”Mais l‘islam n‘est pas cette immersion contemplative
des indiens ou des moines dans l‘absolu, la subjectivité est ici
au contraire vivante et infinie, une activité qui, en sortant dans le
monde profane nie celui-ci et ne devient effective et médiatrice que
dans l‘affirmation qu‘il faut exclusivement vénérer
l‘Unique. L‘objet de l‘islam est purement intellectuel, il
ne tolère ni image ni représentation d‘Allah : Mohammed
est prophète, mais un être humain et en tant que tel n‘est
pas exempt des faiblesses humaines. Les principes de l‘islam contiennent
ceci, que dans la réalité rien ne peut devenir fixe, mais que
tout part dans l‘espace infini de l‘univers de manière active
et vivante, et c‘est ainsi que la vénération de l‘Unique
reste le seul lien qui doit donner cohérence au tout. Dans cet espace,
dans cette puissance disparaissent toutes les bornes, toute différence
nationale et de caste ; aucune tribu, aucun droit politique de la naissance
ou de la propriété n‘ont une valeur sauf l‘homme
en tant que croyant. Vénérer l‘Unique, croire en lui, jeûner,
se défaire de la sensation corporelle de sa particularité, donner
des aumônes, c‘est-à-dire se sevrer de la propriété particulière :
voilà les commandements simples"
”Jamais l’enthousiasme n’a accompli des exploits
plus grands. Des individus peuvent se passionner pour le sublime dans des formes
multiples ; même la passion d’un peuple pour son indépendance
a encore un but précis ; mais l’enthousiasme abstrait qui par conséquence
embrasse tout, n’est arrêté par rien, ne se limite en rien
et n’a besoin de rien est celle de l’orient musulman.“
Voltaire : Dès le second siècle de Mahomet, il fallut que les chrétiens
d’Occident s’instruisissent chez les musulmans. Le plus grand
changement que l’opinion ait produit sur notre globe fut
l’établissement de la religion de Mahomet. Ses musulmans, en moins d’un
siècle, conquirent un empire plus vaste que l’empire romain. Cette
révolution, si grande pour nous, n’est, à la vérité, que comme un atome
qui a changé de place dans l’immensité des choses, et dans le nombre
innombrable de mondes qui remplissent l’espace ; mais c’est au moins un
événement qu’on doit regarder comme une des roues de la machine de
l’univers, et comme un effet nécessaire des lois éternelles et
immuables : car peut-il arriver quelque chose qui n’ait été déterminé
par le Maître de toutes choses ? Rien n’est que ce qui doit être.
Comment peut-on imaginer qu’il y ait un ordre, et que tout ne soit pas
la suite de cet ordre ? Comment l’éternel géomètre, ayant fabriqué le
monde, peut-il y avoir, dans son ouvrage, un seul point hors de la
place assignée par cet artisan supreme ? On peut dire des mots
contraires à cette vérité ; mais une opinion contraire, c’est ce que personne ne peut avoir quand il réfléchit. « Essais sur les Mœurs » (1756), dans Oeuvres complètes de Voltaire, Voltaire, éd. Moland, 1875, t. 11, chap.
“Jamais un homme ne
se proposa, volontairement ou involontairement, un but plus sublime,
puisque ce but était surhumain : Saper les superstitions interposées
entre la créature et le Créateur, rendre Dieu à l’homme et l’homme à
Dieu, restaurer l’idée rationnelle et sainte de la divinité dans ce
chaos de dieux matériels et défigurés de l’idolâtrie… Jamais homme
n’accomplit en moins de temps une si immense et durable révolution dans
le monde, puisque moins de deux siècle après sa prédication,
l’islamisme, prêché et armé, régnait sur les trois Arabies, conquérait
à l’Unité de Dieu la Perse, le Khorasan, la Transoxiane, l’Inde
occidentale, la Syrie, l’Egypte, l’Ethiopie, tout le continent connu de
l’Afrique septentrionale, plusieurs îles de la méditerranée, l’Espagne
et une partie de la Gaule. Si la grandeur du dessein, la petitesse des
moyens, l’immensité du résultat sont les trois mesures du génie de
l’homme, qui osera comparer humainement un grand homme de l’histoire
moderne à Mahomet ? Les plus fameux n’ont remués que des armes, des
lois, des empires ; ils n’ont fondé, quand ils ont fondés quelque
chose, que des puissances matérielles, écroulées souvent avant eux.
Celui-là a remué des armées, des législations, des empires, des
peuples, des dynasties, des millions d’hommes sur un tiers du globe
habité ; mais il a remué, de plus, des idées, des croyances, des âmes.
Il a fondé sur un Livre, dont chaque lettre est devenue une loi, une
nationalité spirituelle qui englobe des peuples de toutes les langues
et de toutes les races, et il a imprimé, pour caractère indélébile de
cette nationalité musulmane, la haine des faux dieux et la passion du
Dieu un et immatériel… Philosophe, orateur, apôtre, législateur,
guerrier, conquérant d’idées, restaurateur de dogmes rationnels, d’un
culte sans images, fondateur de vingt empires terrestres et d’un empire
spirituel, voilà Mahomet. A toutes les échelles où l’on mesure la
grandeur humaine, quel homme fut plus grand ?…” Lamartine, Paris 1854