Livrons néanmoins, pour ne pas être accusé d’exagérations gratuites, quelques échantillons de cette « vision lucide, selon Agora Vox, de la catastrophe politique que constitue le régime cubain. Une dictature fondée sur le mensonge et la répression ».
Pour ce qui est du mensonge, en tout cas, Onfray commence dès la
première phrase par montrer qu’il peut en remontrer à n’importe qui en
déclarant tout de go que la mort de Castro a donné lieu au « concert de pleurs » attendu.On se demande quelle radio, chaîne de télé ou journaux il a bien pu lire ! Mis à part L’Huma, qui ne fait pas partie de ses lectures favorites, et Merluchonqui
s’est précipité à l’ambassade de Cuba pour donner une allure radicale à
sa « révolution citoyenne », c’est plutôt la réjouissance, comme on l’a
vu, qui était de mise. La suite est à la hauteur du début : « Cuba est une dictature depuis 1959. Pas plus tard… » Foin d’analyse historique sur l’évolution du « régime » ! Vient alors un scoop de derrière les fagots : Castro aurait « choisi la date de sa mort ». Car le 25 novembre 1956 marquait « le début de la guérilla » menée
par lui. La fin de son chef au moment même où l’on pouvait célébrer le
soixantenaire de la première ne donc rien au hasard. Et Onfray de
commenter, au cas où l’on n’aurait pas compris : « Ça tombe bien du point de vue de l’histoire et de la mythologie ». Bien
plus, il n’est même pas sûr que la date et l’heure du décès soit celles
indiquée par Raoul Castro. Onfray en est convaincu : « On a choisi la date et l’heure pour que ça fasse symbole et symbolique, mythe et mythologie. » Pour
conforter cette anthropologie de bazar, notre philosophe va plus loin.
Ce qui vaut pour le décès de Castro vaudrait également, en effet, pour
son incinération : « Il
est mort et a été incinéré avant pour faire coïncider les dates. Avec la
complicité de son frère Raoul, chargé de faire l’annonce. »
Pour préparer les esprits à accueillir sans rire cette hypothèse abracadabrantesque,
aurait dit Jacques Chirac, présentée comme une certitude, Onfray avait
préalablement révélé une autre coïncidence de dates destinée, semble
t-il,à donner plus de poids aux élucubrations chronologiques qui allaient suivre : le 1er
janvier 1959, date de la prise de pouvoir de Castro à La Havane, était
aussi celle de la naissance du philosophe de tête de gondole. Onfray
versus Castro :une
fois de plus, un nain se hausse sur les épaules d’un géant à qui il
impute toutes sortes de bassesses en espérant ainsi apparaître plus
grand !Suivra
l’énoncé devenu obsessionnel de ses bêtes noires favorites
(Fouquier-Tinville, Robespierre, Staline, Mao et Hitler, pour faire bon
poids) pour se clore sur cet aphorisme : « Je n’ai pas de goût pour les dictateurs. Un dictateur est un dictateur » Plus consensuel, tu meurs !
Comme
à l’accoutumé, le bon élève de la rue d’Ulm choisit une formulation
ronflante pour dresser un parallèle des plus scolaires entre les deux
faces du Janus des Caraïbes : « Fidel Castro, flamme et cendres ». La flamme, c’est à la fois le « vibrato d’un moment de fraternité »
provoqué chez les petits bourgeois intellectuels des années 60 par la
geste des guérilleros de la Sierra Maestra, et celle éprouvée pour le
dirigeant cubain qui l’incarnait. Un dirigeant que Debray, « insoucieux de la situation intérieure », avoue t-il, voyait non comme un « chef d’État », mais comme « l’inlassable animateur des résistances nationales au-dehors ».
Les cendres, ce sont celles des idéaux révolutionnaires consumés, qui,
aux yeux de Debray pour la raison indiquée, n’étaient qu’à usage
externe, mêlées à celles de Castro que l’on venait d’incinérer. Lequel,
suppute Debray, n’aimait peut-être pas vraiment en fin de compte « le régime dont il était la tête ». Ce qui le conduit à enfoncer une porte ouverte depuis des lustres en guise de conclusion : « nul ne règne innocemment ». Bref, Fidel est coupable de double jeu, mais c’est la destinée de tous « les grands seigneurs de la profession » avec lesquels Debray n’a cessé de frayer pour les faire bénéficier de ses avis éclairés.
Autre transfuge de haute volée, Bernard Kouchner, dans Le Point,
accuse Fidel de toutes les vilenies, y compris d’avoir débauché sa
compagne d’alors, militante comme lui de l’Union des Étudiants
Communistes, lors d’un voyage — payés par le « régime » — à Cuba. Il est
vrai que le promoteur du « droit d’ingérence », ami du mafieux et
criminel de guerre devenu Premier ministre du Kosovo Hashim
Thaçi, n’est plus à un racontar près, lui qui niait effrontément, alors
qu’il officiait au Quai d’Orsay dans un gouvernement Fillon, la
culpabilité du chef de l’UCK dans le trafic d’organes prélevés sur les
prisonniers serbes assassinés après leur capture.
On
pourrait facilement allonger la liste. D’autant que ce que l’on a pu
entendre à radio et à la télévision sur les chaînes publiques ou privées
était à l’unisson. Pour un peu, on aurait cru avoir la version
française ce que était simultanément diffusé depuis Miami !
Au
milieu de ce fatras d’éructations haineuses, il m’aurait été difficile
voire impossible de décider à qui décerner la palme de la désinformation
et propagande contre-révolutionnaire, si Michel Onfray ne m’avait
facilité la tâche. Du philosophe « socialiste libertaire » autoproclamé,
on pouvait attendre le pire. Or, il me faut avouer que je n’ai pas été
déçu. La place manque pour reproduire dans son intégralité un
réquisitoire sans appel énoncé avec suffisance et d’une sottise achevée,
qui devrait faire pâlir d’envie BHL. Mais la video postée sur le site
du Point peut y suppléer, d’autant qu’elle a été immédiatement répercutée par des sites réactionnaires (Atlantico) ou carrément fachos (Égalité et Réconciliation) dont les animateurs ont bien senti que cet imposteur qui se réclame de l’émancipation était finalement des leurs.
Comme
de bien entendu, la deuxième droite rivalisera avec la droite
traditionnelle dans l’anti-castrisme le plus caricatural, comme en
témoignent les unes et éditoriaux de L’Aberration, de L’Immonde ou de L’Obscène au lendemain de la mort du guérillero en chef de la Sierra Maestra. « Les années Castro sont marquées par d’incessantes violations des droits de l’homme perpétrées par le régime », s’empressait de souligner le quotidien sociétal-libéral cher aux bobos : « dénonciations,
détentions arbitraires, longues peines d’emprisonnement, persécution
des opposants, fermetures de librairies, chasse aux homosexuels, purges,
disgrâces et privations des libertés fondamentales. Tout l’arsenal des
régimes totalitaires est mis en œuvre pour éviter les débordements ». Le torche-balle du businessman sioniste Patrick Drahi consentait malgré tout à reconnaître qu’« étranglé par le blocus américain, Cuba a cependant mis en place des politiques d’éducation et de santé performantes ».
L’Obscène, pour sa part, ne se foule pas, avec un intitulé en forme de copié-collé avec le titre du Figaro : « Fidel Castro est mort, une page se tourne à Cuba ». Dans un autre article sur ce « géant qui trompait son monde » — comme L’Obscène trompe ses lecteurs qui, il est vrai, ne demandent que ça —, le biographe-maison assène qu’« en
s’envolant vers le paradis des dictateurs communistes, Castro a fermé
la dernière page des rêves d’un socialisme à visage humain ». La
messe (du mort) est dite ! C’est le même journal qui, à la fin des
années 70, nous assurait sans rire qu’avec l’irrésistible ascension de
Mitterrand vers le pouvoir, « le socialisme » était « une idée qui fait son chemin ».
De son côté, L’Immonde ne pouvait faire moins que charger Régis Debray, « maître ès renégats », « aîné en reniement », comme le surnommait Guy Hocquenghem,
pour achever de brûler l’idole qu’il avait adoré, mais en y mettant des
gants. Comme il l’avait déjà fait auparavant avec le Che, trahi par ses
bons soins dans sa geôle de Camiri à l’issue de son escapade
bolivienne, et décrit après coup comme un fanatique sincère mais
extrémiste pour justifier son ralliement aux hiérarques de la Ve
république (Mitterrand, Chevènement, Raffarin, de Villepin…) à qui il
offrait ses services (de renseignement). Conseiller des Princes et
prince des conseillers, le normalien revenu de sa goguette tropicale —
il récidivera en allant rendre visite au sous-commandant Marcos dans les
Chiapas —, argue d’avoir été proche — trop proche ? — du Lider Maximo
pour établir un distinguo qu’il veut subtil entre Fidel, le romantique,
et Castro, le cynique, comme il l’a fait plus tard pour François,
l’homme d’État lettré et distingué, et Mitterrand, la fripouille
politicarde et collabo-résistante que l’on sait.
