Pour ne pas froisser Bolloré, les éditions Plon
renoncent à publier une enquête sur Zemmour
Avant de
paraître au Seuil en octobre, la première biographie non autorisée sur Éric
Zemmour du journaliste Étienne Girard devait être publiée chez Plon, propriété
de Vincent Bolloré. La direction a préféré renoncer au projet, pourtant déjà
signé et en partie rémunéré, par crainte que cela déplaise au milliardaire.
David Perrotin
23 décembre
2021
https://www.mediapart.fr/journal/france/231221/pour-ne-pas-froisser-bollore-les-editions-plon-renoncent-publier-une-enquete-sur-zemmour
Pourquoi
licencier un humoriste de Canal+, quitte à ternir sa réputation ? Pourquoi
purger la rédaction d’iTélé ou d’Europe 1 dans la douleur, quitte à
susciter indignation et vague de soutien contre soi ? Ce qui se passe chez Plon
illustre peut-être l’intérêt de ce genre de décisions brutales prises par
Vincent Bolloré. Cela montre comment le licenciement d’un homme peut façonner
le climat anxiogène de tout un groupe. Et permettre de préserver les protégés
du milliardaire, à l’instar du candidat Éric Zemmour.
Retour
en mai 2020. Étienne Girard, ancien journaliste à Marianne et actuel
rédacteur en chef adjoint à L’Express, s’intéresse à Zemmour. Ce dernier
n’a pas encore fait part de ses ambitions présidentielles et n’est qu’un
polémiste d’extrême droite diffusé quotidiennement sur CNews. Le journaliste
souhaite réaliser une bio non autorisée du personnage et choisit de signer un
contrat chez Robert Laffont avec Salomé Viaud pour éditrice le 6 mai 2020. Pour
suivre son éditrice mutée chez Plon – tout comme Robert Laffont, la maison
appartient au groupe Editis, propriété de Bolloré –, Étienne Girard voit son
contrat transféré le 4 novembre de la même année.
Lorsqu’il
avait demandé s’il aurait toute la liberté pour enquêter sur lui quitte à
évoquer ses liens avec Vincent Bolloré et le rôle joué par ce dernier, on
l’avait rassuré chez Plon comme chez Robert Laffont, en affirmant que les
maisons étaient totalement libres et qu’Editis n’était pas Canal+.
Mais en
novembre 2020, l’affaire Thoen éclate et vient une nouvelle fois confirmer
la brutalité de Vincent Bolloré. L’humoriste de Canal+ se fait licencier après
avoir participé à un sketch pour railler les obsessions anti-migrants du
présentateur phare de CNews, Pascal Praud. Les signataires d’une pétition pour
le soutenir sont inquiétés et plusieurs journalistes sont remerciés.
Plon
résilie son contrat avec le journaliste
D’après des
documents consultés par Mediapart, c’est à cette époque qu’Étienne Girard
s’alarme auprès de sa maison d’édition dans la foulée de l’affaire Thoen. À
trois reprises, le journaliste souhaite savoir si son enquête sera toujours
publiée et avoir confirmation qu’on n’utilisera pas de supposés motifs
juridiques pour la censurer.
En décembre,
d’abord, il demande des garanties à son éditrice, alors en congé maternité.
Loin de le rassurer, la direction de Plon tarde à répondre et fait planer le
doute sur la possibilité que son livre puisse être finalement publié. Étienne
Girard n’obtient alors de réponse ferme ni de son éditrice, ni de la maison
d’édition. Le livre était pourtant signé et attendu à l’automne. « À ce
moment-là, je ne me sens pas vraiment rassuré », confirme Étienne
Girard.
À partir de
janvier 2021, plus rien ne se passe comme prévu. Le 13 janvier, le journaliste
écrit à Salomé Viaud et demande une nouvelle fois la confirmation qu’il a bien
une liberté totale d’enquête. Le 17 janvier 2021, nouvelle inquiétude d’Étienne
Girard. Lors d’un échange avec son éditrice, il expose une nouvelle fois ses
doutes. Sans explication, elle lui suggère de rompre son contrat. Le
journaliste reçoit alors une lettre de rupture, qu’il accepte.
D’après cette lettre d’accord consultée par Mediapart, la
décision est donc prise de renoncer à la parution de ce livre. « Ainsi
que nous vous en avons informé, nous renonçons à la publication de cet ouvrage,
et par conséquent souhaitons résilier notre contrat », peut-on lire dans
ce document consulté par Mediapart. Fait exceptionnel, Plon libère l’auteur de
son contrat, lui permet de publier son livre dans n’importe quelle autre maison
et lui laisse conserver l’avance déjà versée. « Nous vous
proposons de conserver, à titre de dédommagement forfaitaire, la somme qui vous
a été versée à la signature du contrat », écrit la direction de
Plon.
Auprès
de Mediapart, Étienne Girard, qui ne souhaite pas livrer davantage de
commentaires, confirme. « Plon m’a en effet libéré de mon contrat. Mais
on ne m’a donné aucune raison », explique le journaliste. « Je
ne sais pas si c’est parce qu’il n’est pas possible d’écrire sur Zemmour dans
une maison appartenant à Bolloré, mais vu le contexte, on peut clairement se
demander si ça avait un lien, ajoute-t-il. Cette décision m’a finalement
soulagé ».