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Accueil du site > Actualités > Economie > La faible disponibilité des hélicoptères NH 90 Caïman… (...)

La faible disponibilité des hélicoptères NH 90 Caïman… l’aberration de 23 variantes et 60 standards ! (2/5)

Le NH-90, exceptionnel par ses performances, se distingue aussi par une très basse disponibilité… car ses 23 variantes complexifient énormément la logistique des pièces détachées. Les 60 standards exposent à une dispersion des énergies, qui s'ajoute à la dilution des responsabilités constatée au sein du consortium NHIndustries.

La première partie de l’article (Des hélicoptères militaires peu disponibles, du fait de facteurs humains ?! (1) ) a détaillé une première piste, « la dilution des responsabilités » au sujet de la maintenance en France, et les mesures prises récemment à son encontre : la ‘verticalisation’ des contrats de soutien, pour chaque modèle d’hélicoptère militaire. 

Mais, pour le NH-90 Caïman, n'y a-t-il pas d'autres causes ?

Deuxième piste (pour le NH90) : la ‘customisation’ à outrance (23 variantes et sous-variantes, 60 standards en tout).

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NH-90 appontant sur une frégate FREMM

Le NH 90 a été conçu et fabriqué par un consortium, NHI (NH Industries) créé par les deux hélicoptéristes européens (Airbus Helicopters, et Agusta Westland, devenu Leonardo), ainsi que par Fokker Technologies.

C’est une réussite technique exceptionnelle notamment par l’emploi massif de matériaux composites (fibres de carbone, qui le rendent très léger et très performant). C’est par exemple le premier hélicoptère à avoir été doté de commandes de vol électriques (après les avions de chasse et les avions civils Concorde et Airbus A320 chronologiquement), et il présente de nombreuses caractéristiques qui le surclassent par rapport à ses concurrents.

C’est aussi un succès commercial, avec plus de 560 exemplaires militaires vendus en quelques années, auprès de 14 pays, 10 en Europe, ainsi qu’en Australie, Nouvelle Zélande, Oman et Qatar.

C’est enfin un grand succès pour la conduite des opérations selon les militaires français entendus par le Sénat… Par exemple : « Avec une autonomie beaucoup plus importante et une capacité d’emport accrue par rapport aux modèles plus anciens, cet appareil a permis de changer la façon de conduire les opérations aéromobiles [au Mali]. … Et les NH-90 de l’Aviation légère de l’armée de Terre ont tenu leurs promesses, comme l’avait souligné le général Jean-Pierre Bosser, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], lors d’une audition parlementaire, en octobre 2016. » (Barkhane : Un hélicoptère NH-90 Caïman est resté immobilisé pendant deux jours dans le désert)

La maintenance, un échec selon le Sénat.

Mais c’est aussi un « échec » pour son soutien [sa maintenance] (rapport du Sénat).

En effet, au moment de sa conception, la mode était à la ‘customisation’ à outrance, la personnalisation du produit en fonction des besoins spécifiques de chaque client (pays). Souvenons-nous, c’est aussi le moment où l’A380 était développé, avec pour chaque compagnie aérienne une version spécifique d’aménagement cabine (nombre et place des sièges, etc.).

Ce qui est une des causes de l’accident industriel de l’A380, ayant coûté plusieurs milliards d’euros à Airbus : le développement de l’A380 se réalisait dans les délais prévus, notamment le premier vol, mais il fallait ensuite un temps important pour dessiner chaque aménagement cabine. Et du fait apparemment de l’utilisation de versions différentes de logiciels de CAO (Catia, version 4 ou 5 semble t il, avec une gestion des arrondis différente) des deux côtés du Rhin, les câbles électriques des tronçons de fuselage assemblés en Allemagne étaient trop courts de quelques centimètres ! Il a fallu tout décâbler à Toulouse, puis tout recâbler, sur les 16 premiers avions à livrer, en déplaçant plus de 2 000 compagnons allemands à Toulouse, et cela a retardé les premières livraisons de l’A380 de 2 ans … (Voir A380 et Les problèmes de câblage de l'A380 ont été résolus, selon Airbus

Pour le NH-90 (2 versions de base TTH et NFH), cette personnalisation à outrance a débouché sur 23 variantes ou sous-variantes, beaucoup plus qu’une par pays client ! Airbus Helicopters en fait même un argument commercial, sur son site web. Certes la proportion de pièces communes est importante (75%), mais ces 23 variantes créent une complexité très importante, à la fois pour la conception, la production et l’entretien des hélicoptères.

