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Commentaire de alain13

sur Mais de quels « gènes » parle donc Nicolas Sarkozy ?


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alain13 17 avril 2007 22:25

Génétique et dépression : un procès bien politicien fait à Nicolas Sarkozy

Décidément, la génétique est une chose trop sérieuse pour être confiée aux généticiens. En effet, après une interrogation bien prudente de Nicolas Sarkozy lors d’un débat philosophique sur la place de l’inné et de l’acquis dans les troubles du comportement humain, le tocsin a été sonné par d’éminents spécialistes comme François Bayrou et Jean-Marie Le Pen, et un procès en diabolisation a été instruit par la presse dominante du politiquement correct. Hélas, l’épiscopat, après une lecture hâtive de communiqués de presse tronqués, est intervenu de manière erronée sans vérifier ses sources. Seule Ségolène Royal a eu le mot juste en disant « qu’il fallait laisser les scientifiques répondre ».

Il n’y a pas de gènes de droite et de gauche mais des gènes d’origine maternelle ou paternelle. Et c’est là où parfois cela fait mal car pour des raisons génétiques (mutations de l’ADN ou du nombre de copies de gènes) ou épigéniques (anomalie du fonctionnement des gènes survenant durant la vie fœtale), nous naissons inégaux : certains ont des anomalies du développement tellement visibles qu’on les détecte dès la naissance. Tous les autres ont des caractéristiques génétiques qui les rendent plus ou moins vulnérables aux maladies, car leur vieillissement s’accélère, ou parce qu’ils sont hypersensibles aux effets néfastes de notre mode de vie (par exemple ils deviennent plus souvent obèses, diabétiques ou font plus de cancers). Ces maladies de civilisation sont donc à la fois 100% génétiques et 100% environnementales. Sait-on par exemple que les malades victimes de la version humaine de la « maladie de la vache folle » ont reçu une mutation du gène du prion venant de leurs deux parents ? Sans la folie des éleveurs britanniques aucun ne serait cependant devenu malade mais ils avaient tous une « fragilité » potentielle génétique qui a rendu possible la maladie de Creutzfeld Jacob.

Les maladies psychiatriques n’échappent pas, bien au contraire, au lot commun. Que cela plaise ou non, la dépression est un trait en partie génétique et des gènes de prédisposition ont bien été identifiés chez l’homme et l’animal. Les familles de déprimés existent et si on dépistait mieux leurs troubles, et on suivait leurs enfants, moins d’adolescents se suicideraient. Le prestigieux journal « Nature » va publier dans quelques jours une carte d’identité du génome des personnes ayant une maladie maniaco-dépressive. Ce qu’a dit Nicolas Sarkozy sur la dépression ne me choque donc pas car il faut arrêter de culpabiliser les enfants déprimés et leurs familles, en niant le caractère biologique endogène de leur trouble. Il s’agit au contraire de les aider, et si la science génétique peut permettre de trouver les « causes » de leur maladie, peut-être pourra-t-on un jour la guérir ! La même chose est vraie pour nombre d’addictions (drogues, et même alcool, cigarette et dépendance alimentaire) qui sont favorisées par certains de nos gènes.

Aucun candidat à la Présidence n’a dit que l’Homme devait être exonéré de ses responsabilités du fait de ses gènes, et que tout était réglé à la naissance. Et personne heureusement ne prône l’eugénisme et l’avortement de masse. Donc pas de fantasmes ! Mais la science a établi que la personnalité humaine a plusieurs facettes dont certaines sont très héréditaires notamment la recherche de la nouveauté (novelty seeking). Mais sur ce fond génétique, l’environnement, l’éducation, la culture et le libre-arbitre vont contribuer ensemble à faire d’un jeune homme aimant un peu plus que les autres l’innovation et la prise de risque un futur délinquant drogué ou un Picasso ou un Einstein. Ou un chef d’entreprise créant des milliers d’emplois...

La question des comportements sexuels est plus compliquée mais comme l’explique Axel Kahn dans son dernier livre (« l’homme est un roseau pensant » éditions Nil), la reproduction sexuée existe depuis 1 milliard d’année et sa pratique est fortement ancrée dans nos gènes. On ne naît pas prédestiné à la pédophilie mais si on oblige ces délinquants à des traitements médicamenteux au long cours, c’est qu’ils ont peut-être une « maladie » organique chronique, qui ferait intervenir l’inné et l’acquis dans son développement.

Je suis plutôt reconnaissant qu’un candidat à la Présidence ait osé s’intéresser à ces problèmes complexes d’une manière si humaine. Les personnes que je connais qui souffrent car ils sont impuissants à aider leurs proches qui sont terriblement déprimés depuis leur enfance, ont forcément un jugement moins tranchant sur ces questions que les donneurs de leçon du bien penser. La réalité est tellement plus complexe. Et arrêtons de juger et de diaboliser ceux qui osent s’interroger un peu de travers car ce n’est certainement pas de moutons de Panurge lobotomisés que la France a besoin.

Professeur Philippe Froguel

Professeur de Médecine Génomique, Imperial College London et Directeur de Recherche en génétique au CNRS


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