Les barrages : des ouvrages hydrauliques singuliers
Il y a soixante ans survenait la catastrophe du barrage de Malpasset. Le 2 décembre 1959 des pluies diluviennes s'abattent dans la vallée du Reyran, le barrage inauguré en 1954 se remplit rapidement, l'été fut très sec et les cours d'eau sont en crue ; hors de question de procéder à un lâcher d'eau salutaire, le béton du chantier de l'autoroute Esterel-Côte-d'Azur est encore frais ! Ce type de barrage voûte haut de 60 mètres, épais à sa base de 6,8 m et son couronnement de 1,5 m construit pour l'irrigation des cultures afin de compenser l'irrégularité des pluies est réputé des plus sûrs... A 21 h 13 une partie de l'ouvrage cède (le lâcher d'eau a été tardif), 50 millions de M3 se déversent, une onde de submersion de 40 mètres déferle dans la vallée à 70 km/h. Quand la vague atteint Fréjus 20 minutes plus tard, elle a emporté 423 personnes, endommagé 951 bâtiments, décimé le cheptel, emporté 12 km de routes et 2,5 km de voies ferrées, détruit 1000 hectares de terres agricoles et 471 véhicules. On décompte 1881 familles sinistrées soit 7000 personnes et 79 orphelin(e)s ! Un rocher de la rive gauche a été « expulsé » ; le tribunal ne retiendra aucune charge contre quiconque. L'eau sous pression n'aurait-elle pu s'infiltrer dans d'anciennes fissures ou fractures et contribuer la catastrophe ?
Un barrage est un : « ouvrage artificiel coupant le cours d'eau et servant soit à en assurer la régulation, soit à pourvoir à l'alimentation en eau des villes ou à l'irrigation des cultures, ou bien à produire de l'énergie (houille blanche) ». Détourner le cours d'un fleuve afin de s'en protéger ou de l'utiliser pour ses besoins remonte à des milliers d'années. Le premier barrage-poids (amas de roseaux, de terre et des pierres) aurait été construit par des nabatéens sur l'oued Ovdat. Il s'agissait plutôt d'une digue : « ouvrage destiné à contenir les eaux, à élever leur niveau ou à guider leur cours ». Au Moyen-Age, des dizaines de milliers de roues à aubes alimentées à partir d'une faible chute d'eau (1 à 2 m de hauteur) font tourner les moulins, on en comptera 100.000 à la révolution ! Le barrage de Saint Ferréol qui alimente le canal du Midi fut construit en terre (hauteur 15 mètres). L'année 1752 voit l'apparition du barrage par enrochement de la Noie destiné à épuiser les eaux d'infiltration d'une mine voisine. Les barrages pour alimenter en eau potable les villes dépourvues de nappes phréatiques apparaissent en 1850. Le premier barrage à voûte maçonnée d'une hauteur de 42 mètres est terminé en 1854, le barrage du Gouffre d'Enfer (Saint-Étienne) d'une hauteur de 52 mètres est édifié douze années plus tard en prévision de crues. Grâce à l'électricité fournie par des barrages, des vallées alpines vont pouvoir s'industrialiser.
Les barrages modernes répondent à différentes problématiques : régularisation des débits - constitution de réserves d'eau potable - irrigation des cultures - écrêtage des crues - soutien d'étiage - étangs piscicoles - force motrice - navigation - alimentation des biefs de dérivation - tourisme (plages artificielles, activités nautiques, camping...) - alimentation des canons à neige. Les barrages font aussi l'objet de vives critiques (Sirvens) : submersion de villages (Salles-sur-Verdon) - perturbation des migrations de poissons - diminution de la biodiversité - eutrophisation - retenue d'alluvions fertiles en amont - perte de surfaces cultivables - évaporation - différents entre États, certains s'accaparant la ressource.
Les aménagements hydroélectriques à basse chute sont construits sur les cours d'eau moyens ou rivières inférieures, les débits y sont relativement importants (pas de réservoir), et les chutes (hauteur) suffisantes pour activer les moulins et/ou alimenter des canaux d'irrigation. Le barrage réservoir permet une transformation d'énergie avec de faibles débits, mais avec une grande retenue et une chute d'eau importante. Ce type de barrage se construit sur des cours d'eau encaissés ou après le « noyage » d'une vallée qui servira de réservoir et permettra la création d'une chute d'eau indispensable à l'alimentation des turbines.