Et 23 variantes, 60 standards en tout, c’est trop, beaucoup trop ! Et comme le note le Sénat, le grand nombre de standards du NH 90 complexifie les chaînes de soutien [de maintenance et entretien] des industriels.

Un grand nombre de variantes complexifie non seulement la conception et la fabrication, mais aussi la maintenance...

« Le NH90 se décline en 2 versions principales en service : la TTH (transport tactique) et la NFH (lutte anti-surface et anti-sous-marine). Si l'on considère le MRH90 australien et la version suédoise comme des déclinaisons de la version TTH, la gamme est dérivée en 23 versions et sous-versions. » (Wikipedia)

Les deux versions de base restent proches, elles partagent 75% des pièces (IN FOCUS : NH90 Caiman cuts teeth with French navy), mais l’existence des 23 variantes et 60 standards (!), avec un grand nombre de modules voire sous-modules différents, complexifie considérablement la logistique des pièces de rechange.

Et de plus, dans le cas du NH 90 Caïman NFH (Marine), cela a débouché sur un très grand nombre d’endroits où de la corrosion a été constatée, ce qui est une cause majeure des problèmes de disponibilité. (c’est l’objet de la 3e partie de cet article).

Mais revenons sur la présentation avantageuse faite par Airbus Helicopters, qui inclut ces lignes : « While the specific customization offered to customers has ensured the aircraft’s commercial success on the export market, it has also resulted in 23 different variants, which have entailed new challenges and increased complexity : The management of interdependencies between the versions being a good case in point. »

Et qui se conclut par ces lignes : “Despite its complexity, the new organization has given the NH90 program firmer foundations. Eurocopter teams can now fully focus on their goal of satisfying customers in one of the biggest programs in aeronautical history.”.

... et un grand nombre de variantes semble faciliter la commercialisation, mais seulement à court terme !

En fait, NH Industries s’est totalement fourvoyé, en acceptant une telle personnalisation à outrance, car le consortium n’a pas pris en compte la complexité créée pour le Maintien en Condition Opérationnelle (MCO) des appareils produits. Le consortium a bien réalisé à quel point cela créait une complexité très élevée pour la conception et la production, qui s’ajoutait d’ailleurs à la complexité organisationnelle produite par la coopération obligée entre Airbus Helicopters, Agusta-Westland et Fokker.

Mais, si cela a effectivement facilité la commercialisation, à court terme, cela a aussi beaucoup contribué aux déboires constatés actuellement en Norvège et en Australie, qui viennent tous les deux d’annuler les contrats NH-90 (même s’il faut rester très prudent au sujet de ces annulations par ces deux pays, comme nous le verrons en partie 4 de cet article) ! Ce qui rendra beaucoup plus difficile la commercialisation ultérieure, et les effets positifs n’ont donc été constatés qu’à court terme !

De plus, dans quelques années, quand il y aura une évolution du NH-90, les pièces seront différentes, ce qui complexifiera encore davantage la logistique des pièces détachées. Comme cela a été constaté avec le programme Eurofighter, qui n’avait pourtant que quelques variantes au départ.

En fait, il ne fallait pas se tromper d’objectifs, ne pas perdre de vue des objectifs essentiels, dont des coût d’entretien contenus, de maintenance facilitée et accélérée

Sinon c’est s’exposer à des situations très difficiles, comme celles que NH Industries vit actuellement, avec cette annulation des contrats NH 90 par l’Australie et la Norvège : il est tout à fait possible que des faibles disponibilités ne soient que des prétextes. Voir l’affaire AUKUS, de la commande australienne de sous-marins français, annulée récemment, en faveur de sous-marins états-uniens et britanniques), mais il ne faut pas au préalable avoir donné de verges pour se faire battre…

