• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Actualités > Société > Le rôle de la table familiale comme support éducatif

Le rôle de la table familiale comme support éducatif

Plusieurs études[1] montrent que l’alimentation est un vecteur important dans l’intégration des nouvelles générations ou nouvelles populations au sein d’une société, et dans la transition allagmatique d’une génération à l’autre. Les premiers contacts et échanges intersociétaux ou intergénérationnels sont souvent abordés par l’angle du sujet discursif alimentaire, via les rapports, contrastes, ruptures, modifications ou continuités de modèles, de concepts, de représentations ou de rites. Le rôle des rituels dans les interactions ordinaires[2] semble comme inévitable pour vivre ensemble et communiquer avec autrui.

 

[1] Christine Balland, « Manières de table des immigrés : l’exemple de juifs tunisiens à Paris », in Diasporas : histoire et sociétés : cuisines en partage, Framespa-diasporas – Cnrs – université de Toulouse le Mirail, 2005, p.106

[2] Lucie Bujon, Les rituels de la politesse : analyse pragmatique des interactions lors de l'offre d'un cadeau, Thèse de doctorat de Sciences du langage, Université Lumière Lyon 2, 2008, 4e de couverture.

JPEG

Les Français sont des producteurs et protecteurs de tout ce qui est un savoir-faire patrimonial. Toujours en quête de nouvelles formes de transmission, à l’école, en famille, entre amis, et maintenant en visioconférence. Il y a toujours la necessité de faire évoluer le mode de transmission. La ritualisation de cette transmission de savoirs, savoir-faire commence autour du repas. Les générations y conservent chacune leur faire savoir et faire valoir. C’est bien là, dans ces espaces sociaux que vivent les pratiques vivantes de ce type de rite. L’enfant accompagne, par obligation comme par plaisir en période de confinement, à la préparation du repas et appréhende les façons de faire, d’être, de s’exprimer sur le sujet. La table devient un espace d’initiation aux rituels et d’intégration des codes.

La transmission de savoirs et de savoir-faire est depuis de nombreuses années observée par les sciences humaines de l’alimentation, comme étant une illustration de cette singularité de l'espèce. Le patrimoine immatériel alimentaire trouve les origines de son évolution progressive dans une déclinaison « émetteur-récepteur » plus souvent orale qu'écrite. Les pratiques alimentaires emploient toutes les méthodes de pratiques pédagogiques utilisées dans les sciences de l’éducation. Dans l’histoire de notre société, la transmission du geste comme de la parole furent la genèse de cette pratique, et en premier lieu pour l’évolution de la préparation des besoins essentiels donc alimentaires. L'imprimerie comme la peinture ont créé une rupture historique de cette pratique, comme l’époque que nous vivons actuellement.

De père en fils, de mère en fille, de grands parents à petits-enfants, du maître au disciple, les valeurs de médiation du repas sont actuellement transmises, à travers la visioconférence, par l’effort de l’homme ou par l’obligation de la nature. Le type de relation orale transmetteur-récepteur, inculquant-apprenant, enseignant-enseigné, est primordiale. La communication hachurée qu’offrent les plateformes de visioconférence, oblige à structurer la relation de maître à disciple. On ne parle quand l’autre parle. On synthétise la stricte explication technique. On crée sans le vouloir des silences, afin d’être simplement ensemble, en silence. La table quant à elle réunit les personnes physiquement ensemble. La table est l’outil pédagogique où s’extériorise l’expression d’une transmission, intercalée d’incorporation de bouchées qui préconisent le silence, car « on ne parle pas la bouche pleine » dit l’adage.

Si les parents soulignent le besoin de transmettre un savoir-faire, ils y participent de différentes manières. Pour autant, doit-on axer cette transmission du vivre ensemble par un acte gestuel et orale ? Faut-il uniquement savoir reproduire le savoir-faire du prescripteur ? Sa technique culinaire aussi exceptionnelle soit-elle, déterminera-t-elle ce qui est bon à produire et à manger ? Sa recette peut-elle s'enseigner ? Le prescripteur doit-il fonder sa transmission sur un apprentissage uniquement réflexif ? La connaissance comme la valorisation des produits permettent-elles une représentation du bon produit ?