Il existe trois conceptions de barrages : le barrage poids (très répandu en France) qui résiste par sa masse et sa forme a une section (coupe) verticale sensiblement triangulaire, la stabilité repose sur leur fruit (obliquité du parement extérieur). Il est construit en béton non armé puisque les efforts se font essentiellement à la compression, condition à laquelle le béton offre ses meilleures caractéristiques. Le barrage est constitué de plusieurs plots juxtaposés les uns aux autres et l'étanchéité entre chaque plot assurée par un joint de Néoprène. Le barrage peut être : rectiligne, courbe ou brisé pour s'adapter au mieux de la topographie, généralement une vallée large et de faible hauteur.
Dans le barrage à voûte, le parement amont et aval est cintré, l'arc horizontal transmet une partie de la charge (poussée de l'eau) sur les parois rocheuses des flancs, véritables murs naturels. L'épaisseur du béton augmente avec la clef du barrage et du couronnement vers les fondations. Dans les barrages évidés, des vides disposés dans la masse de l'ouvrage et aux endroits les moins sollicités réduisent la quantité de béton nécessaire à la construction et déchargent le sol qui peut présenter, en certains endroits, une résistance faible. Le barrage à contreforts est une variante du barrage évidé. Barrage à contreforts : la voûte est supportée par des contre-forts dont le nombre varie avec la taille. Ce type d'ouvrage se rencontre surtout dans les vallées larges mais il a fortement diminué après la catastrophe de Malpasset .
Le Barrage poids-voûtes est un ouvrage dont la forme arquée permet la création d'un effet de voute et un report des efforts sur les appuis latéraux. La face tournée vers l'amont est souvent verticale, celle tournée vers l'aval inclinée, mais il peut parfois se présenter sous la forme d'un « escalier » et d'un arc parabolique ou elliptique. Sa stabilité dépend de ses fondations et des efforts liés à l'encastrement.
L'usine marémotrice version moderne des moulins à marée répandus du Moyen-Age jusqu'au XVIII° siècle a un principe similaire à celui d'un barrage. L'ouvrage construit dans une baie ou sur l'estuaire d'un fleuve laisse passer les eaux de mer à marée montante avant d'entraîner les turbines et les génératrices à marée descendante. Les turbines à double effet peuvent délivrer de l'électricité avec le flux montant et le flux descendant. Plus la hauteur hydrostatique augmente, plus la production d'électricité est importante, la quantité d'eau arrivant aux turbines est réglée par l'ouverture ou la fermeture de vannes. L'usine marée motrice (24 turbines) sur l'estuaire de la Rance inaugurée en 1967 mesure 750 m de long et le couronnement de l'ouvrage permet de relier les deux rives de l'estuaire.
Un barrage comporte de nombreux dispositifs annexes : prise d'eau pour l'exploitation - vidanges d'urgence - évacuation, détournement des crues - puits d'accès au chambre et aux turbines - canal de fuite d'eau - vidange de fond, etc. L'eau à partir d'un certain débit transporte des débris et des matériaux solides qui risquent de s'accumuler et de venir réduire le débit et par contre coup le volume utile. Des grilles sont prévues pour en réduire le passage et des dispositifs (vidange, purge, dragage, chasse) l'ensablement.
Les ingénieurs doivent calculer le poids propre de l'ouvrage, la tendance est d'utiliser le moins de béton pour le maximum de retenue d'eau (1 m² pour 150.000 m², de mémoire) et en déterminer le poids vif, le trafic, la neige, la glace, la pression dûe au vent, les pressions liées à l'eau. Les charges résultantes doivent se répartir par l'entremise des fondations. La portance du sol est définie par la charge en kg/cm² sous laquelle le tassement des matériaux cesse d'augmenter. Si nous posons sur le sol une plaque que nous la chargeons, le sol situé sous la plaque « réagit » en offrant une résistance plus ou moins importante selon la nature de sa composition. La force « F » agissant sur les couches de terrain diminue avec la profondeur d'où une répartition plus ou moins importante des contraintes imposées au sol. Ce principe peut avoir des conséquences importantes. Admettons qu'après une couche de sable, le sol soit composé de tourbe, matériau bien plus compressible que le sable ; le sol risque de se dérober sous les fondations et la construction de s'affaisser (tour de Pise).