Voir aussi l’article de Michel Cabirol, La Tribune, Norvège la décision d'annuler le contrat NH90 interpelle y compris chez les Norvégiens sur lequel nous reviendrons dans la partie 4 de l’article. « … En Norvège, NHIndustries aurait donc dû se préoccuper de façon plus efficace de ce problème de disponibilité, qui traîne depuis des années. Mais la complexité du MCO du NH90 est renforcée par le fait que ce programme réunit deux industriels, au sein de NHIndustries, qui sont en concurrence sur les marchés du NH90. Ainsi, Leonardo, qui a en charge le MCO des appareils norvégiens (6 NFH/ASW pour la marine royale norvégienne et 8 NFH pour les Garde-Côtes) n’aurait pas vraiment joué le jeu à fond, estime-t-on. On prête d’ailleurs à l’industriel italien l’arrière-pensée de vouloir vendre des AW101 Merlin à la place du NH90 et de rééditer un nouveau coup en Norvège. En 2013, le AW101 Merlin, qui était en compétition contre le NH90 pour le remplacement des 12 Sea King Mk-43, a été choisi par la marine norvégienne. Un dossier complexe et explosif si le retour d’expérience montre que certains n’ont pas fait le job… »

Dès la conception, se fixer des objectifs réalistes, y compris au niveau de la maintenance !

Et il convient donc, dès la conception, de se fixer des objectifs pertinents, donc réalistes. Contrairement par exemple à l’avion de combat états-unien F-35 : il était totalement irréaliste de vouloir obtenir 3 versions du même avion, dont l’une à décollage vertical, et partageant les mêmes pièces. Et ce qui devait arriver arriva : les 3 versions volent, mais avec d’innombrables problèmes, et les pièces sont très différentes. Les concepteurs ont donc eu tout faux (à la fois les problèmes, et les inconvénients d’avoir des pièces différentes) ! Voir l’article que nous avons écrit il y a 8 ans, et avant les succès à l’export de notre Rafale : L’un des pères du F-16 attaque en règle le chasseur F-35.

S’agissant du NH-90, il fallait inclure, dans le cahier des charges, des objectifs majeurs (et chiffrés) de coûts de maintenance contenus, et d’entretien facilité et accéléré. Comme le note la Cour des Comptes : « … tous les programmes étudiés produisent des systèmes d’armes qui n’atteignent pas le taux de disponibilité espéré. La Cour n’a pas constaté que ces taux insuffisants sont traités comme des manquements aux contrats, dans lesquels ils sont d’ailleurs rarement spécifiés, alors qu’ils sont un paramètre aussi important pour la capacité opérationnelle des armées que la quantité d’équipements possédés. Le nombre, malgré sa valeur symbolique, doit toujours être pondéré par la disponibilité. » (LA COOPÉRATION EUROPÉENNE EN MATIÈRE D’ARMEMENT).

Nombre de ventes par variante (3 fois moins avec NH-90 par rapport à Puma et Super Puma) Et il fallait donc limiter le nombre de variantes, à beaucoup moins que 23. Par exemple à 8 variantes en tout grand maximum (toujours à partir des deux versions de base TTH et NFH), ce qui n’aurait probablement pas bridé le succès commercial de ce fantastique hélicoptère : avec les mêmes ventes de 566 exemplaires, cela ferait alors quasiment le même nombre d’exemplaires par variante que pour les Puma (plus de 481 militaires, 6 variantes) et Super Puma (201 militaires, 4 variantes), soit 68 exemplaires militaires par variante. Voir graphique ci- contre.

Commençons par remarquer qu’il semble plus difficile d’éviter des variantes (militaires ou civiles) pour un hélicoptère que pour un avion, du fait de manque de place et du coût élevé de la portance (voilures tournantes) : par exemple, avoir des portes utilisables pour le parachutage n’est pas nécessairement très gênant dans un avion, et cela ne pénalisera pas ses performances. De même, il est possible d’utiliser des ‘kits’ comme celui de ravitaillement, sans pénaliser les performances de l’avion, alors que ce serait beaucoup plus difficile dans un hélicoptère. Il n’est donc pas aberrant d’avoir des versions différentes d’hélicoptère, et même des variantes, mais tout est une question de mesure, et il va sans dire que 60 standards différents, c’est totalement aberrant.

De toute façon, la conception d’un hélicoptère ou d’un avion passe par la recherche de compromis, idéalement de « compromis sans compromis »  : des compromis techniques, des solutions qui ne remettent pas en cause les objectifs et spécification essentiels ; ‘compromis sans compromis’ qui sont possibles quand on maîtrise totalement son sujet (Dassault Aviation, pour les avions de combat, Airbus pour les avions civils, Airbus Helicopters et probablement Agusta Westland pour les hélicoptères).

