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La mauvaise réputation

La Malnoue finira en odeur de sainteté.

Il était une fois dans un village de Sologne, une femme repoussée par tous, tant pour sa saleté que pour le mystère qu’elle dégageait. Les uns la disaient sorcière, les autres se contentaient de la fuir comme la peste. Tous en tout cas, passaient leur chemin à son approche. Il est vrai que l’ostracisme dont elle était victime l’avait poussée à se négliger si parfaitement qu’une odeur repoussante exhalait de sa personne.

Bien sûr, cette pauvre femme vivait à l’écart du village, entretenant un jardin et quelques chèvres, des poules et des lapins afin de n’avoir rien à solliciter des autres, ceux-là même qui pinçaient le nez et tournaient le dos à son approche. Elle en avait pris son parti, s’enfermant sans doute elle-même dans un comportement qui la mettait consciemment en marge de sa communauté villageoise.

Pourtant, parfois, elle recevait des visites clandestines. C’était toujours à la tombée de la nuit, après bien des détours que des personnes venaient frapper à sa porte. C’est qu’il leur fallait une bonne raison pour affronter ainsi l’odeur de la dame. À chaque fois, c’était pour ses dons inhabituels que cette visite avait lieu, subrepticement, rapidement, le plus discrètement possible. Personne d’ailleurs ne se vantait jamais d’avoir eu recours à ses étranges services.

Ils étaient de nature mystérieuse, si mystérieuse d’ailleurs que monsieur le curé en personne, un jour, en chaire, avait fustigé cette diablesse qui en une autre époque aurait fini sur le bûcher de l’inquisition. Paroles prémonitoires d’un être aussi borné qu’intolérant ou bien menace à peine voilée. Chacun se signait à son passage, donnant sans doute raison à ce triste ministre d’un Dieu qui avait laissé la miséricorde en cours de route.

C’est la Malnoue qui faisait preuve de charité chrétienne, en dépit de la détestable réputation qui lui était faite, elle ne refusait jamais de porter assistance à qui venait réclamer son aide, le rouge de la honte aux joues. Elle savait bien des secrets de la nature, préparait des décoctions dont elle avait le secret pour soulager là où le médecin avait échoué. Elle rendait également des menus services avec des aiguilles à tricoter qui évitaient d’autres layettes. Elle barrait le feu et faisait disparaître les verrues en apposant ses mains sur la partie en souffrance.

Les villageois avaient tous remarqué du reste qu’en dépit d’une crasse innommable, la Malnoue avait toujours les mains propres, les ongles curés, la peau douce en cet endroit précis. Une délicatesse de sa part, le souci sans doute de ne pas perdre ses pouvoirs magnétiques et la preuve qu’elle aurait été capable de ne pas tant se négliger par ailleurs si elle avait reçu un peu plus de considération.

Car, une fois son office effectué, une fois son œuvre accomplie, elle recevait certes quelques récompenses pécuniaires, à la seule appréciation de ses clients d’occasion, sans doute davantage pour le paiement de son silence que pour ce qu’elle avait pourtant fait avec une efficacité jamais démentie. Elle n’était pas dupe et n’entendait jamais le plus petit remerciement. Les gens sont si ingrats !

Elle en avait soulagé des peines, elle en avait repoussé des mauvaises surprises, des maux insupportables, des souffrances sans que quiconque ne se soucie ensuite de ses douleurs à elle, qui, certes, n’étaient pas physiques ! Elle en avait pris son parti, n’attendait plus rien d’eux. La mauvaise réputation vous colle à la peau et rien ne permet de décoller les yeux de ceux qui montrent du doigt ceux qui vivent autrement.

C’est curieusement en odeur de sainteté que la Malnoue acheva son parcours dans cette vallée de larmes. Un soir, le tocsin résonna dans la petite bourgade, le feu avait pris dans une chaumière, rendant vite impossible toute approche dans la fournaise. Pourtant, il y avait là, trois enfants coincés à l’étage dont on entendait les cris de douleur sans que personne ne puisse venir à leur secours. Les habitants étaient là, devant ce terrible spectacle, hébétés et impuissants. Leurs pauvres seaux d’eau étaient de peu de recours devant une telle tragédie.

La Malnoue s’approcha, elle pénétra dans les flammes sans un regard pour ceux qui étaient restés les bras ballants devant la scène. Elle monta l’escalier encore praticable. Protégée par sa gangue de crasse, elle supportait vaillamment les assauts du feu. Elle revint une première fois, portant les deux plus jeunes, qu’elle avait enveloppés dans une couverture pour leur permettre de supporter le trajet.

Sans un mot, elle retourna dans l’enfer. Ces cheveux étaient brûlés, ses joues montraient déjà les stigmates de l’horreur. Ses mains avaient été les premières naturellement à souffrir des meurtrissures du feu. Elles n’étaient plus que plaies et charpies. Nonobstant des souffrances insupportables, elle retourna dans la fournaise et revint, à bout de force et de vie, porteuse de l’aîné.

Elle n’eut que le temps de déposer l’enfant dans les bras de monsieur le curé, ironie du sort, celui-là la même qui lui avait promis les flammes de l’enfer, avant que de rendre son dernier souffle dans un étrange silence. L’instant d’après, un vacarme épouvantable accompagna l’effondrement de la maison.

Quelques jours plus tard, toute la communauté sans exception se retrouvait entassée dans une église pleine à craquer, pour honorer la mémoire de l’héroïne. Monsieur le Recteur dans ses habits sacerdotaux n’avait pas lésiné sur le décorum, la maison de Dieu était couverte de cierges pour célébrer la gloire de celle qui était morte en martyre .

Il monta en chaire pour lire une épître, là même où il avait voué la malheureuse à son destin futur. Les fidèles, oublieux alors des mauvaises paroles qu’ils tenaient tous contre celle qui un jour ou l’autre leur avait rendu service, avaient la mine confite, agenouillés, en train sans doute de confesser au très grand leurs fautes passées dans le secret de leur cœur.

Soudain, les portes de l’église s’ouvrirent en grand, un énorme coup de vent fit frissonner tous les participants. Au loin, le cri d’une chouette glaça les sangs de ces braves gens. Le curé se signa par trois fois. C’était trop tard, le malin était passé par là, tous les cierges avaient été soufflés dans le même instant.

On se dépêcha de mettre en terre la malheureuse, la Malnoue ne dut de pénétrer dans l’enceinte sacrée que par l’acte de bravoure qui fut le sien. Point de pierre tombale, personne n’avait songé à la remercier même après ce sacrifice magnifique. Elle reposait dans le carré des indigents, la honte n’étouffe pas ces drôles de paroissiens.

Le temps passa, le printemps revint. Là où la Malnoue reposait pour l’éternité, des plantes poussaient sans que personne n’ait songé à fleurir sa tombe. C’était des aloès, plantes réputées pour soigner les brûlures. Chacun comprit enfin que ce message venait du ciel et non des flammes de l’enfer. C’était sans doute un peu tard, mais c’est souvent ainsi. Ne blâmons pas ces braves gens, les jugements sont souvent hâtifs, les mauvaises réputations ne se défont pas en un jour !

Reconnaissancement sien.

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