Renault : une possible position syndicale sur l’espionnage industriel
La presse fait ses choux gras, actuellement, d’une affaire de fuites dans l’entreprise Renault qui a mis à pied trois de ses cadres. On ne sait d’ailleurs pas ce qui s’est exactement passé, mais les plus hautes instances de l’Etat s’y mettent, n’hésitant pas à dénoncer des faits graves. Dans ce qui suit, je propose au lecteur une réflexion approfondie du sujet, assez froide, et, je l’espère, assez objective.
Commençons par parler de la compétition industrielle qui fait aujourd’hui rage, cette compétition étant exacerbée par la mondialisation. En effet, si nous étions, par exemple, dans le strict cadre d’une compétition nationale, les fuites industrielles n’auraient aucun impact concret, y compris dans le secteur de la défense. C’est donc bien, seul, le caractère international des activités qui crée le problème, et, bien entendu, plus l’économie est internationalisée, plus le problème est important. Certains pourraient se demander pourquoi, puisque les médias traditionnels, de par leur discours récurrent, pourraient nous laisser penser que la mondialisation actuelle constitue les prémices d’une gouvernance mondiale apaisée où les peuples, à terme, vivraient en bonne entente et intelligence. Mais tout le monde sait bien que ce n’est pas le cas. Tout le monde essaie de tirer la couverture à soi et, hélas, l’Europe n’a guère l’air de réussir en ce domaine.
Nous sommes donc dans un contexte où, en tant que citoyens, nous sommes amenés à nous défendre collectivement contre des peuples, que l’on nous dit être nos amis, mais qui n’hésiteront pas à nous ruiner s’ils en ont l’occasion et surtout si c’est à leur profit. Voilà le tableau actuel.
Plaçons-nous alors dans le monde industriel. J’ai montré dans mon ouvrage intitulé ainsi marchait l’humanité que globalement, dans un secteur donné, les seuls acteurs qui vont survivre vont être amenés à fabriquer les mêmes produits avec les mêmes technologies. La compétition actuelle se joue donc sur le temps que l’on met à converger vers le même produit légèrement amélioré par le concurrent ou vice versa le temps que met le concurrent à converger vers soi. Et plus la technologie est mâture, plus la différence, au total est faible entre les concurrents, tant en termes de technologies que de coûts, de méthodes d’assemblage, etc.
Dans ce contexte, l’affaire Renault prend un tour un peu particulier. Tout d’abord nous n’en sommes pas à une technologie mâture puisqu’il s’agit, semble-t-il, de la voiture électrique de demain. L’écart, au final, entre les constructeurs, dans les 5 années qui viennent, pourrait donc être technologiquement assez grand et l’on comprend bien, dès lors, l’enjeu pour l’entreprise de ne pas dévoiler ses choix. Toutefois, que va-t-il se passer après les 5 prochaines années ? C’est très simple. De fait, les technologies moins performantes seront éliminées et l’ensemble des survivants de l’industrie automobile convergera vers ce produit presque unique que nous consommerons. Cela se fera le plus naturellement du monde. Volkswagen achètera des Renault qui fera alors du « reverse engineering » ce que lui rendra bien Renault, n’en doutons pas. Il n’empêche, si les salariés concernés de Renault ont trop parlé, voire s’ils ont sciemment donné des informations, ils ont bien évidemment trahis leur entreprise ainsi que leurs collègues qui voient leur risque augmenté de perdre leur emploi, de fait.
Nous venons de développer le point de vue de l’employeur qui est logique et se défend tout à fait. Il nous faut dès lors développer le point de vue de l’employé sous un autre angle. Prenons l’exemple de Renault encore une fois. Comme les autres constructeurs, cette entreprise a délocalisé massivement. Or, la délocalisation n’est-elle pas une fuite volontaire de connaissances vers un pays tiers ? En d’autres termes, la direction de Renault, quand elle prend une décision de délocalisation, ne cause-t-elle pas à ses salariés un tort équivalent à celui causé par ses 3 cadres ? Ne cause-t-elle même pas davantage de tort à certains de ses salariés puisque, dans le cas d’une délocalisation, non seulement l’effet de la perte d’emploi est sûr mais en plus il est immédiat ? Or on n’a jamais traduit en justice une entreprise qui délocalisait… Par ailleurs, dans certains cas, on a une autre forme de délocalisation, qui porte en général le nom de transfert de technologies. Là, le schéma utilisé n’est-il pas exactement le même que celui qui a été utilisé par les cadres de Renault ? N’organise-t-on pas alors volontairement des fuites pour qu’ensuite des ensembles géopolitiques différents du nôtre puissent créer du chômage chez nous ?
Penchons-nous alors sur la perversité du système des transferts de technologies. Imaginons que vous êtes un très bon employé, spécialiste de votre métier. On a décidé de transférer votre savoir faire en Chine par exemple. Là, vous allez être payé pour trahir vos collègues ! Et là, bien entendu, pas de mise à pied, pas de procès…
Le cas des cadres de Renault doit donc être considéré par la société civile et peut-être au final la justice dans sa globalité. En matière de fuites industrielles comme en d’autres, on ne devrait pas faire une loi qui accepterait deux poids deux mesures selon que l’on soit misérable ou puissant comme le dit l’adage. Intuitivement, la trahison est un crime. Le cadre qui trahit doit être puni. Mais l’entreprise qui trahit doit l’être aussi. Cela amène alors à une réflexion sur le rôle et surtout les devoirs de chacun dans la société, les devoirs des individus bien sûr, mais les devoirs des personnes morales que sont les entreprises et globalement toutes les entités administratives. Cela pose aussi la question de l’organisation de notre société et l’utilité de ses différents acteurs (au sens des institutions tant privées que publiques, il ne s’agit pas ici des individus). Rappelons, s’il en était besoin, que le but de la société, de l’entreprise, devrait être l’Homme et son bien être et rien d’autre. Il semblerait qu’en ce début de vingt et unième siècle on ait bien oublié cela.
Notre potentielle position syndicale, si les syndicats veulent bien se saisir d’un tel dossier, ce qui reste à prouver puisqu’on les entend peu sur le sujet, est donc celui de l’équité dans la société. On ne peut pas interdire à certains ce que l’on autorise sinon encourage à d’autres. Avant tout jugement il faudra résoudre cette épineuse question.
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