Et les meilleurs industriels se distinguent justement par leur capacité à faire de tels compromis sans compromis, par exemple :

Pour les avions de combat : le Rafale, qui a été conçu en 3 versions seulement (monoplace, biplace, navale), partageant 85% des pièces, tout en respectant les coûts, délais et spécifications, alors que ce chasseur est à la fois…

  • un avion de supériorité aérienne ET d’attaque au sol (avec des canards en arrière du cockpit pour permettre au pilote de voir le sol, contrairement à l’Eurofighter, conçu pour être essentiellement de supériorité aérienne)
  • un chasseur classique ET ayant une version navale (avec une vitesse d’approche limitée à 115 nœuds –au lieu de 150 pour un Mirage 2000-, ce qui est excellent pour apponter sur Porte Avions)
  • un avion discret (sans être furtif) ET qui garde une vitesse de pointe élevée (mach 1.8 au lieu de mach 2.0) : pour assurer une discrétion maximale, la perte de vitesse n’est que de 0.2 mach, malgré un profil classique à aile delta (voir Eurofighter, les effets désastreux d’une gestion de projet déraisonnable (1)

 et cette liste de compromis sans compromis ne s’arrête pas là :

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Rafale B, C et M
  • des capacités très étendues, excellentes et performantes, ET qui offre un cockpit user friendly, extrêmement apprécié des pilotes, dès qu’ils découvrent le chasseur, malgré la complexité technique extrêmement élevée des commandes
  • extrêmement polyvalent (remplaçant 5 avions dans les flottes françaises) ET une maintenance facilitée et accélérée et des coûts d’entretien contenus (15 000 euros l’heure de vol)
  • très performant au niveau de son avionique, ET ayant des coûts de rétrofit contenus, grâce à une « architecture ouverte » et à la virtualisation (voir la révolution dans l’évolution) ; ce qui a permis par exemple au Rafale de disposer d’un radar Aesa 10 ans avant l’Eurofighter. L’antenne active est quasiment « plug and play », il suffit d’environ 2 heures pour la changer.

De son côté, pour les avions civils, Airbus a choisi d’effectuer des compromis au niveau de toute sa gamme d’avions, plutôt que de se limiter, comme Boeing, à optimiser chaque avion. Par exemple :

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    A330 et A340

    l’avionneur européen a ainsi lancé en même temps deux nouveaux avions, un bi-réacteur (A330) et un quadri-réacteur (A340), soit quatre versions, partageant près de 100% des pièces (et le diamètre de fuselage des A300 et A310). Notamment des ailes quasi identiques pour l’A330 et l’A340, malgré la différence de MTOW (respectivement 233 t et 270 t, soit une différence de 14%, très élevée en aéronautique, où chaque pourcent compte).

    • Cette décision très bénéfique au niveau du coût des pièces a aussi permis plus tard à Airbus de proposer des A330 de MTOW étendue à 242 t, puis 251 t. (251 tonnes au décollage pour l’A330neo).
    • Ces choix, ainsi que la récente remotorisation NEO de l’A330 tout en gardant 95% de pièces communes, ont fortement contribué à faire de l’A330 un best seller, et à le maintenir au catalogue d’Airbus 30 ans après son lancement, malgré la concurrence du 787, vendu à prix cassés, et malgré des ailes en aluminium et non en composites.
    • Et les compromis sur les ailes A330 ont aussi permis de réaliser des ravitailleurs A330 MRTT (66 vendus, 25% du marché) quasiment sans surcoût, et sans les difficultés rencontrées par Boeing pour réaliser son KC 46 à partir du 767. 
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    Postes de pilotage A320 et A330-A340

    ces A330 et A340 réutilisaient d’ailleurs aussi le cockpit de l’A320, avion nettement plus petit. Cette réutilisation a été étendue ensuite aux A380 et A350, ce qui offre énormément d’avantages pour les compagnies et pilotes. Par exemple un pilote certifié sur un appareil peut en quelques jours être certifié sur un autre modèle, et les compagnies peuvent ainsi très facilement remplacer un pilote malade par un pilote d’un autre modèle Airbus.

