Philippe Descola, Par delà nature et culture
Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Gallimard, Folio essais, 2005
Normalien, auteur d'une thèse d'ethnologie sous la direction de Claude Lévi-Strauss, Philippe Descola est chargé par le CNRS à la fin des années soixante-dix d'étudier en haute Amazonie les Jivaros Achuar. Il s'est appuyé sur ces recherches de terrain pour développer une anthropologie comparative des rapports entre humains et non-humains qui dépasse l'opposition entre la nature et la culture, thème central du présent livre. Professeur au Collège de France dans la chaire d'anthropologie de la nature et directeur d'études à l'EHSS, il est membre du laboratoire d'anthropologie sociale qu'il a longtemps dirigé. Il a reçu en 2012 la médaille d'or du CNRS.
Table des matières :
Avant-propos - Première partie. La nature en trompe-l’œil - Chapitre I. Figures du continu - Chapitre II. Le sauvage et le domestique : espaces nomades - Le jardin et la forêt - Le champ et la rizière - Ager et silva - Le pasteur et le chasseur - Paysage romain, forêt hercynienne, nature romantique - Chapitre III. Le grand partage : L'autonomie du paysage - L'autonomie de la Phusis - L'autonomie de la Création - L'autonomie de la Nature - L'autonomie de la Culture - l'autonomie du dualisme - L'autonomie des mondes - Deuxième partie : Structure de l'expérience - Chapitre IV. Les schèmes de la pratique : Structure et relation - Le savoir du familier - Schématismes - Différenciation, stabilisation, analogies - Chapitre V. Rapport à soi, rapport à l'autre : Modes d'identification et modes de relation - L'autre est un "je" - Troisième partie. Les dispositions de l'Être : Chapitre VI. L'animisme restauré : Formes et comportements - Les avatars de la métamorphose - Animisme et perspectivisme - Chapitre VII. Du totémisme comme ontologie. Le Rêve - Inventaire australien - Sémantique des taxinomies - Variétés d'hybrides - Retour aux totems algonquins - Chapitre VIII. Les certitudes du naturalisme : Une humanité irréductible ? - Des cultures et des langues animales ? - Un homme sans esprit ? - Des droits de la nature ? - Chapitre IX. Les vertiges de l'analogie : La chaîne de l'être - Une ontologie mexicaine - Échos d'Afrique - Appariements, hiérarchie, sacrifice - Chapitre X. Termes et symétries - Différences, ressemblances, classifications - Quatrième partie : Les usages du monde : Chapitre XI. L'institution des collectifs : A chaque espèce son collectif - Une nature asociale et des sociétés exclusives - Des collectifs hybrides différents et complémentaires - Un collectif mixte, inclusif et hiérarchisé - Chapitre XII. Métaphysique des mœurs : Un moi envahissant - Le roseau pensant - Représenter le collectif - La signature des choses - Cinquième partie : Écologie des relations. Chapitre XIII. Les formes de l'attachement : Donner, prendre, échanger - Produire, protéger, transmettre - Chapitre XIV. Le commerce des âmes : Prédateurs et proies - la symétrie des obligés - L'entre-soi du partage - L'éthos des collectifs - Chapitre XV. Histoires et structures : de l'Homme-Caribou au Seigneur-Taureau - Chasse, apprivoisement, domestication - Genèse du changement - Épilogue. Le registre des possibles - Appendices : Remerciements - Notes - Bibliographie - Index général - Table des figures
Résumé du livre :
"Seul l'Occident moderne s'est attaché à classer les êtres selon qu'ils relèvent des lois de la matière ou des aléas des conventions. L'anthropologie n'a pas encore pris la mesure de ce constat : dans la définition même de son objet – la diversité culturelle sur fond d'universalité naturelle –, elle perpétue une opposition dont les peuples qu'elle étudie ont fait l'économie.
Peut-on penser le monde sans distinguer la culture de la nature ? Philippe Descola propose ici une approche nouvelle des manières de répartir continuités et discontinuités entre l'homme et son environnement. Son enquête met en évidence quatre façons d'identifier les « existants » et de les regrouper à partir de traits communs qui se répondent d'un continent à l'autre : le totémisme, qui souligne la continuité matérielle et morale entre humains et non-humains , l'analogisme, qui postule entre les éléments du monde un réseau de discontinuités structuré par des relations de correspondances ; l'animisme, qui prête aux non-humains l'intériorité des humains, mais les en différencie par le corps ; le naturalisme qui nous rattache au contraire aux non-humains par les continuités matérielles et nous en sépare par l'aptitude culturelle.
