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Micro-Etat
Les Etats-Unis, qui sont partis en croisade contre l’évasion
fiscale, ont ainsi bien du mal à faire le ménage chez eux. « C’est
tout le paradoxe des Etats-Unis : c’est à eux que l’on doit tous les
progrès réalisés depuis 2010 dans la lutte contre les paradis
fiscaux. Mais ils refusent que l’on regarde ce qui se passe chez eux
", explique Gabriel Zuckman, professeur à Berkeley. L’Amérique
oblige ainsi les autres pays à transmettre les données financières
de leurs clients américains, mais exclut de rendre la pareille.
C’est le seul pays à rejeter les standards de l’OCDE sur le partage
multilatéral d’informations financières, préférant se cantonner à
son propre système (Fatca). Conséquence : c’est l’un des seuls
endroits au monde où la transparence financière a reculé ces
dernières années, selon un rapport publié par « Tax Justice
Network ». « C’est le pays qui nous inquiète le plus aujourd’hui
», résume l’organisme.
Bousculée par les « Panama papers », la Maison-Blanche promet
du changement. Une ordonnance doit être présentée prochainement
pour forcer les banques à identifier le réel bénéficiaire d’une
société avant de lui accorder un compte. Mais la résistance est
forte, et rien ne dit que cette ordonnance sera appliquée in fine. «
La pression politique pour maintenir le statu quo est énorme. Barack
Obama n’est pas sûr de pouvoir procéder par ordonnance : cette
décision va être contestée en justice », explique Brad Lindsey.
Cette résistance traverse tout l’échiquier politique : on retrouve
évidemment les républicains, qui s’opposent à toute mesure
susceptible d’augmenter l’impôt des entreprises. Les démocrates du
Delaware sont également prêts à tout pour défendre leur fonds de
commerce. « Le Delaware a toujours été démocrate. Mais il n’est
pas prêt à suivre Barack Obama sur ce terrain-là », pense Brad
Lindsey. Les proches de Barack Obama sont d’ailleurs loin d’être
exemplaires : le vice-président des Etats-Unis, Joe Biden, qui a été
sénateur du Delaware pendant trente-six ans, n’a jamais soulevé la
question au Congrès. « Personne ne me soutient. Je suis le seul à
me battre. Les autres démocrates du Delaware ont peur de ne pas être
réélus », confirme John Kowalko.
Il faut dire que le Delaware ne serait pas grand-chose sans le
million d’entreprises qu’il héberge. Comme le Liechtenstein en
Europe, il s’agit d’un micro-Etat dont l’économie repose
quasi-intégralement sur les services aux non-résidents. Les droits
d’enregistrement lui apportent 1,3 milliard de dollars par an,
soit le tiers de son budget.
A défaut de volonté locale, le changement peut-il venir de
Washington ? Malgré quelques déclarations lors de ses campagnes
électorales, Barack Obama n’a jamais vraiment voulu porter ce
combat. Et compte tenu de leur situation personnelle, il y a fort à
parier que Donald Trump et Hillary Clinton enterreront eux aussi le
dossier s’ils parviennent à la Maison-Blanche. « Il n’y a que le
socialiste Bernie Sanders pour oser s’y attaquer. Mais il ne sera pas
élu », regrette John Kowalko. Le vieil homme conserve toutefois une
petite pointe d’optimisme. « Plus nous serons dans la presse, moins
nous pourrons continuer de nous voiler la face. Dans l’idéal, il
faudrait que l’on découvre un réseau terroriste qui se finance à
partir du Delaware ", lance-t-il en mordant avec confiance
dans son bagel au cream cheese. Une nouvelle choc... la seule à même
de faire exploser le statu quo, estime-t-il.
En savoir plus sur
https://www.lesechos.fr/01/05/2016/lesechos.fr/021891005093_le-delaware—paradis-fiscal---made-in-usa—.htm#fL7syMHJSHiVqUpb.99