  • et les compromis faits en 1980 sur l’A320 restent très pertinents : le monocouloir détient 60% du marché près de 40 ans après sa mise en service, il s’est vendu désormais plus que le 737. Et seuls les réacteurs ont été modifiés, ainsi que l’extrémité des ailes, entre l’A320 CEO et la version NEO.

D’autres exemples d'excellents compromis obtenus pourraient être donnés dans l’aéronautique européenne, comme :

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    L’A400M remplace et complète les Transall C160, C130J, C130J 30 et C17 (tout en bas)

    l’Airbus A400M, avion militaire de transport qui est à la fois logistique (vitesse de 800 km/h, allonge élevée) ET tactique (atterrissage sur terrains non préparés, parachutage, etc.), ET ayant la possibilité de suivi de terrain ET pouvant être transformé en quelques heures en ravitailleur (avions et hélicoptères, ET même en bombardier d’eau, grâce à un autre ‘kit’ (pour 20t d’eau), qui pourra pleinement bénéficier des fonctionnalités militaires de l’A400M (utilisation de terrains non préparés, suivi de terrain, vol nocturne)

  • ou l’hélicoptère Airbus TIGRE, qui n’existe qu’en trois versions (HAP puis HAD, UHT), la dernière version HAD étant d’ailleurs un compromis entre les versions française d’appui au sol (HAP) et allemande d’antichar (UHT)
  • ou le réacteur militaire de Safran M88 éco, à la fois très performant, économe en carburant et en entretien.

L’A400M présente d’ailleurs une caractéristique très intéressante, celle d’une plate-forme commune (Common Standard Aircraft – CSA), sur laquelle l’industriel adapte des matériels optionnels à la demande des États, et parfois même assemble des équipements fournis par eux (par exemple, l’autodéfense des avions anglais). Ce qui réduit beaucoup l’impact négatif de demandes spécifiques de certains pays.

Ces nombreux exemples montrent que des compromis ne sont pas synonymes de perte importante de fonctionnalités ou de performances, bien au contraire. Il n’était donc pas nécessaire d’avoir un si grand nombre de variantes pour le NH-90 (23 !), et même 60 standards !

Mias le Tigre et l'A400M n'ont-ils pas aussi montré des retards importants ?

Simplement, ces exemples ne sont pas tout à fait similaires, l’hélicoptère TIGRE et l’avion Airbus A400M ont également montré des retards importants, et des surcoûts élevés pour l’A400M. Il faut dire que :

ce sont des programmes militaires, et que des fortes tendances en ce domaine sont que

  • chaque pays souhaite un cahier des charges différent pour l’avion ou l’hélicoptère
  • chaque pays souhaite qu’une entreprise de ce pays participe à la conception et à la fabrication, du produit et/ou du ou des réacteurs
  • chaque pays souhaite qu’une usine d’assemblage final (FAL) y soit installée

et que ces programmes TIGRE et A400M se sont traduits par la création d’un consortium, à 3 ou 4 entreprises, pour la réalisation des réacteurs,

alors que l’expérience montre que plus l’organisation du programme est complexe, en nombre d’entreprises impliquées, et plus les dépassements des coûts et délais se constatent, comme le montre le tableau suivant, avec les leçons tirées suivantes :

  • les programmes militaires présentent des surcoûts et des retards d’autant plus importants que l’organisation est complexe (sens de la flèche, au croisement des complexités en ligne et en colonne, selon le nombre d’entreprises impliquées)
  • les programmes (militaires) impliquant un consortium (pour l’aéronef et/ou les réacteurs) présentent tous des surcoûts et retards importants

(voir aussi Les leçons tirées des coopérations internationales (en aéronautique) (4/4) et 3/4, et Eurofighter, les effets désastreux d’une gestion de projet déraisonnable (1) )

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Dassault nEUROn

Parallèlement, il n’y a pas de règle absolue à constater des retards et surcoûts : « il suffit » de s’obliger à n’avoir qu’un seul Maître d’ouvrage MOA, ou Maître d’Ouvrage délégué (la DGA pour le Rafale et ses versions Armée de l’Air et Marine, et pour le nEUROn, le MOD britannique pour le missile METEOR), et d’avoir un Maître d’œuvre unique

Tous ces éléments sont résumés dans le tableau suivant, la diagonale montrant une dilution des responsabilités croissante en fonction de la complexité organisationnelle. Le tableau mentionne aussi la position défavorable de l'A400M et très défavorable de l'Eurofighter, et de leurs réacteurs.

