Prix Nobel de chimie pour Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna
Il arrive que le Nobel de chimie récompense des découvertes issues de l'univers de la biologie moléculaire
C'est le cas cette année.
Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna ont été récompensées pour avoir mis au point un outil très performant en matière de génie génétique. Je vous propose cette présentation extraite de mon livre sur l'information et la scène du monde. Ce Nobel était imminent et ne surprendra personne.
Un demi-siècle après Monod, l’utilisation des bactéries est à l’origine d’une découverte importante ainsi qu’un prix Nobel semblant acquis d’après les observateurs de la vie scientifique. Ces détails sont bien évidemment anecdotiques eu égard aux enjeux scientifiques qui pour être compris imposent de remonter aux constats tracés depuis deux décennies sur la particularité du système CRISPR-Cas9 considéré comme le ressort d’un mécanisme immunitaire spécifique aux bactéries et dont la particularité est de conserver une mémoire immunitaire en intégrant les séquences virales des phages ou des plasmides rencontrés lors d’une infection par la bactérie. Ce sont ces séquences qui sont insérées sous forme de « spacer » entre les motifs palindromiques. (Dugué, 2017)
2. 1. brève recension d’une découverte scientifique importante
Le sens du monde s’exprime souvent par des clichés et autres formules, certains devenus classiques. Mais les clichés ne suffisent pas. Il faut alors décrire avec concision les évolutions marquantes et les ruptures dans les secteurs décisifs de l’existence ; comme peuvent l’être l’art, la politique, la philosophie et la science. Si vous suivez les médias, il ne vous aura pas échappé qu’une découverte scientifique récente s’est propagée dans les journaux et sur les plateaux de télévision avec les apparitions successives d’Emmanuelle Charpentier, l’une des scientifiques les plus en vue depuis la mise au point d’un outil de manipulation génétique désigné par ce nom de code énigmatique : CRISPR-Cas9. Cet outil n’arrive pas par hasard. Il résulte d’études conduites sur les mécanismes informationnels dans ces cellules rudimentaires que sont les bactéries. Ces recherches s’inscrivent dans le paradigme de l’information que je tente d’esquisser en traversant divers savoirs, de la physique à la société en passant par la biologie.
Le CRISPR-Cas9 désigne un système moléculaire trouvé dans les bactéries, dont la fonction est connue dans les grandes lignes, mais qui vient d’être détourné pour en faire un outil efficace dans le domaine des manipulations génétiques. Le système CRISPR a été découvert il y a un quart de siècle dans un laboratoire espagnol par Francisco Mojita au cours de ses études doctorales. D’étranges séquences quasiment palindromiques séparées par des séquences intercalées (spacers) ont été détectées dans un type de bactérie. Un palindrome est une suite de lettres que l’on peut lire dans les deux sens. Cette propriété permet aux ARN transcrits de former des structures ribonucléiques en trois dimensions avec les bases appariées. Ces structures, comme par exemple les épingles à cheveux, sont parfois impliquées dans les mécanismes de coupure d’ADN. La découverte des séquences CRISPR a été publiée en 1993. Il a fallu deux décennies de recherche et de nombreux contributeurs pour réaliser deux objectifs, l’un étant attendu mais pas le second.
Premier objectif ; la recherche du rôle de ces séquences qui se sont dévoilées comme les éléments d’un système complexe de défense immunitaire déployé par les bactéries contre des éléments envahissants, essentiellement les phages viraux et les plasmides. Brièvement, la bactérie incorpore la séquence virale dans son génome. Elle acquiert une sorte de mémoire génétique qui sera utilisée pour contrer la prochaine infection exogène. Le mécanisme est assez complexe. Il utilise plusieurs protéines permettant de détruire l’ADN viral en utilisant une matrice d’ARN complémentaire qui cible la séquence à éliminer.
Le second objectif n’était pas prévu au départ. Emmanuelle Charpentier était impliquée dans cette recherche sur les mécanismes du système de défense CRISPR qui se présente sous trois types et mobilise des « protéines Cas ». Elle s’est demandée si ce mécanisme ne pouvait pas être utilisée pour réaliser des coupures spécifiques dans n’importe quel ADN, du végétal au mammifère en passant par les insectes et autres espèces. En utilisant le type II associé à la protéine Cas9, elle a réussi son objectif en s’associant avec une autre spécialiste de génétique moléculaire, Jennifer Doudna. Depuis 2013, ces deux scientifiques accumulent les récompenses alors que les laboratoires du monde entier se sont lancés dans la course et publient des résultats assez convaincants. Pratiquement tous les génomes du vivant sont découpés par cet outil moléculaire de très haute précision qui n’innove pas dans le principe mais s’avère bien plus accessible et pratique que les anciennes enzymes de restriction comme par exemple les nucléases à doigt de zinc. Le système CRISPR-Cas9 fonctionne en utilisant un ARN correspondant au gène que l’on veut découper. Pour bien comprendre la prouesse, il faut imaginer l’ancien système comme un CD qui pour être lu, doit utiliser un lecteur. Mais chaque fois qu’un nouveau CD est employé, il faut changer le lecteur. Grâce au système CRISPR-Cas9, il faut juste changer le CD, c’est-à-dire utiliser l’ARN permettant de cibler la séquence d’ADN que l’on veut couper.
Essayons maintenant de situer ces processus immunitaires dans le cadre d’un paradigme en jouant sur la métaphore qui convient à la situation. Autrement dit, si l’opéron lactose fait penser au thermostat, quel objet technologique pourrait être associé au CRISPR-Cas9 ? Je suggère de reprendre l’image du CD qui contient la séquence virale et que l’on supposera coder pour des séquences musicales à l’instar du CD numérique restituant une symphonie, de Mozart par exemple. Une bactérie contient un patrimoine génétique que l’on va imaginer comme un ensemble de partitions écrites par Mozart. Imaginez maintenant un phage dont le CD joue du Johnny Hallyday. La bactérie entend Johnny et le reconnaît comme un élément envahisseur. Du coup, elle intègre ce CD dans sa banque de données sous forme de « spacer ». Il n’est même pas nécessaire de copier tout le disque, la voix de Johnny suffit, le « spacer » n’étant qu’un enregistrement partiel de la séquence virale du bactériophage par le génome bactérien. Lorsque cette bactérie est à nouveau en présence du CD de Johnny en « entendant » sa voix, elle décide d’inactiver l’information qui s’y trouve et pour ce faire, élabore une copie à partir du « spacer » qui, en se liant à la protéine Cas9 et à un autre facteur, va pouvoir désactiver le CD de Johnny avant qu’il ne se reproduise dans la bactérie et ne chante tellement fort que la bactérie sera détruite.
28 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON