En voiture, Simone ! C’est toi qui conduis, c’est moi qui klaxonne !
En ce 7 mars devrait être commémorée la naissance d’une femme libre, une pionnière qui s’est illustrée dans des domaines très masculins. Une certaine Simone. Or – honte à nous ! – pas la moindre cérémonie n’est programmée. Oubliée de nos jours, cette femme atypique, née au temps des frou-frous de la Belle époque, reste toutefois bien présente dans une célèbre expression populaire…
Pourquoi nous intéresser à cette femme aujourd’hui ? allez-vous me demander. Tout simplement parce que l’on célèbre le 111e anniversaire de sa naissance. Ou plutôt l’on devrait célébrer cet événement car, mis à part – peut-être – quelques rares personnes de sa descendance, je crains fort d’être le seul à lever aujourd’hui un verre de pouilly fumé à la mémoire de cette audacieuse Nivernaise. Eh oui, je suis comme cela, du genre à fêter mes 2 222 semaines de mariage ou bientôt mes 888 mois d’existence, histoire d’avoir souvent quelques raisons d’agapes hors des dates symboliques habituelles. Allez, à ta santé, Simone ! Et à la vôtre, chers amis lecteurs !
Mais je m’aperçois, tout penaud, que j’ai oublié de vous présenter cette dame. Comme indiqué plus haut, c’est un 7 mars – de l’année 1910 en l’occurrence – qu’a vu le jour dans la bonne ville charentaise de Royan un petit être fripé et fragile enregistré à l’état-civil sous le nom de Simone Louise Pinet de Borde des Forest (ouf !). Née dans une vieille famille nivernaise d’Edmond Pinet de Borde des Forest, officier de cavalerie, et de Marie Suzanne Élisabeth Langevin, c’est au château de Fontorte que Simone des Forest – le nom usuel qu’a retenu la postérité – a passé son enfance. C’est là, sur les routes du Nivernais, qu’à l’âge de 12 ans, l’un de ses oncles, propriétaire d’une automobile, l’initie à la conduite. Une révélation pour Simone.
La jeune fille doit pourtant attendre d’avoir 19 ans pour décrocher son « certificat de capacité féminin » à la conduite (le « permis de conduire » ne sera instauré qu’en 1922). Sitôt capacitaire, sitôt impatiente de s’engager dans la compétition automobile. À 21 ans elle participe à sa première épreuve au volant de la Rosengart 750 cc de son père : la Course de côte de La Baraque entre Clermont-Ferrand et le col des Goules, une épreuve qu’elle gagne dans la catégorie « sport ». La même année, on retrouve la jeune fille dans le Rallye Paris-Vichy et le Paris-Antibes-Juan-les-Pins, toujours au volant de la Rosengart et, détail étonnant, avec sa propre mère comme copilote.
En 1934, changement de dimension : Simone des Forest, âgée de 24 ans, entre dans la « cour des grands » en s’alignant dans le prestigieux Rallye de Monte-Carlo dont elle prend le départ depuis la ville de Bucarest sur une Peugeot 301 en compagnie de Fernande Hustinx, la future épouse du pilote Charles de Cortanze. Malgré des conditions très difficiles, notamment en raison de grands froids et de tempêtes de neige, les deux jeunes femmes bouclent les 3772 km à la 17e place – sur 160 voitures engagées – et remportent la « Coupe des Dames ». L’année suivante, nouvelle victoire chez les Dames de Simone des Forest, alliée cette fois à Odette Siko, sur Triumph.
En 1937, changement de cap : à l’initiative des huiles Yacco, une équipe féminine de vitesse et d’endurance est mise sur pied. Outre Odette Siko et Simone des Forest, elle comprend Claire Descollas et Hellé Nice. Quatre jeunes femmes audacieuses qui, sur l’autodrome de Montlhéry battent 25 records dont l’un – 30 000 km d’endurance à 140 km/h de moyenne sur une Mathis « Matford » à moteur Ford V8 – marque les esprits dans un milieu automobile pourtant très macho. Simone des Forest est âgée de 27 ans.
Peu d’éléments biographiques sont disponibles pour les années suivantes. Mais on sait avec certitude que la jeune femme se met au service de la Croix-Rouge en 1940 comme conductrice de camion. Elle y acquiert une expérience de la conduite des poids lourds qui lui permet, la guerre terminée, de participer au Championnat de France des… chauffeurs routiers où elle se classe 10e en faisant taire les sarcasmes et les préventions misogynes de quelques « gros bras » de la conduite. Progressivement, Simone des Forest reprend ensuite la compétition automobile et participe à de nombreuses épreuves. Parmi elles, la prestigieuse Mille Miglia courue dans le nord de l’Italie. En 1953, on la retrouve une nouvelle fois dans le Rallye de Monte-Carlo, associée à Élyane Imbert au volant d’une Porsche 356 1500.
Entretemps, Simone des Forest, soucieuse d’assurer son avenir professionnel, a créé en 1950 sa propre auto-école. Une « première » pour une femme dans notre pays. En 1957, elle arrête la compétition automobile pour se consacrer elle-même à l’enseignement de la conduite. Une activité qu’elle alterne, durant son temps libre, avec l’aviation de loisirs après qu’elle ait décroché son brevet de pilote.
Simone des Forest est décédée à Vichy en 2004, à l’âge de 94 ans. Et nul doute qu’en dehors d’anciens fans du sport automobile, elle n’aurait pas laissé un grand souvenir si son prénom n’avait été associé à une célèbre expression dont l’origine se perd dans les années de compétition de sa jeunesse : « En voiture, Simone, c’est toi qui conduis, c’est moi qui klaxonne ! » Qui a dit cela ? En quelle occasion ? Nul ne le sait. Mais l’expression est restée dans le langage sous sa forme courte : « En voiture, Simone ! » Encore a-t-il fallu qu’elle bénéficie d’un sérieux coup de pouce. Il est venu, dans les années 60, de l’animateur vedette d’Intervilles, une très populaire émission de jeu télévisé. C’est en effet par cette exclamation que Guy Lux avait pris l’habitude d’interpeller sa collaboratrice Simone Garnier. Ces deux-là, de même que leur compère Léon Zitrone, ont depuis longtemps déserté l’antenne. Bien que tombée en désuétude, l’expression n’a, quant à elle, pas totalement disparu.
En ce jour, je lève mon verre de pouilly à la mémoire de Simone, et à son audace. Mais pas seulement : j’adresse également un hommage sincère à toutes celles qui, nées comme elle à la Belle Époque, n’ont pas eu la chance de grandir dans une famille aisée et de pouvoir conduire une Rosengart dès l’aube des années 30. Ces jeunes femmes étaient blanchisseuses, couturières, femmes de chambre, ouvrières, paysannes. Et dans une société dure à bien des égards, leur mérite n’a pas été moins grand que celui de Simone Louise Pinet de Borde des Forest !
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