Si l’apprenant puise sa propre opinion du manger ensemble comme du savoir manger dans le développement donné ou redonné à l’alimentation, se limite-il aux informations et formations voire à l’unique communication ?

Lorsque la transmission est valorisée implicitement sous la forme d’une continuité des héritages familiaux, cela indique que l’enfant décide d’accepter les héritages en les signifiants aux autres, dimension d’expression et de construction identitaire contribuant également à renforcer les héritages[1].

Chacun de nous reçoit - profite ou subit - une éducation alimentaire à un moment donné de son histoire, dans un pays donné, au sein d'un groupe social donné. Chacun appartient à une culture alimentaire issue d’une éducation alimentaire ; si bien qu'il est juste de dire que notre alimentation et la définition que l’on donne à la gastronomie sont marquées par notre éducation. Ainsi, on pourrait considérer que l’alimentation, comme le fait de bien manger, est un fait social, héritier des habitudes socialement admises, et veillant à intégrer autour de notre table les membres d'un même groupe social selon certains critères, certaines coutumes, certains rites alimentaires et modes opératoires. Alors qu’est-ce que nos enfants auront finalement appris de ces repas familiaux en confinement ?

 

[1] Anne Dupuy, Plaisirs alimentaires, Pufr, 2013, p.390


Moyenne des avis sur cet article :  1.6/5   (20 votes)




Réagissez à l'article

8 réactions à cet article    



    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 28 juillet 2023 15:00

      Quand le fisc mange au frais du chef

      N’oubliez pas tas de minables bureaucrates

      Qu’à la taverne où vers midi vous déjeunez

      Travaillent des cuistots qui sans arrêt se gratttent

      Pour épicer vos plats de leurs crottes de nez

      La purée d’épinard hélas sans tétragones

      rellement cuits qu’on les dirait déjà vomis

      N’est plus que tiède quand le serveur qui bougonne

      Vous l’apporte : un oeuf flasque y trône, et l’on a mis

      Un trèfle composé de trois feuilles de mâche

      Comme décor flétri pour rehausser le tout

      Surtout touchez pas, le personnel la mâche

      Avant de la servir, et la recrache itou

      Le marmiton en chef, qui nettoie sa narine

      comme les autres, et en outre incontinent

      Normal que les rognons snetnet un peu l’urine

      Ne goûtez pas au dessert conteant

      Le fruit si délicat du plaisir solitaire

      Dpâtissier blotti derrière ses fourneaux

      A quarante ans, il est toujours célibataire

      Il fallait bien, le pauvre homme qu’il se borne aux

      Mooindres satisfactions des soifs qui le démangent

      Un café-crèùe agrémenté d’un gros mollard

      Clôt le repas. Bon appétit à ceux qui mangent

      La crotte en chocolat l’accompagnant tout l’art.

      De sa dégustation consiste à l’introduire 

      Dans la bouche sans être écoeuré par l’odeur

      Cela vous apprendra, tiens à mieux vous conduire

      Avec le chef, traité de traître et de fraudeur.

      Poème de OL (chef cuisinier) AGULHON. En hommage....


      • Lynwec 28 juillet 2023 16:06

        Le repas est un moment de partage . Autrefois, les enfants avaient juste le droit de manger (« Tiens toi droit, ne mets pas les coudes sur la table, on ne parle pas en mangeant... ») . On a un peu évolué (parfois un peu trop, c’est selon...), mais il est certain que c’est (ou du moins, ça devrait être) un lieu de transmission des « bonnes manières » .

        La cantine... ? Là, ça se discute, pour les manières...


        • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 29 juillet 2023 09:21

          Intéressant.

          J’ai redécouvert Simondon ! smiley

          Pour le reste, vous brodez joliment mais ne prenez pas beaucoup de risques. 

