Interdiction de la Polygamie : La gifle de Moussa Konaté à Aurélien Taché !
Ce vendredi, en direct sur CNews (1), Aurélien Taché, député du Val-d’Oise, nous a livré son idée de la liberté et de l’émancipation des femmes. Il s’est exprimé sur le projet de loi du gouvernement destiné à lutter contre l’islam radical et les « séparatismes » intitulé « Projet de loi confortant les principes républicains », pour se moquer de l’interdiction de la polygamie qui doit y figurer, celle-ci devenant un motif de refus ou de retrait de « tout document de séjour ». Le fondateur du mouvement dit "de gauche ", #NousDemain, a objecté : « On va maintenant regarder combien il y a de personnes sous la couette chez les gens ? C’est ça les lois qu’on va faire voter au Parlement ? ». Il a jugé qu’il était « assez étonnant que l’Etat se mêle de ce genre de choses », avançant que « la société française est plurielle et diverse » pour justifier de ne surtout rien faire, jusqu’à surenchérir : « Ce n’est pas à l’Etat d’aller voir si les gens vivent à deux, ou à trois, ou autre », ajoutant que la polygamie est un « mode de vie différent ». « Je pense que le législateur n’a pas à confondre le droit et la morale, et n’a pas à s’ingérer dans les mœurs. »…
La réponse de l’écrivain Moussa Konaté comme une gifle
A l'occasion du cinquantenaire des indépendances, le grand écrivain malien Moussa Konaté confiait son sentiment sur l’Afrique, à travers un livre inhabituel, « L'Afrique noire est-elle maudite ?", consacré à ses convictions. Il livrait, tel que le commentait le journal Le Monde d’alors (15/11/2010) (2), « une profession de foi limpide, profonde et courageuse, celle d'un Africain amoureux de son continent », sans concession pour ses contradictions, dont justement, la polygamie. Voilà ce qu’il en ressortait dans les colonnes du journal, partant de ce questionnement : « Pourquoi l'Afrique reste-t-elle la lanterne rouge du monde ? Peut-elle s'en sortir ? ». Pour l’écrivain, l’heure est à l’urgence, celle « de déconstruire les clichés occidentaux » d’un côté, question quasi obsessionnelle chez nous au point d’en oublier le reste, mais de l’autre, de dire « la part africaine des responsabilités », voyant « l'Afrique malade d'une culture qui dévoie l'idée de solidarité pour en faire un terrible moyen d'asservissement et un puissant facteur d'inertie. » (3).
En Afrique, explique-il, « tout repose sur « un pacte entre l'individu et la société basé sur la soumission à la famille auquel tout est subordonné, même l’amour » avec des conséquences désastreuses (…) Derrière l'apparente convivialité, la soumission au groupe favorise le parasitisme, la corruption et la tyrannie, au détriment du travail. Le poids de la famille engendre une difficulté à s'isoler qui freine la lecture et l'étude, favorise la médiocrité intellectuelle. L'obligation de verser ses revenus, même maigres, dans le "tonneau sans fond de la solidarité" entrave l'épargne, l'initiative et donc le développement. Les frontières de caste perpétuent les privilèges. » Son analyse des rapports entre hommes et femmes africains est toute autant sans ambiguïté : « La famille polygame ? Un "lieu de confiscation" de la parole et de la pensée de l'individu, une "torture psychologique infligée non seulement à la femme mais à l'enfant". L'excision ? Une "ablation du désir", un "viol de la personnalité" perpétuant la toute-puissance masculine et le confinement de la femme dans un rôle de gardienne des traditions. »
« Si les Africains sont ainsi enfermés dans un mode de vie qui est "une prison pour l'esprit", explique Moussa Konaté, « c'est qu'ils se sont défendus de l'agression de la colonisation en se repliant sur des cultures traditionnelles magnifiées, tout en admirant le savoir des Blancs. D'où un complexe d'infériorité et une amertume persistante. » Dans l’esprit d’un « renouveau humaniste », il indiquait que, « Pour sortir de cette schizophrénie, les Africains doivent "reconnaître leurs torts", à commencer par le rôle de certains de leurs chefs dans le commerce des esclaves. Sans se renier, ils doivent "réformer d'urgence leur modèle de société". Libérer l'individu, interdire la polygamie et les mutilations sexuelles, instaurer l'école obligatoire et la transparence des revenus des dirigeants... » Moussa Konaté montrait ainsi « la voie du "renouveau humaniste" dont les Africains pourraient donner l'exemple au monde en prouvant "que l'homme n'est pas condamné à choisir entre le développement et la solidarité". Il expliquait ainsi magnifiquement les contradictions à dépasser en se plaçant d’un point de vue universaliste de l’émancipation de l’Homme, loin du simplisme inculte de cet élu de la République auquel il avait apporté, par avance, cette réponse en forme de gifle.
Universalisme, marche en avant de l’histoire et illusion des cultures
La polygamie constitue une violation du principe de l'égalité entre homme et femme consacré par l'article 16-1 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’Homme, ainsi que par la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (ONU, 18/12/1979). Malheureusement, le Pacte international des droits civils et politiques (ONU, 16/12/1966) qui, tout en affirmant l’égalité devant ces droits, dit dans son article 27, « Dans les Etats où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue. ». Il donne ainsi la part principale au respect des minorités derrière quoi s’efface l’autonomie de la personne et la liberté de ses choix.
L'idéologie de la reconnaissance de la diversité culturelle comme « composante essentielle des droits humains », présentant les cultures comme immuables, intouchables, est un hold-up intellectuel aux conséquences d’une violence inouïe sur la vie de millions de femmes. La polygamie est par exemple évoquée dans le Coran (sourate 4 « Les Femmes » verset 3) parallèlement à l’affirmation de l’infériorité de « l’autre sexe » : « Il est permis d'épouser deux, trois ou quatre, parmi les femmes qui vous plaisent... » Une vision de soumission des femmes dont l’argument de vente nourrit l’islamisme (4). L’histoire devrait ainsi se figer dans cette conception sacrée des cultures posant l’idée même de leur évolution comme un sacrilège, alors que la Déclaration universelle des droits de l’Homme invite au contraire à converger vers l’égalité, faisant inévitablement voler en éclats certains de leurs archaïsmes, dont la polygamie. Voilà ce qui nourrit cette sorte d’illusion des cultures qui, s’il ne s’agit pas de les nier, s’oppose à une humanité en marche vers le progrès, dont on voudrait ainsi bloquer l’histoire, sinon lui faire faire pour certains « marche arrière toute » !
Comment ne pas avoir à l’esprit, avec cette critique de Moussa Konaté, que ces fameuses cultures qui font aux femmes un statut d’infériorité les condamnent à l’analphabétisme, alors que l’éducation est un puissant facteur de développement ou encore, qu’une forte fécondité liée à des croyances religieuses interdisant la contraception, appauvrit les populations, la croissance démographique étant supérieure à la croissance économique.
Ce lâcher prise d’Adrien Taché n’est jamais que le reflet d’un courant de pensée à côté de la plaque, confondant la lutte contre les discriminations avec la défense de cette diversité creuse aux relents de bonne conscience, de chacun sa case, son assignation à une différence, à une fermeture identitaire, à une race, pour justifier de laisser faire et vivre chacun comme il le veut, et tant pis si ce droit à la différence hors sol justifie les pires obscurantismes. Il converge par-là, on ne s’en étonnera pas, avec une pensée décoloniale qui veut le retour des tribus contre la République. C’est le nec le plus ultra de la pensée ultralibérale, du diviser pour mieux régner. Rien à voir avec les valeurs historiques de cette gauche dont il se réclame. En fait, rien qu’un réactionnaire.
En finir avec la polygamie, condition fondamentale de l’égalité entre tous
Un rapport de 2006 de la Commission nationale consultative des droits de l’homme indiquait qu’il existerait en France environ 20.000 familles concernées par ce phénomène et 180.000 personnes, sachant que fait défaut un véritable travail sur le sujet. Une note de l’Institut Montaigne intitulé « Polygamie en France : une fatalité ? », rédigée par Sonia Imloul, présidente de l'association Respect93 et membre du Conseil économique, social et environnemental, publiée le 20 novembre 2009, le réclamait, où était dénoncé « son caractère destructeur pour les femmes et les enfants qui la subissent ».
Que faut-il de plus pour comprendre l’urgence d’agir, alors que depuis que ces chiffres, le phénomène migratoire n’a cessé de s’intensifier dans notre pays, avec la multiplication par trois des demandeurs d’asile, cent mille titres de séjour en plus par an, et aujourd’hui à tout le moins 320.000 étrangers en situation irrégulière (chiffre attesté par le nombre de bénéficiaires de l’Aide médicale d’Etat) ? J’ai moi-même observé la multiplication de ces situations polygames lors de prises en charge sociales (5), avec de temps à autres en général la plus jeune des épouses, la dernière ramenée du pays, rejetant ce mode de vie dégradant, passant par le biais d’un signalement d’enfant en danger pour trouver à s’en sortir.
Rappelons qu’en France, le fait de contracter un mariage sans que le précédent ne soit dissout est un délit passible d’une peine d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 45 000 euros (art. 433-20 du code pénal). Et donc, que la polygamie en tant que telle n’est pas condamnée. Depuis la loi Pasqua de 1993, les familles polygames en France doivent choisir entre le divorce et la décohabitation ou le non-renouvellement de leur carte de séjour. En réalité, nombres d’arrêts et autres circulaires sont venus depuis l’affaiblir. Voilà ce à quoi, la loi en préparation par le gouvernement, pourrait enfin remédier. On rappellera que le préambule de la Constitution de la IVème République repris par la Vème, affirme que : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme »... Il serait temps d’en appliquer le principe !
Être à la hauteur du testament humaniste de Moussa Konaté
Aller dans le sens de ce à quoi nous invite le député Taché, ce serait assigner ceux-ci ou ceux-là à leur culture comme hier un colonialisme qui a failli, ce serait les traiter en mineurs devant l’histoire, comme condamnés à ne pouvoir accéder aux mêmes droits et libertés, responsabilités. Il faut au contraire suivre l’ambition de Moussa Konaté, qui nous a quitté (6), et le testament lucide et humaniste qu’il nous a laissé, d’appel à la conquête de la liberté des peuples à travers ce mouvement vers l’avant. Il se poursuit ici, par notre République qui a dans ses gènes, même si jugée imparfaite, cette fraternité du combat en faveur de l’émancipation humaine, qui passe historiquement par l’accès de toutes et tous à l’égalité.
1- L’Heure des choix, émission présentée par Damien Fleurot. https://www.replay.fr/l-heure-des-choix-du-19-11-2020-4605549
2-« L'Afrique noire est-elle maudite ?", de Moussa Konaté : schizophrénie africaine
LE MONDE | 15.11.2010 à 16h49 • Mis à jour le 15.11.2010 à 16h49 | Par Philippe Bernard.
3-L’Afrique est animiste et à 70% musulmane. Le propre de l’animisme est de faire prévaloir le collectif, au sens religieux du terme, sur l’individu, au point que l’isolement pour écrire peut même être ressenti comme pouvant amener le mauvais œil sur la communauté. D’autant plus dans un espace culturel à forte tradition orale.
4- Mali - Ousmane Diarra face à l'obscurantisme : "Ce que je défends est plus important que ma vie". TÉMOIGNAGE. Menacé par les islamistes pour ses écrits sur la religion et l'histoire du Mali, l'écrivain Ousmane Diarra a décidé de résister. https://www.lepoint.fr/culture/mali-ousmane-diarra-face-a-l-obscurantisme-ce-que-je-defends-est-plus-important-que-ma-vie-18-03-2016-2026336_3.php
5-Educateur spécialisé de formation initiale, j’ai été en poste jusqu’en 2018 à l’Aide sociale à l’enfance, avant de me consacrer essentiellement à l’enseignement (formation des futurs travailleurs sociaux et cadres du secteur), et à l’activité de conseil.
6- Mort du grand écrivain malien Moussa Konaté, L’Express, 2/12/2013. https://www.lexpress.fr/culture/livre/mort-du-grand-ecrivain-malien-moussa-konate_1304448.html
Guylain Chevrier. Docteur en histoire, formateur, enseignant et consultant. Ancien membre de la mission laïcité du Haut conseil à l'intégration (HCI). Educateur spécialisé.
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