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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Voltaire, sur la gouvernance philosophique

Voltaire, sur la gouvernance philosophique

Voltaire écrit à Frédéric de Prusse. Extrait et remarques.

Penchons-nous sur l'extrait :

Voltaire, dans une lettre à Frédéric de Prusse, a écrit : Souffrez que je vous dise qu’il n’y a point d’homme sur la terre qui ne doive des actions de grâce au soin que vous prenez de cultiver, par la saine philosophie, une âme née pour commander. Croyez qu’il n’y a eu de véritablement bons rois que ceux qui ont commencé comme vous pour s’instruire, par connaître les hommes, par aimer le vrai, par détester la persécution et la superstition. Il n’y a point de prince qui, en pensant ainsi, ne puisse ramener l’âge d’or dans ses États. Pourquoi si peu de rois recherchent-ils cet avantage ? Vous le sentez, monseigneur : c’est que presque tous songent plus à la royauté qu’à l’humanité ; vous faites précisément le contraire. Soyez sûr que, si un jour le tumulte des affaires et la méchanceté des hommes n’altèrent point un si divin caractère, vous serez adoré de vos peuples et chéri du monde entier. Les philosophes dignes de ce nom voleront dans vos États, et, comme les artisans célèbres viennent en foule dans le pays où leur art est plus favorisé, les hommes qui pensent viendront entourer votre trône.

Dans l'immédiat, deux choses :
1. Malgré ses louanges à Frédéric de Prusse, Voltaire finira chassé de sa cour au prétexte d'impertinence ;
2. Malgré les études de philosophie d'Emmanuel Macron, il ne bénéficie pas des conséquences pronostiquées par Voltaire à Frédéric de Prusse.
Pourquoi ?

1. Probablement parce que les gouverneurs n'endurent pas trop qu'on prétende avoir - et surtout qu'on ait effectivement - des préceptes les concernant, car c'est alors comme gouverner le gouverneur, qui - vaniteusement - préfère se sentir LE gouverneur. Une éminence grise et, pire, une éminence blanche, finalement lui fait ombrage.
2. Possiblement parce que Voltaire a tort, mais certainement aussi - tout simplement - parce que les préceptes ne sont pas transposables à des conditions social-historiques différentes ; mais aussi, possiblement, que Macron n'est pas si philosophe - au moins au sens où Voltaire l'entendait.
D'où d'ailleurs que : 3. De manière générale, les circonstances social-historiques contiennent une imprédictibilité, une invérifiabilité et une irrépétabilité, à vous faire rager les plus popperiens entre les scientifiques.

Mais commentons :

Voltaire, dans une lettre à Frédéric de Prusse, a écrit : Souffrez que je vous dise qu’il n’y a point d’homme sur la terre qui ne doive des actions de grâce au soin que vous prenez de cultiver, par la saine philosophie, une âme née pour commander.

Cela présuppose que la philosophie (saine par définition, si du moins elle est bien la philosophie à l'esprit voltairien) serait à même, justement, d'exalter les facultés dirigeantes, de "cultiver une âme née pour commander".
Auquel point, il faut se demander si cette âme est "née pour commander" par sa position sociale (héritage du trône) ou par une vertu naturelle, personnelle, innée, qu'il lui suffit d'entretenir ? ... Le texte ne permet pas exactement d'en décider, mais le genre de l'éloge induit à penser que Voltaire louange encore Frédéric de Prusse, sans permettre d'ignorer ce fait politique que ce même Frédéric hérita de sa position. Néanmoins, élément déterminant penchant pour la première option : l'évocation de "l'âme", convoquant la valeur intrinsèque, indépendamment du régime héréditaire.

Il se peut, sous un angle, que Voltaire crût en Frédéric de Prusse ; il se peut, de plus, qu'il cherchât à se placer auprès de lui (comme on voit à la fin du texte) ; enfin, il se peut qu'il escomptât influer sur sa politique en l'encourageant ainsi - et peut-être les trois à la fois.
En tout cas, sur le troisième point, c'est en effet en valorisant son élève, qu'un professeur lui donne le courage de réussir ; c'est donc en valorisant son "préceptaire" Frédéric de Prusse, que le précepteur Voltaire favorise l'émergence du despote éclairé qu'il escompte.

Pour l'anecdote, notre bon président semble adopter une telle posture que celle du despote éclairé. Or il se peut bien que, trois siècles après Voltaire, siècles marqués par un démocratisme fort tocquevillien (Alexis de Tocqueville, de la Démocratie en Amérique), le despotisme - se voudrait-il éclairé - ne passe évidemment pas aux yeux de citoyens perplexes, voire rétifs.
Et, ce, d'autant plus que son éclairement n'est pas garanti, devant d'autres formes d'éclairages inhérents aux instructions diverses (jusqu'au point où, en fin de comptes, on juge complotiste et fake tout ce qui n'appartient pas au wild wild mainstream ... posture évidemment fort peu éclairée, ni a fortiori éclairante).

Mais continuons :

Voltaire, dans une lettre à Frédéric de Prusse, a écrit : Croyez qu’il n’y a eu de véritablement bons rois que ceux qui ont commencé comme vous pour s’instruire, par connaître les hommes, par aimer le vrai, par détester la persécution et la superstition. Il n’y a point de prince qui, en pensant ainsi, ne puisse ramener l’âge d’or dans ses États.