          Pour ma part, je ferais l’hypothèse que malbouffe et maléducation (sic) vont de pair...

          Quant au confinement, c’était juste un révélateur de l’état de dégradation de l’allagmatique familiale qui, malheureusement, est tout sauf synallagmatique.

          Je tente pour ma part d’y contribuer via ce que j’appelle l’éducation démocratique.


          • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 29 juillet 2023 09:45

            @Luc-Laurent Salvador
             
             ’’allagmatique familiale’’
            >
             ?
             
             Mon dictionnaire ne connait que synallagmatique : ’’se dit d’un contrat qui comporte des obligations réciproques. bilatéral.’’
             
            Antonymes de synallagmatique :Timide , Misogyne, Modeste, ...
             
            Parler de ’’dégradation de l’allagmatique familiale’’ est un donc contresens : je suppose que vous avez voulu parler de dégradation de la synallagmatique familiale (rires !) et que vous vous êtes pris les pieds dans le tapis.


          • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 30 juillet 2023 16:08

            @Francis, agnotologue

            Pour l’allagmatique, suivez Simondon.
            Pour le reste, faites des efforts smiley


          • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 31 juillet 2023 08:26

            @Luc-Laurent Salvador
             
             
            Un article honnête comporte en notes la définition des termes ésotériques et des néologismes utilisés. Sans connaitre le sens des mots employés ici, un lecteur attentif qui subodore que ces deux mots sont antonymes ne peux s’empêcher de penser que la phrase incriminée est contradictoire en elle-même. Il me semble qu’avec cette prose ésotérique, si l’auteur cherchait à piéger ses lecteurs les plus attentifs il ne s’y prendrait pas autrement.
             
            ’’Pour l’allagmatique, suivez Simondon.’’ dit-il !
              >
            j’ai lu ça :
            « L’allagmatique est ’’ la théorie des opérations ’’, et c’est pourquoi ’’ elle est, dans l’ordre des sciences, symétrique à la théorie des structures, constituée par un ensemble systématisé de sciences particulières : astronomie, physique, chimie, biologie ’’. On comprend ici que le projet d’une allagmatique, déjà formulé par ILFI et MEOT dans des passages où Simondon dialoguait avec la cybernétique, rapproche le projet philosophique de l’idée d’une science (voir ILFI, p. 561), même si cette science philosophique nouvelle est par définition transversale et unifiante : tandis que chaque science positive est une science de structures génériques, l’allagmatique est la science des opérations génétiques : ’’ l’opération est ce qui fait apparaître une structure ou qui modifie une structure ’’ »

             
            Traduction (modeste) : l’allagmatique serait la théorie des opérations qui font apparaitre ou modifient des structures. Dont acte.
             

            Alors relisons : ’’Quant au confinement, c’était juste un révélateur de l’état de dégradation de la théorie des opérations familiale(?) qui, malheureusement, est tout sauf contractuelle ( ou réciproque, ou bilatérale ...).’’

            Quelqu’un a-t-il compris quelque chose ?
             
            ps. Il y faut une collaboration lectorielle à toute épreuve en même temps qu’une confiance inébranlable en l’auteur pour accepter de prêter du sens à une telle formule.


          • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 4 août 2023 17:31

            @Francis, agnotologue

            L’allagmatique s’occupe des opérations et s’oppose à la centration sur les structures. Simondon s’est juste fait une resucée de philosophe de la distinction classique en biologie entre fonction et structure.
            Quand je parlais de la dégradation de l’allagmatique familiale, je renvoyais au fonctionnement et je pointais donc le fait qu’outre sa dégradation, il est tout sauf démocratique dans la mesure où il n’y a pas l’égalité de statut sous le rapport du légal qui s’affirme dans le synallagmatique. Et ceci pourrait expliquer cela... smiley

            Désolé, je n’ai pas le temps d’être plus didactique.
            Ce sera mon dernier mot sur ce fil.

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON



Publicité



Les thématiques de l'article


Palmarès



Publicité