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Les curieuses lois du commerce

 

L'offre et la demande.

 

Il advint qu'un brave voiturier fut excédé de constater qu'à chaque escale dans cette bonne ville qu'il convient de ne point nommer, il devait déplorer la disparition d'une ou deux barriques en dépit de la brigado-surveillance mise en place par la capitainerie. Un souci de taille pour ce marinier qui devait, par la suite, dédommager le marchand pour ce chapardage désolant. Les tours de garde de l'équipage n'avaient jamais donné satisfaction, aussi se résolut-il à veiller toute une nuit pour prendre sur le fait ce maudit brigand de grand chenin (car tel était le cépage qui était l'objet de sa convoitise).

Il fut récompensé de sa peine puisqu'il prit la main dans le sac ou plus exactement sur le tonneau un individu interlope, à la mine peu engageante, ayant tout du gibier de potence y compris une langue bien pendue. Car loin de nier qu'il était l'auteur des vols habituels, il se lança dans une plaidoirie fastidieuse sur son rôle de redistribution sociale des biens de ce monde. Le voiturier en fut saoulé et en vint à le jeter par-dessus bord sans autre forme de procès quand il se dit qu'il s'attirerait bien plus d'ennuis que de satisfaction. Il modéra son courroux pour demander à son voleur ce qu'il fallait faire de lui…

L'autre, sans vergogne aucune, réclama son élargissement contre la seule promesse de ne plus jamais venir chaparder sur son bateau, parole de ligérien, juré, craché. Le marinier n'était pas sans humanité d'autant plus que son larron avait évoqué sa pauvre épouse, ses sept enfants et sa vieille mère dont il avait la charge. Il entendit cependant prendre un avis à moins qu'il voulût un témoin digne de foi à cet engagement sur l'honneur d'un être fort dépourvu en la matière.

Justement, vint à passer au petit jour, le cabaretier de la pinte d'or qui venait justement quérir sa commande, un fût de ce merveilleux Chenin. L'homme s'enquit de l’algarade qui avait l'air de se tenir sur le pont. Le capitaine lui fournit sa version des faits sans que curieusement le brigand ne vienne y mêler son grain de sel. Puis au terme de son récit, l'homme de l'eau demanda au commerçant son avis, sur la promesse du chenapan.

Le commerçant, fort embarrassé, ne savait que dire. Il était aisé de deviner qu'il ne pouvait s'exprimer en toute franchise. Il tournait autour du pot, laissant sa réponse en suspens. Prendre le parti de l'ordre paraissait la position la plus conforme à celui qui avait pignon sur rue même si on devinait aisément qu'il avait maille à partir avec le voleur qui ne lui était manifestent pas inconnu.

C'est d'ailleurs la canaille qui dénoua la situation en avouant que s'il volait régulièrement une barrique c'était justement à la demande de cet honnête commerçant qui pouvait ainsi proposer la chopine de Chenin la moins chère de la ville. Devant cet aveu, le marinier tourna le dos au cabaretier pour s'enquérir de l'opinion de ses deux compagnons qui justement venaient de se réveiller après une soirée fort arrosée à la pinte d'Or.

Les deux mariniers avaient la langue chargée et les pensées confuses. Quel parti prendre dans cette querelle qui pointait. Ils avaient tous deux ardoises conséquentes chez le commerçant et devaient leur embauche à ce voiturier qui était un brave patron. Ils étaient de plus des compagnons du luron qui était un excellent partenaire de luette. Ils préférèrent rester en dehors du débat. Ils firent fort bien du reste car ce fut à cet instant que survint le marchand, propriétaire du chaland et des marchandises transportées.

Le voiturier qui avait naturellement des comptes à lui rendre, décrivit la situation sans entrer dans les détails, ne voulant pas passer la journée en palabres inutiles. Il lui demanda simplement après un bref résumé, s'il convenait de livrer le voleur à la maréchaussée ou bien se fier à sa parole pour que cessent des vols récurrents.

Curieusement le marchand au lieu de s'emporter contre le voleur, tint des propos apaisants, réclamant la mansuétude tout en faisant créance à sa parole. C'était si inattendu de la part de celui qui était en premier lieu la victime des larcins que le voiturier se dit qu'il y avait anguille sous roche, ce qui sur la Loire, n'est d'ailleurs pas surprenant. Il voulut tirer les choses au clair à défaut du vin.

