SUITE DE L’ARTICLE DE MEDIAPART
Défendre ce
projet était devenu encombrant pour la nouvelle direction.
Une source au sein de Plon
Auprès
de Mediapart, le directeur éditorial de Plon, Grégory Berthier-Saudrais, ne
souhaite « ni infirmer ni confirmer l’information » et renvoie
vers Céline Thoulouze, l’autre directrice éditoriale (qui vient tout
juste d’être nommée directrice générale). D’après elle, l’abandon du projet
n’aurait rien à voir avec le licenciement de Thoen. « Salomé Viaud a
quitté Plon pour le Seuil. L’auteur de l’enquête l’a tout simplement
suivie », justifie-t-elle.
Sauf
que, comme a pu le vérifier Mediapart, l’auteur s’est mis d’accord avec le
Seuil dès avril 2021, avant que son éditrice ne rejoigne ce groupe en septembre
2021. « Une fois que j’étais libéré de chez Plon, c’est moi qui ai
contacté Le Seuil pour publier mon enquête. Cela n’avait rien à voir avec
Salomé », précise par ailleurs Étienne Girard.
Une
autre question se pose aussi : pour quelle raison le journaliste a-t-il pu
conserver son avance ? « Je pense que c’est parce que ce n’était pas
grand-chose, il n’y a rien de choquant à cela », avance Céline
Thoulouze qui martèle qu’il n’y a ni censure ni autocensure. « C’est
plus plaisant de dire qu’on a renoncé à publier cette enquête à cause de
pressions venues de Bolloré, mais ce n’est pas le cas, ajoute-t-elle. On
est totalement libre de publier ce qu’on veut et jusque-là, personne ne nous a
empêchés de le faire. Si je ne pouvais pas être libre de mes publications, je
ne serais plus chez Plon, ni chez Editis. »
Des
documents entre plusieurs membres de la direction qu’a pu consulter Mediapart
montrent pourtant que le lien entre Bolloré et l’abandon du projet est évident.
Une source interne confirme : « On ne
peut pas parler de censure mais il est vrai que défendre ce projet était devenu
encombrant pour la nouvelle direction. »
Au
retour de son congé maternité, Salomé Viaud fait une demande de rupture
conventionnelle. Était-ce en lien avec cette affaire ? Sollicitée par
Mediapart, elle n’a pas souhaité répondre précisant être « tenue à la
confidentialité ». Elle confirme toutefois avoir décidé de rejoindre
le Seuil des semaines après le journaliste : « Au moment où
Étienne décide de rejoindre le Seuil, il n’est pas question que j’y aille. J’ai
quitté Plon le 19 juillet 2021 et rejoint le Seuil en
septembre. »
L’inquiétude
Bolloré également exprimée chez Grasset
Une
fois libéré de Plon, et l’enquête déjà bien avancée, Étienne Girard, est
approché par d’autres maisons d’édition. Là encore, la menace Bolloré plane sur
son projet.
D’après
nos informations, Grasset souhaite le faire signer, mais Étienne Girard
s’inquiète une nouvelle fois. Pourra-t-il la publier alors que le milliardaire lorgne le groupe Lagardère, propriété de Hachette Éditions
dont dépend Grasset ? « On a en effet discuté de Bolloré mais il lui a
été dit qu’il n’y aurait pas de problème. Et que si jamais ça devait poser un
problème un jour, ce serait gagnant pour lui. Il pourrait conserver l’avance qu’on
lui aurait versée et publier son livre ailleurs en racontant qu’il a été
censuré », nous précise un salarié.
Sollicité pour savoir pourquoi Étienne Girard avait renoncé
à publier chez Grasset, le journaliste confirme la teneur de ces échanges et
dit avoir « préféré signer au Seuil ». Une autre source
interne de la maison n’a en tout cas pas trop de doute sur le motif :
« La mainmise éventuelle de Bolloré dans le futur est, sinon la raison, au
moins l’une des raisons qui l’ont fait choisir le Seuil. » Et
d’ajouter : « On a en effet une parfaite illustration de ce que
peut susciter la peur des représailles de Bolloré dans le milieu de
l’édition. »
Le
parcours chaotique de cette enquête se termine donc au Seuil. L’auteur est
rassuré puisque le milliardaire n’a pas de lien avec la maison d’édition. Le Radicalisé, qui bénéficiera d’une importante
couverture médiatique, peut paraître le 28 octobre 2021, quelques jours à peine
avant qu’Éric Zemmour n’annonce sa candidature à la présidentielle.
En octobre dernier, Mediapart documentait justement les
inquiétudes au sein du groupe Editis et la crainte que Vincent Bolloré n’impose
sa marque politique dans le monde de l’édition comme il le fait dans le champ
médiatique, avec CNews ou Europe 1.
Une crainte alimentée par l’arrivée chez Plon de Lise Boëll,
éditrice historique de Zemmour, et qui fait désormais l’objet d’une enquête interne après les révélations récentes
de Mediapart. Elle s’était notamment « portée garante du bon
comportement passé de son adjoint » Mickaël Palvin au moment de son
recrutement chez Plon alors que ce dernier avait été licencié pour « faute
grave », au terme d’une enquête interne pour harcèlement moral.
Lors
d’une enquête récente sur la mainmise de Bolloré dans l’édition publiée par Politis, des salariés du groupe Editis se
voulaient rassurants. « Si un bon livre sur l’empire de Bolloré est
proposé, il sera publié », répondait La Découverte, appartenant
également au milliardaire. L’expérience chez Plon prouve que la peur a déjà
gagné la maison. Une source interne résume : « On voit bien à quoi
ça sert les décisions brutales de Bolloré. D’apparence isolées, elles
permettent de distiller la peur et in fine, d’empêcher un auteur d’être
publié. »
David Perrotin