Évitons
d’emblée tout malentendu. Pour avoir été arrêté et emprisonné en
septembre 1971 à La Havane, après cinq années de séjour professionnel à
Cuba, par la police politique (le G2) sous l’accusation d’« espionnage »
et de « propagande contre-révolutionnaire » — un simple délit d’opinion,
en fait, dû aux doutes que j’avais maintes fois et publiquement exprimés
devant des visiteurs étrangers sur le caractère socialiste du « régime »1
castriste —, on ne saurait me ranger parmi les inconditionnels de
celui-ci. Et cela d’autant moins qu’une fois revenu en France, je
me suis employé à rédiger une thèse, un ouvrage et plusieurs articles
pour étayer mon point de vue par une argumentation en bonne et due
forme. Cela précisé, je ne puis rester silencieux devant le déluge
d’insanités déversées à la chaîne par le complexe
politico-intello-médiatique hexagonal, sitôt annoncé le décès du leader
de la révolution cubaine.
De
révélations-bidon en mensonges éhontés, de diatribes hystériques en
pseudo-analyses plus niaises et plus simplistes les unes que les autres,
ce fut à qui dans les pages des journaux ou à l’antenne se montrerait
le plus disert pour dire tout le mal qu’il pensait du défunt. On
chercherait en vain dans cette prose aussi incendiaire qu’inepte un
indice quelconque de connaissance sérieuse de la réalité sociale
cubaine. En revanche, on y décèlera sans peine, pour peu que l’on se
refuse de hurler avec les loups, la confirmation de l’état de
dégénérescence idéologique avancée atteint par les gens qui, en France,
se font fort de « gouverner le peuple » ou de « former l’opinion ».
À
cet égard, les représentants de la vraie droite sont difficiles à
distinguer de ceux de la fausse gauche tant les invectives adressées à
feu le « dictateur cubain » et son « régime » sont interchangeables. Bien
sûr, on retrouve dans la meute, comme il fallait s’y attendre, les
chiens de garde anticommunistes habituels, de la droite extrême à la
droite « républicaine », peu regardants, comme à la belle époque de la
guerre froide, sur ce que recouvre réellement l’appellation « socialiste »
accolée au régime cubain pas plus que le terme « communiste » dont est
gratifié son parti dirigeant. Il suffit de prononcer ces deux mots sans
manifester de colère ou de dégoût pour qu’ils voient rouge.
Énorme « ouf » de soulagement, par exemple, en une du Figaro : « Fidel Castro est mort, une page de l’histoire du XXe siècle se tourne ». La page des révolutions, bien entendu. « Le mythe et la dictature », titrait sans surprise L’Express avant que deux éditorialistes de service ne démarrent sur les chapeaux de roues :
« À l’origine d’un désastre économique et d’un chaos moral, "El
Comandante" a mystifié le monde entier pour atteindre le seul objectif
qui lui importait : entrer dans l’Histoire. Son décès, le 25 novembre,
dévoile la face noire du dernier « géant du XXe siècle » ». Le Courrier
international, du groupe de L’Immonde, n’y allait pas non plus par quatre chemins pour annoncer en couverture la bonne nouvelle « Fidel Castro : CUBA LIBÉRÉE »
« Insister sur le « à 30 000€/mois, je prends tout » aussi en fait partie. Il faut vraiment n’avoir aucun sens de la psychologie humaine pour ne pas s’en rendre compte. »
Oui je pense moi aussi que ça en fait tourner de l’oeil plein de prolo cette propositions !!! Que voulez vous faire alors après ça ! certain crierons à la démagogie, une politique irréalisable ! Il nous empêche de rêver, disent les petites employé sous cadre à 2 mille boule par mois qui se rêve en grand bourgeois.
Je pense avec la fin de l’épouvantail du vote utile et la configuration socio-politique actuelle qu’il y a toute les chances d’arriver à siphonner une grosse partie des voix du ps et qu’ensuite par effet boule de neige le vote utile finira par se retourner contre ses propres instigateurs d’antan.