La ‘zone dangereuse’ (grisée) est celle qui croise ‘au moins deux maîtrises d’ouvrage’ avec ‘au moins un consortium (militaire)’. Le Rafale n’y est pas parce qu’il y a un maître d’œuvre pour l’avion et une entreprise pour les réacteurs (et non un consortium), bien qu’il y ait 2 maîtres d’ouvrage (Armée de l’Air et Marine), mais une seule maîtrise d’ouvrage déléguée, la DGA (Direction Générale de l'Armement).

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Danger fonction de la complexité croissante (selon le nombre de maîtres d’ouvrage, et selon la maîtrise d’oeuvre)

Pourquoi est-il très pénalisant de ne pas avoir une Maîtrise d’ouvrage unique (déléguée par les autres pays, et aussi dans le cas où l’on fait deux versions, dont une navale) pour tenir les coûts, délais et spécifications ? Parce que cela incite à diluer les responsabilités, véritable plaie du management, et du Management de projet (voir la première partie de l’article).

Et de même, en ce qui concerne les consortiums militaires (surtout formés par 4 entreprises !). Et cette dilution des responsabilités qui crée des surcoûts, produit aussi des coûts plus élevés de maintenance (MCO) et une plus faible disponibilité des aéronefs. Qui avait été particulièrement constatée avec l'Eurofighter, à plusieurs reprises et dans plusieurs pays.

[Par exemple en Allemagne : "D’après le rapport du commissaire parlementaire auprès de la Bundeswehr, seulement 39 de ces avions ont été disponibles en 2017, en grande partie à cause « de longues périodes de maintenance » et « d’une grande variété de pièces de rechange. » Selon l’hebdomadaire der Spiegel, environ 10 des 128 Eurofighter Typhoon en service au sein de la Luftwaffe seraient aptes au combat. La cause ne vient pas de l’avion en lui-même mais d’une défaillance dans l’approvisionnement en pièces détachés." (Seulement quelques Eurofighter Typhoon allemands seraient pleinement opérationnels). Et au Royaume Uni : " Autre aspect soulevé par le NAO, Cour des comptes britannique : l’indisponibilité fréquente de l’appareil, en raison de problèmes liés à l’approvisionnement en pièces détachées. Et l’on pourrait également ajouter le coût d’exploitation de l’Eurofighter." (L’Eurofighter, ce gouffre financier). Notez que l'Eurofighter est effectivement le plus mal placé dans le tableau, et que le NH-90 vient juste après, et que le rapport allemand parle spécifiquement d'une grande variété de pièces de rechange.]

Mais revenons spécifiquement au NH-90 Caïman : devoir s’occuper de 23 variantes différentes, et même 60 standards, (voir le rapport 2018 de la Cour des Comptes : « La coopération européenne en matière d’armement  ») disperse les énergies, au lieu de les focaliser sur les priorités essentielles du programme. Ce qui a des effets négatifs qui s’ajoutent à ceux de l’existence d’un consortium (Airbus Helicopters, AgustaWestland-Leonardo et Fokker) pour créer des complexités très nuisibles, ainsi que retards, surcoûts, difficultés d’atteindre les objectifs essentiels, y compris en matière d’entretien, surcoûts de maintenance… ce qui aggrave à son tour les problèmes de disponibilité des aéronefs.

Le graphique ci-dessous croise ces deux dimensions (dilution des responsabilités et dispersion des énergies), et la diagonale verte montre la disponibilité croissante des aéronefs (et le coût décroissant du Maintien en Condition Opérationnelle (MCO)). L'Eurofighter et le NH-90 sont les plus mal placés aussi sur ce 2e tableau, ce qui est logique puisque c'était déjà la cas et qu'un critère supplémentaire les caractérisant tous les deux est ajouté.

