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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > « Faites le mur » ou... qui est Banksy ?

« Faites le mur » ou... qui est Banksy ?

« Banksy fait son cinéma », nous dit la bande-annonce du film Faites le mur (2010)*. Qui est Banksy** ? C’est un graffeur britannique désormais culte pour certains faits… d’art. Personnage célèbre de la scène graffiti, il tient à rester dans l’anonymat afin de réaliser ses actions pirates. Entrer en 2003 dans l’enclos des manchots du zoo de Londres pour y peindre en lettres de 2m de haut le slogan « We’re Bored of Fish » (« On en a assez du poisson »), c’est lui ; peindre en 2005 à Ramallah des paysages de rêve sur le mur de séparation entre la Palestine et Israël, c’est encore lui ; installer en douce en 2005 ses œuvres dans les plus grands musées du monde (MoMa de New York, Musée du Louvre…), c’est toujours lui ; détourner en 2006 un album de Paris Hilton en lui greffant des seins qui tombent et en remettant les 500 exemplaires trafiqués dans les bacs de 48 magasins en Angleterre, c’est encore Banksy ! On ne connaît ni son identité ni son visage. De son vrai nom Robin Gunningham, né en 1974 à Bristol (Royaume-Uni), Banksy commence ses activités d’« Art Terrorist » dans les 90’s. Il abandonne assez vite les tags, qui lui prennent trop de temps à réaliser, pour créer des pochoirs dont la mise en œuvre rapide lui permet d’échapper plus facilement à la surveillance policière. Art de contrebande, la pratique clandestine de ce graffeur est à mi-chemin entre un esprit potache contestataire et une poésie activiste visant à interroger nos sociétés modernes ployant sous le tout-sécuritaire et à questionner avec panache les codes de l’art contemporain et la valeur de l’art.

Mais, avant de parler du documentaire Faites le mur, très enthousiasmant (du 4 sur 5 pour moi), il faut quand même rendre à César ce qui appartient à César. Non, Banksy n’a pas inventé l’art provocateur et le détournement d’icônes de l’art. Bien avant lui, des Duchamp et Dalí ont depuis belle lurette mis des moustaches à la sacro-sainte Joconde. Non, Banksy n’est pas le 1er à prendre le contrepied de « l’art officiel » des musées. Moult artistes, notamment au XXe siècle, ont cherché à distinguer l’art comme aventure de la culture dite « asphyxiante », à commencer par Jean Dubuffet. Et beaucoup de démarches hors limites, tels l’Actionnisme viennois ou le Body Art, se sont dressées contre la marchandisation de l’art, se refusant radicalement à produire des objets finissant leur course dans des musées touristiques transformés en mouroirs pour objets d’art. Non, Banksy est loin d’être le seul à avoir fait de la rue son atelier. Avant lui, des Nouveaux Réalistes tels Villeglé et Hains arpentaient dès les 60’s le pavé pour créer, via des collages, des détournements d’affiches publicitaires annonçant déjà le souffle libertaire de la street culture. De plus, Banksy, question exploitation du pochoir urbain, est lion d’être le 1er. Sans un Blek le Rat, il n’est pas sûr que Banksy en serait là aujourd’hui ; Banksy l’assume d’ailleurs : « A chaque fois que je peins quelque chose, je découvre que Blek le Rat l’a déjà fait, simplement 20 ans avant ! ». On parle de Blek le Rat comme source d’inspiration évidente pour Banksy, mais on peut également mentionner en France Miss.Tic et surtout Ernest Pignon-Ernest. Artiste travaillant dès les 70’s sur la « peau des villes », à savoir les murs, il y installe au pochoir des personnages à échelle 1, tels Rimbaud et Artaud, qui viennent croiser, avec poésie et allusion politique, le regard des passants. Dernière chose, les teasers de Faites le mur se complaisent quelque peu dans les lieux communs, opposant trop paresseusement, me semble-t-il, l’art des musées, qui serait « l’art officiel », de l’art de contrebande, anticapitaliste et antisystème, qui serait le street art. On y lit des phrases faciles du genre « Visitez les musées vous emmerde ? Vous adorerez le street art ! » et « Il y a l’art officiel… et l’art de la rue » ; l’art officiel, ou sage, serait visiblement, si l’on en croit ces teasers, une expo-blockbuster d’Impressionnistes parce que visitée par Mitterrand ou une série de monochromes sous verre d’Yves Klein. Mais c’est oublier que l’Histoire de l’art fait toujours son petit bonhomme de chemin. Les œuvres établies d’aujourd’hui sont souvent les œuvres révolutionnaires d’hier. Les Impressionnistes sont passés à la fin du XIXe siècle par le Salon des Refusés avant de voir aujourd’hui leurs tableaux atmosphériques affreusement déclinés en série sur les mugs des musées du monde entier. Et l’artiste trublion Yves Klein a fait en son temps scandale avant de voir son fameux bleu outremer finir en faire-valoir arty pour ameublements Ikea. En outre, les artistes du street art sont désormais en partie avalés par le système. Consacrés dans les années 2000 par beaucoup d’institutions muséales (Grand Palais, Fondation Cartier, etc.), leur art franc-tireur bat de l’aile, question subversion, et le marché de l’art n’a pas manqué d’instrumentaliser Banksy, au point que, de nos jours, certains puristes de la street culture le considèrent comme un vendu. Banksy est 69e du Top 500 Artistes d’ArtPrice, le produit des ventes de ses œuvres pour 2010 s’élevant à 976 041 €. Bref, Banksy ne vit pas dans la misère, ce n’est pas le nouveau Van Gogh, loin de là. Et il n’a pas inventé le pastiche et l’irrévérence en art. C’est un continuateur, parmi d’autres, mais avec beaucoup de talent, certes.