Le projet voltairien ressort donc d'un exercice de style philosophique originel, à savoir la détermination du meilleur règne.
Or, ce projet est bel & bien originel, présocratique, puisqu'il était déjà celui de Thalès de Milet, dans ses réflexions à caractère politologique.
Mais chez Platon, évidemment, le statut du philosophe fait éminemment question dans la République, puisqu'il prétend subjuguer le religieux au profit d'un tel roi-connaisseur (philosophe).
Et chez Voltaire, ce qui entre dans le champ de la valeur royale (le bon roi) tient dans ces quelques points : l'instruction, la connaissance des hommes, l'amour du vrai, la détestation de la persécution et de la superstition.

Quant à l'instruction, l'amour du vrai et la détestation de la superstition, Voltaire "est" platonicien, en ce sens que Platon a la préséance historique. Mais, plus généralement, Voltaire est assurément philosophe, de ce que la philosophie consiste en une forme de connaissance.
Voltairiennement, elle implique - cette connaissance - de nous structurer intérieurement "l'âme" (instruction), de nous offrir de préférer le vrai (c'est-à-dire, pour commencer, vouloir/ et se fonder sur/ la vérité, tout en la supposant déterminable, déterminée & déterminative réellement), sur quoi donc cette connaissance implique de nous éloigner des ir- ou sur-réalités (des superstitions) or c'est logique, après avoir ainsi défini le vrai et sa possibilité de nous bâtir fermement.

Mais Voltaire ajoute encore, politiquement, 1. la connaissance des hommes et 2. la détestation de la persécution.
Le premier point est populaire, le second point est humanitaire, et il n'est pas dit qu'on les retrouve chez Platon, quoique la République platonicienne tende vers la gestion humaine pacifique (nécessitant, de ce fait, une forme de connaissance des hommes partie de la philosophie du vraiment instruit, ainsi qu'un rejet de la persécution gratuite).

Finalement en effet, les œuvres de Voltaire - telles que l'Histoire des voyages de Scarmentado dont un extrait est commenté là (suivre) - plaide dans le sens d'une connaissance fort populaire des hommes.
Or, Voltaire n'était pas un noble quoiqu'il les fréquenta en son temps : il ressortait de cette bourgeoisie précapitaliste rentière qui lui permit tranquillement de voir du pays, et finalement rédiger ses contes philosophiques (par exemple), sans parler de ses tragédies exotiques (quoiqu'essentiellement par instruction).
En somme, il s'agit moins d'en avoir une connaissance gestionnaire (managériale) qu'une connaissance belle & bien populaire, au sens où la fréquentation du commun des mortels (telle qu'il arrive, par exemple, au personnage de Candide ou de l'Ingénu) renseigne le bon roi sur les cordialités et praticités quotidiennes, us et coutumes, mœurs et émois, surdéterminant littéralement ses possibilités à lui d'être reconnu et de mettre en œuvre des politiques concrètes in situ - c'est-à-dire social-historiquement pertinentes (un point sur lequel pèche littéralement Emmanuel Macron et ses cercles, à vouloir rééduquer la France - quoique ça la décontenance).

Le deuxième élément donc, humanitaire, chez Voltaire, est la détestation de la persécution - car persécuter pourrait aussi bien ressortir d'une sociopolitique sélective, comme c'est actuellement le cas de nos militances en Vertu du Bien, et de la rééducation gouvernancielle dans le sens de l'entrepreneurisme (les deux, d'ailleurs, s'associent sans problème).
C'est-à-dire que nos idéologies contemporaines, humanitaires de façade (présomptueusement voltairiennes) sont concrètement de nouvelles espèces de persécution.
Mais sur ce point, il se peut que Voltaire se leurrait : car c'est à croire que la bête humaine a besoin de bouc-émissaires (à la René Girard) pour être groupalement.

Voltaire, dans une lettre à Frédéric de Prusse, a écrit : Pourquoi si peu de rois recherchent-ils cet avantage ? Vous le sentez, monseigneur : c’est que presque tous songent plus à la royauté qu’à l’humanité ; vous faites précisément le contraire.

C'est-à-dire que la majorité des gouverneurs s'affaire plus, craintivement, à sauver sa prééminence jusqu'à la paranoïa, qu'à servir les peuplements.
Question : jusqu'à quel point une démarche sociopolitique bien-intentionnée et même apparemment attentionnée, mérite qu'on l'approuve sans réserve ?

Voltaire, dans une lettre à Frédéric de Prusse, a écrit : Soyez sûr que, si un jour le tumulte des affaires et la méchanceté des hommes n’altèrent point un si divin caractère, vous serez adoré de vos peuples et chéri du monde entier. Les philosophes dignes de ce nom voleront dans vos États, et, comme les artisans célèbres viennent en foule dans le pays où leur art est plus favorisé, les hommes qui pensent viendront entourer votre trône.

Où l'on découvre que Voltaire défendait avant tout son type de vie, car il escompte essentiellement que des personnes comme lui trouvent une civilité où être sans inquiétude. Mais ce ne serait qu'à la condition que "le tumulte des affaires et la méchanceté des hommes n’altèrent point un si divin caractère".
C'est-à-dire à la condition que le gouverneur, pour être et rester bon, ne devienne pas affairiste, entre autres.
 

Mal'LibertéPhilo


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