Par un questionnement des plus spécieux, l'homme de barre finit par découvrir que son propriétaire et le voleur étaient de mèche. Le brigand finissant par reconnaître qu'il était mis au courant de la nature du fret par celui-là même qu'il était censé modestement détrousser. Un ou deux tonneaux ne mettant pas en péril ce riche marchand d'autant plus qu'une quote part était exigée d'un voiturier qui était en fait le seul dindon de la farce.

Dindon certes mais il entendait comprendre les tenants et les aboutissants de cette curieuse combine. Le marchand dut reconnaître que la connivence avec le cabaretier permettait ainsi, par le modeste prix des chopines tirées des barriques dérobées de proposer une sorte de promotion sur de nouveaux produits en créant ainsi un nouveau besoin sur le marché. C'était donc ça, une forme élaborée de réclame avant l'heure…

Désolé de tant de magouilles, le voiturier usa de son privilège d'être seul maître à bord pour en dépit de la complicité de son patron, faire quérir par un quidam passant sur les quais, les hommes de la maréchaussée qui vinrent semble-t-il en traînant la patte. Ils s'emparèrent du délinquant qui ne semblait pas inquiet pour deux sous et partirent sans se soucier de l'entraver de quelque manière que ce fut. Sitôt dans le tumulte des chariots et des portefaix, le voleur bouscula ses deux gardes et prit ses jambes à son cou sans que les deux autres ne fassent usage de leurs armes. Il joua la fille de l'air avec une facilité déconcertante qui interrogea plus avant notre voiturier sur les usages dans cette cité. Il garda de par devers lui les conclusions qui s'imposaient à cette étrange histoire et l'affaire en resta là.

C'est du moins ce que les autres acteurs de cette aventure crurent, tous fort satisfaits d'avoir tiré les marrons du feu. Le temps passa, le chaland poursuivit son bonhomme de chemin, effectuant d'autres voyages dans d'autres ports de la Loire quand après un assez long délai, il eut de nouveau une livraison de deux barriques à effectuer dans cette charmante cité. Le voiturier, loin d'être né de la dernière pluie, sur ses gardes avait anticipé ce qu'il redoutait qu'il arrivât.

Son chaland à l'amarrage, il laissa bien visible et sans surveillance particulière les deux tonneaux sur le pont. Il advint ce qu'il avait imagé qu'il se passât. Les deux muids disparurent de la circulation avant que d'être livrés à leur destinataire. Le voiturier n'en sembla nullement affecté tandis que ces deux compagnons s'empressèrent de demander leur journée pour aller se rafraîchir le gosier.

L'homme les y autorisa avec une facilité inhabituelle chez ce patron pourtant réputé rude et sévère. Il pouvait agir ainsi car il était dans l'attente de cargaisons qui exigeraient une immobilisation de deux jours. C'est le lendemain que notre homme fut rétabli dans son honneur et largement récompensé de sa peine…

Partout sur le quai et dans la ville circulait la nouvelle que tous les clients de la Pinte d'Or étaient pris d'un flux de ventre mémorable, une diarrhée de tous les diables qui les clouaient au lit et que pareille aventure avait touché les hommes de la maréchaussée. Il devait y avoir sanction divine à moins que notre capitaine n'ai glissé une petite poudre dans les barriques.

Fort de cette réparation postérieure à l'affront, il changea de patron et cessa de transporter du vin pour se consacrer aux fèves de cacao, entendant ne plus jamais être chocolat dans de telles magouilles. Il n'est cependant pas certain qu'il fut à l'origine de la création des crottes en chocolat, l'histoire n'apporte aucun éclaircissement à ce propos même si j'eus aimé terminer par une telle affirmation pour la bonne bouche.


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4 réactions à cet article    


  • juluch juluch 20 novembre 2023 12:52

    Tout le monde y trouvait son compte !

    la cagagne en prime !


    • C'est Nabum C’est Nabum 20 novembre 2023 13:43

      @juluch

      J’ai comme un doute


    • Jules Seyes 20 novembre 2023 21:06

      Belle histoire.

      On a rarement l’occasion de rire.

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