La cosmologie moderne est devenue une formule parmi d'autres. Car chaque mode d'identification autorise des configurations singulières qui redistribuent les existants dans des collectifs aux frontières bien différentes de celles que les sciences humaines nous ont rendues familières.
C'est à une recomposition radicale de ces sciences et à un réaménagement de leur domaine que ce livre invite, afin d'y inclure bien plus que l'homme, tous ces « corps associés » trop longtemps relégués dans une fonction d'entourage." (source : site Gallimard)
Mon avis sur le livre :
"C'est dans l'aval du Kapawi, une rivière limoneuse de la haute Amazonie, que j'ai commencé à m'interroger sur l'évidence de la nature" : l'auteur nous fait partager la découverte qui sert de fil conducteur à ce livre à partir de son immersion dans une tribu amazonienne (les Jivaros Achuar).
Il démontre comment les Achuars d'Amazonie conçoivent de manière toute différente leur rapport à l'espace et à la domestication, selon des cercles concentriques allant de la maison à la jungle mais qui ne concordent pas avec la conception occidentale d'une division entre espace domestiqué et espace sauvage.
Il propose comme nouveaux critères ceux d'intériorité et de physicalité, d'une part, et de ressemblance et de différence, d'autre part. Affirmer la ressemblance des intériorités, comme font l'animisme et le totémisme, c'est dire que les non-humains ont la même âme et les même valeurs que les humains, ils partagent avec eux la subjectivité, la conscience, la communication, la conscience de soi, la mémoire, l'intentionnalité, la mortalité et la connaissance (y compris la connaissance de la mortalité).
Affirmer la ressemblance des physicalités, comme font le totémisme et le naturalisme, c'est dire que les non-humains ont non seulement des corps proches mais encore des modes d'existence, des régimes alimentaires et des modes de reproduction similaires.
En ce qui concerne les modes de relation, Descola propose de distinguer deux types, gradués en positives, neutres et négatives : la prédation, l'échange, le don, la transmission, la conservation et la production.
Plus qu'à une "lecture", c'est à une véritable "Gedenkenexperiment", à une "expérience de pensée" que nous convie Philippe Descola, une expérience que ne permet pas la simple lecture de Montaigne ni même de Claude Lévi-Strauss qui a parfois tendance à faire des "peuples premiers" des membres de la tribu structuraliste.
Comme l'a montré Peter Sloterdijk à propos de la notion de "liberté" et Michel de Certeaux à propos de la "fable mystique", il s'agit de déposer nos lunettes de "sujets de la science" (Lacan) pour admettre enfin, en essayant de nous mettre vraiment à leur place au lieu de projeter sur eux nos propres structures intellectuelles, que les hommes ne pensent pas partout et toujours de la même manière et notamment que la distinction tranchée que nous faisons entre nature et culture (les cailloux, les plantes, les animaux font partie de la nature, les hommes sont du côté de la culture) nous est propre et ne permet ni de comprendre les "peuples premiers" (de construire une anthropologie décentrée, débarrassée des préjugés colonialistes et européocentristes), ni les hommes qui ont peint les grottes de Lascaux.
Citation :
"L'analyse des interactions entre les habitants du monde ne peut plus se cantonner au seul secteur des institutions régissant la vie des hommes, comme si ce que l'on décrétait extérieur à eux n'était qu'un conglomérat anomique d'objets en attente de sens et d'utilité. Bien des sociétés dites "primitives" nous invitent à un tel dépassement, elles qui n'ont jamais songé que les frontières de l'humanité s'arrêtaient aux portes de l'espèce humaine, elles qui n'hésitent pas à inviter dans le concert de leur vie sociale les plus modestes plantes, les plus insignifiants des animaux. L'anthropologie est donc confrontée à un défi formidable : soit disparaître avec une forme épuisée d'humanisme, soit se métamorphoser en repensant son domaine et ses outils de manière à inclure dans son objet bien plus que l'anthropos, toute cette collectivité des existants liée à lui et reléguée à présent dans une fonction d'entourage. Ou, pour le dire en termes plus conventionnels, l'anthropologie de la culture doit se doubler d'une anthropologie de la nature, ouverte à cette partie d'eux-mêmes et du monde que les humains actualisent et au moyen de laquelle il s'objectivent." (p.18-19)
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