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Danger fonction de Dilution des responsabilités et Dispersion des énergies
Le danger de ne pas tenir les coûts et délais est d’autant plus grand qu’il y a dilution des responsabilités (via la complexité organisationnelle) et dispersion des énergies

Dernière remarque : le grand nombre de variantes (23) et de standards (60) pour ce programme NH-90 est peut-être (en partie) lié à la spécificité de ce programme, la maîtrise d’ouvrage au sein de la NAHEMA (agence de l’OTAN), dont la règle de l’unanimité appelle des consensus difficiles à trouver. Ce grand nombre de variantes a peut-être été vu comme un moyen de contourner cette règle de l’unanimité. Mais n’est-il pas évident que définir et devoir utiliser 60 standards est totalement ingérable ?

Conclusion temporaire : il est très important de s'organiser pour éviter les complexités organisationnelles, à la fois au niveau Maîtrise d'oeuvre et au niveau Maîtrise d'ouvrage. Et de limiter au maximum le nombre de variantes. Ce qui est facilité si les pays font confiance à un pays leader (Maître d'ouvrage) ou s'appuie sur une Maîtrise d'ouvrage déléguée, comme l'OCCAR (comme le souligne le rapport de la Cour des Comptes, qui insiste sur les avantages de cet organisme, qui a été très bien pensé, mais qui est très mal utilisé. Voir partie 4 de l'article) : le Maître d'ouvrage devra trancher, et trouver des compromis, en s'attachant à atteindre les objectifs essentiels. Cela demande de sa part des talents de négociation, mais sans cela tous les pays clients s'exposent à de graves difficultés, comme celles constatées avec le NH-90 Caïman.

Il convient désormais de s’intéresser à la version Marine du NH-90 Caïman, qui pose des problèmes spécifiques, dus à de la corrosion. C’est l’objet de la troisième partie (3/5) de cet article.

Nous verrons dans la quatrième partie (4/5) si la façon de gérer la coopération, au sein du consortium, aurait pu être différente, et dans la cinquième partie (5/5) ce qu'il conviendrait de faire pour limiter les conséquences négatives.


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5 réactions à cet article    


  • sirocco sirocco 13 septembre 2022 13:47

    Moi qui m’apprêtais à en commander une demi-douzaine pour Noël, je vais me raviser...


    • LeMerou 13 septembre 2022 18:20

      @Laurent Simon

      Merci pour cet article, certes d’une grande longueur, mais hélas nécessaire pour expliquer ce marasme et cette folie de variante, comme si le NH90 était un véhicule que l’on optionne à la manière d’une voiture. Pour sommes toutes, un même job.

      Pourquoi faire simple quant on peut faire compliqué.


      • mmbbb 14 septembre 2022 10:03

        Merci pour cet article tres documenté 

        Mais je suis assez étonné que ce problème n ait pas été pris en aval 

        C etait le travail de la DGA 


        • Parlez moi d'amour Parlez moi d’amour 14 septembre 2022 15:20

          Merci pour cet article très intéressant pour quelqu’un qui n’y connaît pas grand chose.

          Une anecdote me revient à l’esprit : secrétaire intérimaire à l’été 1969 à Nord Aviation (qui allait devenir Aérospatiale), j’ai assisté à une engueulade mémorable d’un chef de service qui s’en prenait aux dessineux qui planchaient sur les balbutiements de l’Airbus A320, (les ingénieurs, eux, venant pointer en fin de semaine tout bronzés de leurs parties de tennis) : la targette de la porte des toilettes ne correspondait pas, le pêne et la gâche n’étaient pas du même modèle. Une fois l’orage passé les tables à dessins ont basculé à l’horizontale pour l’apéro du jour puisqu’il y avait toujours un évènement à fêter.

          Drame familial trente ans plus tard : un neveu victime avec trois autres officiers d’un crash d’hélicoptère au large de Saint Mandrier : l’enquête a révélé que le rotor avait été bricolé avec une pièce de fabrication chinoise qui a lâché en plein vol.

          Votre article reflète toute l’impéritie et la gabegie que notre société sécrète, à force de vouloir faire toujours plus (sinon toujours mieux) en concurrence permanente on en arrive vite à des situations ingérables, dans beaucoup de domaines on passe plus de temps à « réparer » qu’à avancer.


          • mmbbb 16 septembre 2022 14:56

            @Parlez moi d’amour  «  révélé que le rotor avait été bricolé avec une pièce de fabrication chinoise qui a lâché en plein vol. »  témoignage qui dénote le laisser aller dans ce pays .

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