L’affaire est dans le sac
En direct de Longchamp ....
Les affaires ? Pas vraiment !
Oui, je sais, je suis un vieux ronchon, réactionnaire qui s'ignore, chafouin à tous propos et viscéralement incapable de percevoir les avantages du progrès. Pourtant, laissez-moi vous conter la magnifique saga du sac d'école d'autant que j'ai grandi entouré de ces curieux objets : ces sacs qui, à l'époque, étaient en cuir. Depuis, les enseignants sont devenus les peaux de vache et les élèves s'émancipent avec les matières plastiques …
Tout a commencé par le cartable. Bel objet en matière noble qui durait toute une scolarité et qu'on portait à réparer début septembre chez mon bourrelier de père. Ah, si vous aviez vu cette montagne de sacs à recoudre, vous auriez compris immédiatement que la rentrée était prochaine et que plusieurs enfants avaient utilisé l'objet avachi …. !
Le cartable avait une poignée et des poches, des compartiments et des secrets. Il était parfaitement adapté à sa fonction. C'est sans doute ce qui a justifié sa lente agonie. L'école devenant au fil du temps un passage contraint, petit à petit, les élèves se sont émancipés de l'outil indispensable à une bonne scolarité.
Le cartable, il faut l'admettre aussi, s'est gonflé de manière démesurée de l'appétit inconsidéré des éditeurs et autres marchands de fournitures scolaires. Bientôt, il devint si lourd qu'il fallut rompre avec l'asymétrie de son transport, la colonne vertébrale des enfants demandant grâce. La poignée se fit bretelles et le sac passa sur le dos.
Est-ce à partir de cette révolution technique que les enfants en eurent plein le dos ? Fut-ce pour eux, le signal que l'école n'était que le prolongement des vacances ? Toujours est-il que le sac à dos a enclenché le déclin inexorable de l'institution scolaire. Il y eut immédiatement beaucoup de laisser-aller avec ce contenant si peu adapté. L'entassement devint la règle et pour accompagner ce mouvement de fond, les instructions officielles firent de même avec un empilement déraisonnable des missions de la nouvelle école …
Ce sac libéra l'élève, lui permit de prendre plus facilement la poudre d'escampette. En banalisant l'instrument de l'élève, on le fondit dans la foule. Un sac sur le dos, celui qui avait choisi l'école buissonnière n'avait plus à justifier de sa présence loin de la classe d'autant que les horaires prirent dans le même temps, l'habitude délétère de se faire à la carte.
Le poids du savoir ne faisant que s'accroître, bientôt le sac à roulettes fit son apparition dans des établissements transformés de plus en plus en zones de transit entre deux vacances. La mode ne se généralisa pas, les architectes, qui n'ont jamais dû être élèves, parsemant leurs créations d'escaliers multiples, de recoins incertains et de couloirs très bruyants. Si les élèves ne résonnent plus guère en raisonnant, les roulettes prirent le relais un temps …
Puis, la mode vint se mêler de ce gisement extraordinaire de profits potentiels. Le sac devint un objet de consommation courante. Il se fit léger, multicolore, brillant. Seule son apparence comptait. L'enfant s'habitua rapidement à ne rien y mettre qui pût avoir rapport avec l'école. Le mouvement était lancé. On s'émancipa bientôt des contraintes liées à la fonction réelle de cet instrument de transport.
Les classeurs ne trouvèrent plus leur place dans les nouveaux produits imposés par la publicité et le marketing. Les parents ne s'étonnaient même plus de l'inadéquation de leur achat avec sa destination. Toutes les folies allaient être permises. Le sac de plage fit son apparition, brisant définitivement l'idée que l'école était un sanctuaire dédié au savoir et au travail.
Suivit alors le cabas. Un étrange fourre-tout, mou et informe, à grande anse dans lequel, précisément, on enfourne tout à l'exception notoire des fournitures scolaires. Il faut reconnaître que le téléphone, le baladeur, le casque, quelques friandises, une tablette, un paquet de cigarette et des produits prohibés, tout ce fatras indispensable aujourd'hui, prend beaucoup de place.
Enfin, la révolution du sac à main marqua la fin de l'indifférenciation garçons-filles. Est-ce en réaction aux tenants de la théorie du genre ? Je ne m'avancerai pas sur ce sujet. Toujours est-il que les demoiselles se firent de plus en plus femmes avec un sac d'une rare élégance à moins qu'elles ne se prennent pour des pouliches avec leurs Longchamp . Il faut parier que les prix s'alignèrent sur cette tendance sophistiquée. La propagande commerciale triomphant une fois encore de la résistance des parents et du désespoir des professeurs.
Dans ces magnifiques sacs, les demoiselles ne rangent plus rien. Elles ont compris que l'école ne pouvait les contraindre en aucune manière. Plus de classeurs, plus de cahiers et rarement des crayons, à l'exception de ceux qui dessinent des cils. Le sac est le prolongement de la tenue vestimentaire, il est élément de distinction, il permet surtout de ne plus ressembler à une collégienne. C'est en cela qu'il fait de véritables ravages dans les jeunes consciences.
Voilà où nous en sommes. Vous pensez certainement que j'exagère. Prenez le temps de visiter un collège ou bien un lycée, vous verrez de vos propres yeux cette jeunesse qui ne fait que passer dans nos établissements, sans le moindre outil nécessaire à son métier d'élève. Mais le commerce doit passer, c'est la seule loi qui s'applique aujourd'hui et puisqu'il est interdit d'interdire, l'affaire est dans le sac !
Maroquinièrement vôtre.
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