La qualité de la nature du sol et sous-sol s'apprécie selon leur : cohésion, perméabilité et de compressibilité. Les valeurs moyennes : la terre 0.5 kg/cm², l'argile 2 kg/cm², roche tendre 6 kg/cm², roche dure 10 kg/cm². Il est donc important pour l'ingénieur ayant en charge la construction de connaître la nature du terrain composant le fond mais aussi la nature du sous-sol géologique afin de s'assurer que les couches sous-jacentes seront capables de supporter la charge. La contrainte maximum sous une fondation est égale à : F (kN) / surface, mais elle dépend aussi de la forme de la semelle : rectangulaire, circulaire, carrée. Il est préférable d'asseoir une poussée sur plusieurs petits points qui repartiront mieux les forces et les réactions d'appuis que sur quelques points importants. En présence d'un sol peu porteur, l'ingénieur préfère établir un radier général (sol artificiel en béton), un plateau servant de fondation répartissant les charges de la construction sur une surface plus importante. Dans une telle situation, l'ouvrage immergé est soumis à la poussée hydrostatique qui agit perpendiculairement et verticalement de bas en haut (principe d'Archimède) sous le radier. La sous-pression tend à soulever le radier et s'oppose à la contrainte exercée par le sol.
Un barrage peut être à l'origine d'une catastrophe sans qu'il y ait rupture ! L'emplacement retenu pour la construction du barrage de Vajont situé dans les pré-Alpes italiennes à 287 m d'altitude, au dessus de Venise semble idéal, la vallée très arrosée est étroite, les parois y sont abruptes et le développement industriel des villes de Milan et de Turin laissent présager une forte rentabilité. La Sociétà Adriatica di Electtricità rachète des terrains à une commune qui n'en est pas propriétaire..., les travaux commencent en 1957, les ingénieurs décident de porter la hauteur de l'ouvrage à 261 mètres au lieu des 200 m initialement prévus, le barrage en arc de 150 millions de mètres cubes sera le plus haut du monde ! Lors des premiers essais, une fissure de 2 km apparaît sur les flancs du lac long de 7 km et large de 300 mètres, une dérivation est construite pour éviter que la retenue d'eau soit scinder en deux en cas d'éboulement. Le 9 octobre 1963 un glissement de terrain s'amorce, à 22 h 39 une surface de 200 ha dévale la pente à 100 km/h et s'abat sur le lac artificiel. Cinquante millions de mètres cubes remontent le long de la pente du versant opposé engloutissant Erto et Casso situées à près de 900 mètres d'altitude. Certaines sources font état de 2.600 morts et disparus en seulement quelques minutes !
D'après le rapport de l'Assemblée nationale (juillet 2008), la probabilité de rupture d'un barrage (tous types confondus) serait de 1 %, le risque est donc loin d'être négligeable, la France compte 744 barrages d'une hauteur supérieure à 10 mètres et des milliers d'une hauteur comprise entre 2 et 10 mètres. L'architecte du barrage de Malpasset a déclaré après le drame : « De tous les ouvrages construits de la main de l'homme, les barrages sont les plus meurtriers ». Quatre types de risques sont « pointés » : défauts de matériaux et de contrôle eu égard l'obsolescence des matériaux, les crues, les accidents de terrain, les séismes. Les ouvrages en béton sont dimensionnés d'après une crue millénaire,et les barrages seraient moins sensibles aux séismes que les ponts. Une construction massive et rigide s'accommode mieux d'un sol mou, et un sol dur d'une construction souple et élancée. Le coefficient de sol, qui dépend de la zone de sismicité, indique l'amplification des ébranlements exercés par certains sols (accélération horizontale et verticale en m/S²), tandis que le coefficient d'importance (majoration) prend en compte la catégorie du barrage.
La rupture d'un barrage peut être à l'origine d'une catastrophe humaine ineffable. Le 8 août 1975, un barrage cède à Banqiao (Chine) entraînant la destruction en chaîne d'une cinquantaine de barrages ! La catastrophe fera des dizaines de milliers de morts !
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