontinentaux, garantissant ainsi le maintien du régime de dissuasion nucléaire.
Sous le prétexte ridicule de protéger les européens de « la menace iranienne », les E-U construisirent des bases de missiles anti-missile en Pologne et en Roumanie, et déployèrent des équipements comparables au Japon, Corée du Sud, Turquie, Alaska sous forme de batteries, et potentiellement partout sur les océans sous forme de navires...
La situation stratégique mondiale, en projection azimutale. En bleu, les zones de présence de l'OTAN. En vert, présence conjointe de l'OTAN et des Russes et/ou des Chinois.
Il faut prendre toute la mesure de la violence de la démarche américaine. La tentative de mise en échec des armes de dissuasion russes n'a de sens que si l'on a la volonté de mener une guerre nucléaire sans en subir les conséquences. C'est une déclaration de guerre à peine déguisée, et une promesse de génocide. Cependant, cette politique d'arrogance et de domination s'est retournée contre eux, nous le verrons plus loin.
Le CMI américain, comme dans la plupart des pays occidentaux, est une machine d’accaparement des ressources publiques, donc d'exploitation des travailleurs au profit d'une clique. Il maintient sa position de domination en contrôlant les institutions politiques, intellectuelles et techniques. Les grandes fondations privées type « Council on Foreign Relations » sont le vrai centre décisionnaire de la politique du pays. Les partis politiques n'ont qu'un rôle de figuration destiné à mettre en scène une prétendue démocratie, à faire se déchirer le grand public sur des questions non essentielles. Les grandes décisions sont systématiquement discutées par des institutions dites « non partisanes ». C'est la principale faiblesse du mécanisme : il règne une endogamie intellectuelle dans les institutions, qui entraîne une dégénérescence. Celle-ci n'est qu'en partie compensée par l'apport régulier de sang neuf.
Le CMI est une boucle d'auto-légitimation
J'en viens désormais au cœur de l'article. Le CMI occidental englouti des sommes colossales, mais n'est pas capable de produire des équipements compétitifs. Pour dissimuler le désastre, il a recours au matraquage de propagande. La capacité des médias occidentaux à faire exister dans l'esprit du public un monde virtuel, via la presse, les « influenceurs », les jeux vidéo, etc, est un bien précaire palliatif. C'est un système de mythomanie qui vise à couvrir la corruption généralisée qui règne dans nos sociétés, et qui utilise l'abrutissement, la censure et l'auto-censure, et toute la panoplie des méthodes totalitaires. Comme tout parasite, il finit par tuer son hôte.
On doit noter que la dérive militariste soviétique a été assez comparable à celle des E-U, et a eu une importante responsabilité dans la chute de l'URSS. Après l'éviction de Khrushchev en 1964, les militaires seront au pouvoir et dilapideront une proportion considérable des ressources de l'Union dans l'armement, négligeant le développement de l'industrie de biens de consommation.
Après la désintégration de l'URSS, durant la décennie noire de la Russie, les années 1990, le CMI russe sera réduit à l'essentiel, mais continuera à fonctionner et à développer un certain nombre de projets. L'indépendance de l'Ukraine a été très problématique pour certains secteurs, notamment le spatial, environ un tiers de l'industrie militaire soviétique étant situé dans ce pays. Le CMI russe renaîtra progressivement à partir de 2001, puis sera intégré dans la politique de réorganisation de l'armée russe, décidée après le conflit en Géorgie en 2008.
Contrairement à ses équivalents occidentaux, le CMI russe reste à peu de chose près entièrement propriété de l'état, en « mode soviétique », à la fois pour la recherche et la production. C'est une source de revenus importante pour l'état, les équipements russes s'exportent très bien, et une carte diplomatique majeure. Force est de constater que son degré d'efficacité est sans commune mesure avec le CMI américain, ce qui est simple à montrer, et emblématique de la situation de décadence occidentale.
Premier élément, les missiles hypersoniques manoeuvrants, c'est-à-dire des missiles de différentes tailles et portées, qui peuvent être équipés d'ogives nucléaires ou conventionnelles, et qui évoluent à des vitesses entre 8 000 et 24 000 km/h (Mach 7-20) avec une trajectoire non-balistique. Ceci est destiné à empêcher leur interception par un système anti-missile (ABM).
En bleu, une trajectoire balistique, en rouge, une trajectoire évasive, imprédictible, d'un système hypersonique. La zone grise est la zone d'interception potentielle par un système ABM.
Tandis que les Russes et dans une moindre mesure, les Chinois, ont déjà déployé ces armements en service opérationnel, les américains sont toujours incapables de faire fonctionner un prototype. Après trois échecs successifs, pour un système n'ambitionnant qu'un modeste Mach 5, un responsable militaire déclarera piteusement « Je ne suis pas satisfait du rythme [...] Nous faisons des progrès sur la technologie ; j'aimerais qu'elle soit meilleure » [5]. La conséquence de la situation est double. Vingt ans d'investissements et de déploiement de systèmes anti-missile américains, et toute la politique d'arrogance qui va avec, sont à jeter à la poubelle. D'autre part, la situation stratégique est totalement déséquilibrée, en faveur de la Russie.