Evoquons en quelques mots son documentaire Faites le mur, objet filmique passionnant. En 1 heure 25, Banksy crée une œuvre bouillonnante qui ne manquera pas, à coup sûr, de susciter des vocations. L’énergie qui se dégage du film est contagieuse. Dans la nuit, les sirènes de police retentissent, une caméra brinquebalante suit nos « pirates » marquant leur territoire en apposant sur les murs des villes internationales graffitis, aphorismes et autres marques de fabrique. Il y a quelque chose de rock’n’roll dans cette aventure clandestine qui est très séduisant. Les rues sont revisitées, mais également les pratiques muséales et les parcs d’attractions. Les intrusions potaches à la Jackass ou à la Sacha Baron Cohen, mais en bien plus conceptuelles, de Banksy dans ces lieux sous haute sécurité, sont selon moi les grands moments du film. Voir Banksy s’infiltrer masqué dans la Tate Britain pour accrocher avec audace sur une cimaise du musée londonien un tableau champêtre customisé par ses soins est un moment jouissif. Voir Banksy s’introduire dans le Disneyland californien pour rajouter dans le décorum un mannequin représentant un prisonnier du camp de Guantanamo Bay est un réel tour de force et, entre nous, un superbe geste iconoclaste venant surligner les sentiers balisés du marketing angélique du pays de Mickey pouvant vite virer au totalitarisme. 

Le film n’est pas à un paradoxe près, et c’est ce qui fait son intérêt. Alors qu’ils cherchent à pratiquer leur art dans le plus grand anonymat afin de préserver leur liberté de création, les plus grands protagonistes du street art sont là - Space Invader, Shepard Fairey/Obey et bien sûr Banksy – et ont accepté d’être filmés. Mais en partie seulement. Le visage de Space Invader est pixellisé, le brouillage de l’image renvoyant alors habilement à ses petites carrés de céramique multicolores reprenant les codes graphiques des jeux vidéo Arcade et du Rubik’s Cube. Banksy, lui, apparaît visage dans l’ombre et voix cryptée. Et, avec une grande malice, alors que l’on croyait voir un doc dérouler son programme pour célébrer le street art et faire benoîtement le portrait sous forme de biopic classique de son plus grand représentant, Banksy botte illico en touche. Préférant faire un portrait en creux de lui-même (c’est bien connu, c’est souvent par l’absence que les stars se rendent d’autant plus présentes), Banksy consacre l’essentiel de son film à un artiste et ami improbable : Thierry Guetta, alias Mr Brainwash, filmeur frappadingue s’étant mis en tête – hélas ! - de devenir, sur les recommandations de Banksy, Street Artist. « Il existe les parcs d’attractions, moi je fais un art de loisirs. » : Mr Brainwash est au street art ce que sont les Trinita aux westerns spaghettis de Leone. Du meilleur est né le pire, d’où le sous-texte du film qualifié de « premier film catastrophe sur le street art ». Mr Brainwash déclare qu’on le prend pour un lièvre courant dans tous les sens (ses peintures bariolées, produites à la chaîne via un art industriel, mixent à tout-va street art et pop art) alors qu’il va se faire tortue. On le prend pour un peintre façon Star Ac (en très peu de temps il a monté une expo-spectacle sur son seul nom et il vend des milliers de $ ses œuvres), mais il veut qu’on lui accorde du temps pour prouver qu’il est un vrai créateur. Hum, on demande à voir…

