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Commentaire de NICOPOL

sur Le naufrage de Gbagbo


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NICOPOL NICOPOL 8 avril 2011 17:27

Bonjour,

Je trouve vraiment insupportable cette tendance à ne « décrypter » l’actualité africain qu’à travers la lorgnette de notre propre agenda occidental. Comme si TOUT ce qui se passait au sud du Sahara était manipulé, contrôlé, instrumentalisé par les « cercles du pouvoir » américains et européens, Sarkoy-FMI etc etc.

Ceux qui font ça, au fonds, se foutent bien de savoir ce qui se passe vraiment là-bas, il se foute bien de comprendre la réalité du monde africain, les aspirations des populations africaines, leur univers mental tellement étranger au nôtre. Ils se limitent à trier dans les quelques infos qui nous viennent de là-bas ce qui va bien sagement rentrer dans les petites cases de leur militantisme, anti-sarkosysme, anti-libéralisme, anti-je ne sais quoi. Franchement, être pour Gbagbo au seul motif que Ouattara vient du FMI et est reconnu par l’ONU, c’est vraiment le degré 0 de l’analyse géopolitique et historique. Je suppose d’ailleurs que ceux qui soutiennent ainsi Gbagbo trouvent aussi Kadhafi, Mugabe et Ahmadinejad « cool » (et aussi Kim Jong-il, Than Shwe...) ?

La réalité de la Côté d’Ivoire, c’est un pays absurdement plaqué sur une mosaïque ethnique débordant largement cette frontière pour s’étendre dans les pays voisins, et même au-delà, figeant une dynamique de déplacements de population dans une situation artificielle et tendue. On y trouve ainsi au sud des ethnies venues du Ghana (Akan / Kwa) et du Liberia (Kru), chrétienne-animiste, et au nord des ethnies Sahélienne venues du Mali et de Haute-Guinée (Mandé - Malinké) ainsi que des populations voltaïques (proches des Burkinabés) qui constituent en fait les populations les plus anciennes du pays.

L’histoire récente de la Côté d’Ivoire, c’est une manœuvre des ethnies sudistes pour interdire les candidats nordistes aux élections de 1995 et 2000 ; c’est un président représentant des ethnies du sud (et plus particulièrement Kru), lesquelles se prétendent seules « ivoiriennes », qui a tout fait pour mettre en place une politique xénophobe de discrimination envers les populations « non-ivoiriennes » sahéliennes et voltaïque ; c’est en 2002 un soulèvement des nordistes qui s’apprêtaient à déferler sur Abidjan régler son compte à Gbagbo avant que celui-ci n’appelle les Français à s’interposer (perdant ainsi une occasion de voir le problème ethnique ivoirien « réglé » dans le sang), puis, ayant reconstitué ses forces, ne leur demande gentiment de s’en aller (avec un petit assassinat de journaliste pour leur mettre la pression... je m’en souviens j’étais à Abidjan juste à ce moment-là).

Et les élections de l’année dernière... Soyons sérieux : le Président Gbagbo ne représente que son groupe ethnique Kru et quelques ethnies alliées lagunaires, soit environ 20 à 25% de la population. Contre lui, une alliance entre Ouattara qui représente les éthnies du Nord, soit 35% de la population, et Bédié (arrivé 3ième à l’élection et qui a appelé à voter Ouattara), qui représente les Baoulé (Akan), soit environ 40% de la population... Faites les comptes : Gbagbo a au moins 70% de la population contre lui (le nord et le sud-est) ! Comment, dans une élection démocratique libre et honnête, pourrait-il être élu ?

L’offensive de Ouattara n’est que la suite de l’offensive un peu bêtement stoppée par la France en 2002 ; c’est une étape nécessaire pour permettre aux ivoiriens de régler leurs conflits ethniques entre eux, quelque soit ce que nos délicates âmes européennes en pensent.

Gbagbo est peut-être un bon président pour son ethnie ; le malheur, c’est que la Cote d’Ivoire ne se réduit pas aux Kru, c’est un assemblage d’ethnies rivales. D’autres pays ont trouvé un moyen pour associer les différents groupes ethniques au pouvoir (au Cameroun, notamment ; c’était aussi le cas sous Houphouët ; même Gbagbo avait un premier ministre du nord, Soro, qui a appelé lui aussi a voter Ouattara). Aujourd’hui, l’alliance n’est plus entre Kru et Akan contre les nordistes, mais entre Akan et nordistes contre les kru. Mathématiquement, Ouattara doit être élu. Reste à voir ensuite comment il gérera son alliance avec Bédié (à l’origine, rappelons-le, du concept d’ « ivoirité ») et saura ou non réinstaller la condition d’un équilibre du pouvoir entre groupes ethniques... Sinon, il n’y a pas d’autres solutions qu’une recomposition ethnique et / ou territoriale pour arriver enfin à la création de véritables Etats-nations en Afrique (un pays, un groupe ethnique). Ceci me semble d’ailleurs une condition nécessaire pour leur permettre d’entrer enfin dans la modernité.

Bref, avoir comme unique grille de lecture de ces conflits ethniques des manipulations de l’occident... Faut vraiment le faire !


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