Cerise sur le gâteau, les performances des systèmes ABM américains, désormais obsolètes, ont été vérifiées au Moyen-Orient, en particulier l'Arabie Saoudite et les EAU, contre les missiles balistiques yéménites anciens, de la technologie qu'ils étaient censés neutraliser. Malgré une censure féroce concernant ces événements et leurs conséquences, il transparaît clairement que pas plus d'un missile sur cinq, voire sur dix, a été intercepté.
La liste des désastres technologiques du CMI américain s'étend bien au-delà des ABM. On peut citer rapidement les programmes des avions F-22, F-35 (programme le plus cher de l'Histoire de l'humanité, avec un coût total estimé de 1 700 millards de dollars) et bien d'autres encore qui ont une moindre notoriété. Face à ces désastres, la réaction du CMI est toujours la même : ce qu'on ne peut pas faire dans la réalité, on le compense dans la sphère de la guerre de l'information.
Dans les jeux vidéo, tout fonctionne bien. Chez les influenceurs Youtube de grand chemin, également. La presse spécialisée s'auto-censure, pour éviter d'être black-listé dans les salons et les présentations officielles de l'industrie. La presse en général, sur ce sujet comme sur les autres, doit produire des articles à grande cadence. Pas le temps de faire des recherches, « recopiez-vous les uns les autres », l'information frelatée circule en boucle. Le processus d'intoxication s'étend jusque dans les cercles décisionnaires des armées. Lors de la compétition entre deux projets qui aboutira au choix du F-22, le pilote d'essai du prototype concurrent explique comment s'est opérée la sélection par les officiels de l'USAF : « Lockheed Martin [le gagnant] avait réalisé des vidéos impressionnantes, tout en énumérant une liste infinie de prétendues qualités, sans aucune pertinence au plan technique » [6].
Un des nombreux F-22 crashé suite à une panne. Vous contemplez une épave à 180 millions de dollars.
Il faut noter que cet enchaînement de désastres aux coûts exorbitants est un phénomène assez nouveau. Tout projet industriel complexe et innovant comporte des risques, toutes les industries d'armement ont connu des échecs. Cependant, dans le cas américain, jusqu'aux années 1990, ils étaient encore capables de brillants succès. Depuis que la finance et la communication ont pris le pouvoir [7], seuls les actionnaires peuvent témoigner d'une forme de succès. La rente des propriétaires du CMI est inversement proportionnelle de la qualité de ses réalisations. J'emploie souvent la formule « les Américains » (Etats-Uniens en fait), mais bien entendu, il ne s'agit que de la classe dominante. La situation du prolétariat est dramatique, dans ce pays qui est le champion de l'OCDE pour les inégalités économiques, et où il n'existe quasiment pas de couverture sociale. Rassurez-vous, en employant les mêmes méthodes et idéologies, nous les rattraperons très bientôt.
Le CMI a une longue tradition de pratique de la corruption et du chantage pour refourguer ses produits [8]. Certains se souviendront du désastre des F-104 Ouest-Allemands, qui a coûté la vie à 115 pilotes de la Luftwaffe [9]. La situation n'a fait qu'empirer depuis. La majorité des pays européens a signé pour l'acquisition de F-35, y compris ceux réputés pour leur attachement à la souveraineté nationale, Finlande et Suisse notamment. On ne peut trouver de rationalité dans cette situation en dehors de la corruption systémique.
J'ai rapidement traité du déséquilibre technologique Russie-OTAN concernant les armes hypersoniques, dans la suite de l'article nous verrons qu'il existe encore deux domaines technologiques, tout autant décisifs, dans lesquels la situation est similaire, voire plus critique encore pour l'OTAN. Ceci n'est probablement pas étranger à la mise en scène du psychodrame ukrainien. A suivre...
[1] Voir l'article : Et les Etats-Unis inventèrent le « choc des civilisations »...
[2] Andrew J. Bacevich : "The Limits of Power : The End of American Exceptionalism" Metropolitan Books (2008)
[3] https://www.ourdocuments.gov/doc.php?flash=true&doc=90&page=transcript
[4] https://americandiplomacy.web.unc.edu/2020/11/without-dallas-john-f-kennedy-and-the-vietnam-war/
[6] https://www.youtube.com/watch?v=OdFL6r-OszM
[7] Voir une description du phénomène dans une autre industrie, le nucléaire : https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/les-mini-reacteurs-et-l-avenir-de-237716
[8] https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Lockheed
[9] https://fr.wikipedia.org/wiki/Lockheed_F-104_Starfighter#Allemagne_de_l’Ouest
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