Cet article répond à un article du journal le Monde. Abdenour Bidar y défend l’idée que l’Etat doit induire la laïcité dans l’espace publique, non seulement par la répression des conduites non-laïques et anti-laïques, comme c’est fait actuellement, mais aussi par une pédagogie visant à en créer des citoyens laïques. Il s’agit d’une trahison de la laïcité. Il s’agit d’un pas de plus, symbolique certes car Abdenour Bidar ne semble pas être un décideur, mais un pas de plus dans cette erreur. La laïcité est l’obligation pour l’Etat de placer les citoyens dans la liberté de pratiquer la religion de leur choix. Un révisionnisme fait de la laïcité une religion d’Etat qui commande aux citoyens un certain comportement public : faire vitrine d’athéisme. Avec cette laïcité-athéisme, qui est une perversion de la laïcité, l’Etat domine donc les citoyens. A Bidar propose d’obtenir cette domination a priori, par la persuasion pédagogique, et pas seulement a posteriori par la sanction pénale. Nous faisons gravement fausse route.
La laïcité est un attribut de l’Etat. Il n’y a de laïque que l’Etat. La laïcité est le principe qui oblige l’Etat à réguler les relations des religions entre elles et avec lui, dans une indifférence méthodique et le choix de la liberté du citoyen. La laïcité de l’Etat est la garantie de la pratique religieuse des citoyens.
Prendre, comme le fait Abdenour Bidar, la laïcité comme une « position de conscience » est un contresens qui est la source des problèmes dont il parle dans son texte et qu’il prétend résoudre en insistant dans ce contresens. Invoquer a posteriori que Socrate, Averroès, Lao-Tseu, Descartes étaient laïques en ce sens est une générosité gratuite que l’on se fait à soi-même qui, si l’on y réfléchit avec distance et esprit critique, invalide la proposition, au lieu de la conforter. C’est trop commode, si vous préférez : celui qui se donne cette commodité d’annexer des grands anciens qui ne peuvent pas se montrer en désaccord avec cette annexion, montre par là, suggère au moins qu’il manque de matière sur le fond.
Nous, Français, avons renoncé à la laïcité avec une loi du 15 mars 2004, qui interdit aux élèves de porter des signes religieux à l’école. En même temps, nous en gardons le nom pour autre chose, celle qui est défendue par Abdenour Bidar. La laïcité est une commande aux citoyens d’avoir un comportement laïque ! La laïcité, qui est un arbitrage de neutralité bienveillante envers les religions, est devenue l’équivalent d’une religion athée. L’Etat de la laïcité-athéisme commande un comportement athée (qu’il appelle laïque) à ses citoyens. La laïcité est devenue une obligation de type religieuse de manifester son athéisme dans les lieux publics. Un Etat religieux commande la religion des citoyens qui le composent. L’Etat prétendument laïque, laïque-athée, commande un comportement religieux athée à ses citoyens. Ce n’est plus de la laïcité. C’est le contraire de la laïcité.
Il divise l’espace en deux régions : l’espace public où il prétend imposer l’affichage de son athéisme et l’espace privé où chacun peut vivre selon sa religion. L’existence de ces deux espaces, leur étanchéité censée être parfaite (pas de porosité)… est de l’ordre d’une foi. Passons rapidement sur le fait que cette demande de coupure entre le visible (public) et l’invisible (privé) n’est pas tenable sur le long terme. C’est une demande de schizophrénie !
Le travail de cette loi du 15 mars 2004, le vrai travail, pas le travail « nominal » sur les signes religieux à l’école continue de s’accomplir : elle nous empêche de réfléchir à nos problèmes en puisant à notre histoire, en respectant nos principes, par dévoiement d’un mot fondamental.
Il nous faut revenir à la laïcité : une obligation qu’a l’Etat de permettre la liberté de religion et non pas un athéisme d’Etat qui commande un « paraître athée » du citoyen et qui pense vider l’espace public de significations religieuses, (projet insensé qui n’a aucune chance de se réaliser).
A Bidar s’étonne : « Comment se fait-il qu'elle (la République) laisse se développer autant sur son territoire cette conviction que la laïcité n'est qu'une idéologie parmi d'autres ? » C’est résolument le contraire. C’est la République qui a instituée la laïcité comme équivalent des religions, devant s’opposer à l’affichage des religions. C’est la République qui a mis la laïcité au niveau d’une idéologie parmi d’autres.
A Bidar voudrait que cette imposition d’un athéisme public, sous couvert de laïcité, se fasse par la pédagogie, plutôt que par la répression judiciaire. Nous ne devons pas suivre ce genre de piste mais revenir à la laïcité que nous avons abandonnée. L’Etat ne peut pas faire cet effort de former des consciences laïques… parce qu’il n’y a pas de consciences laïques. En inversant la laïcité en athéisme d’Etat, il se heurte aux religions, (aux fondamentalistes musulmans pour l’instant, mais ce n’est pas fini) il n’y a pas à s’en étonner.
Si nous voulions travailler à améliorer la laïcité de l’Etat, nous devrions trouver le chemin pour que trois départements concordataires entrent dans la laïcité. Nous devrions renoncer à faire de certaines fêtes religieuses catholiques et protestantes des fêtes étatiques (15 août, ascension… lundi de Pâques…) Là résiderait un vrai progrès de mise en conformité de nos lois et de nos principes propres à pacifier, au passage, certains rapports tendus avec certains musulmans.