En questionnant la bulle spéculative de certains artistes - dont ce Mr Brainwash mais on pourrait s’interroger sur un Damien Hirst et tant d’autres -, Banksy semble alors reprendre l’interrogation menée par Kitano dans son superbe film sur la peinture Achille et la tortue. On y voyait un peintre (Machisu/Kitano) courir plusieurs lièvres à la fois, absorbant telle une éponge impressionnisme, surréalisme, pop art, graffiti et tutti quanti pour pas grand-chose à l’arrivée, si ce n’est un patchwork de styles virant à l’insignifiance visuelle. A la fin de Faites le mur, Mr Brainwash semble être le cousin germain de ce Machisu : il aurait intérêt à se faire tortue (prendre le temps d’être soi-même) plutôt que lièvre aveuglé par les phares éblouissants de la célébrité médiatique. Bref, avec humour et intelligence, Banksy, via son film, s’interroge sur la valeur et les codes de l’art. Et, au passage, comme un Kitano, il ne manque pas de se méfier d’une certaine religiosité à son égard. De ce côté-là, on ne peut que l’approuver afin que les musées restent avant tout des lieux de vie et de débats et non pas des temples où il faut à tout prix courber l’échine devant ce qui se donne à voir. Dernière chose, avec Banksy avançant perpétuellement masqué, il faut toujours rester prudent car d’aucuns affirment que cet intriguant Mr Brainwash ne serait autre que... Banksy lui-même ! A suivre...

* En salles à partir du 15 décembre 2010.

** Plus d’infos, ici (http://www.banksy-art.com/) et là (http://www.banksy.co.uk/)

Documents joints à cet article

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2 réactions à cet article    


  • orage mécanique orage mécanique 15 décembre 2010 11:01

    Mais, avant de parler du documentaire Faites le mur, très enthousiasmant (du 4 sur 5 pour moi),

    juste une remarque par rapport à l’impression de votre article, j’ai très envie de voir ce film et j’ai eu du mal à y trouver le sentiment « enthousiasmant »

    Sinon, je pense aussi qu’il ne faut justement pas critiquer les street artistes comme les autres. Il prennent un malin plaisir à brouiller les cartes et à jouer avec leur public.
    Ils sont tiraillés comme vous le dites bien dans votre article entre leur désir de rendre l’art à la rue et la « tentation » de le vendre.
    Mais ils ont la dimension supérieure des artistes « classiques » d’essayer de préserver le plus possible leur liberté et de ne pas s’enfermer dans leur art.
    Bansky en est en cela l’un des meilleurs exemples.


    • JJ il muratore JJ il muratore 17 décembre 2010 10:02

      @ Delaury. Bien aimé votre texte.
      Banksy excelle dans le registre de « l’intervention » dans le même sens que l’on dit « le théâtre d’intervention » Je préfère ce terme à celui trop réducteur de street art.
      En effet « l’oeuvre » (!) ne prend son sens que par le lieu où elle est mise en scène.
      Banksy est une rare pépite parmi les mètres cubes de l’Art contemporain (comptant pour rien) dont le moindre paradoxe est de produire des vedettes éphémères qui battent des records dans les ventes tel Damien Hirsch ou Jeff Koon, alors que sa prétention affichée serait de « dépasser » l’Art bourgeois...

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