• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile


Commentaire de phyletta

sur La révolution des fonctionnaires


Voir l'intégralité des commentaires de cet article

phyletta 1er juin 2007 12:12

Bonjour, j’ai lu avec attention l’ensemble des commentaires, étant moi même fonctionnaire, qui plus est dans l’administration des douanes, secteur hautement décrié ces temps ci.

Globalement, je suis vraiment démoralisée de voir à ce point comment on peut taxer d’entrée de jeu les fonctionnaires de fainéants. Cela dure depuis 1974, lorsque R. BARRE avait annoncé qu’ils étaient des nantis ! décidemment, lorsque la croissance va, les fonctionnaires sont des « gagne-petit », lorsqu’elle s’essouffle, ce sont des privilégiés.

je suis fonctionnaire, paraît il cadre supérieur (il faudrait comparer le salaire par rapport à celui des cadres du Privé !), je n’ai pas eu la chance, pour cause de concours, toujours assorti de mobilité (surtout pour les cadres supérieurs) de rejoindre ma région d’origine.

premier sacrifice : je viens des hautes pyrénées, lorsque j’ai passé le concours d’entrée, on m’a accueillie à l’école en disant « bonjour. Vous pouvez tracer une frontière entre le Havre, Paris Mulhouse ».

Pour ce qui me concerne, c’est vrai, voilà 25 ans que j’officie, je n’ai jamais pu redescendre en dessous de la Loire.

Moralité : faut attendre d’être vieux pour obtenir une mutation ?

1992 : j’ ai passé une sélection professionnelle pour accéder au grade supérieur : me voilà Inspecteur principal, bombardée... à LONGWY, joli port de pêche comme on dit : il n’y avait que deux femmes, dont moi, dans ma session ; bref, à six mois du 1er janvier 1993 (ouverture des frontières), on balance les deux seules femmes du stage, en premier poste, dans une direction (nancy) « appelée à être sinistrée » socialement, un cadre supérieur en moins (sur toute la direction), tout le staff changé à 6 mois du 1er janvier : affectée en juillet, en septembre de la même année, j’étais la plus ancienne de la direction, avec ma collègue... où sont passés les cadres « expérimentés » pour faire front ?

Sur mes conditions d’affectation : n’étant pas de nature très optimiste, et étant persuadée que j’allais être collée, j’avais fait bâtir une maison dans le nord de la France : j’y suis restée 15 jours, mutée en « célibataire forcée » (pour l’exemple, on n’allait pas muter mon mari aussi dans une région vouée à des suppressions d’emploi massives, malgré les résultats contentieux engrangés sur cette frontière (stups, manquements aux obligations déclaratives, je crois d’ailleurs que pour notre malheur futur, on a du embêter un peu trop de députés qui revenaient du Luxembourg...). bref, je me retrouve seule à Longwy laissant mon mari et ma gamine de 18 mois à Lille.

Logement de fonctions : une bâtisse pourrie, trop grande pour une personne seule ; je l’ai refusée et j’ai atterri à la caserne de gendarmerie de Mont St martin (F3 avec paiement du loyer, bien sûr), sise dans « un quartier sensible ».(je ne rentrais jaamis seule à pied,).

Le retour à Lille en fin de semaine (quand je n’étais pas de permanence, et il m’est arrivé d’y rester trois semaines d’affilée, vu qu’il manquait un cadre sup dans cette Direction), se faisait à mes frais, et mes risques personnels : pour gagner du temps le vendredi soir, je prenais l’autoroute via la belgique, donc, si j’avais un accident de circulation, je ne pouvais pas être couverte par « l’accident de service » vu que je circulais à l’étranger. Quant aux trains, je prenais celui de Longuyon pas avant 20h le vendredi soir (arrivée à minuit) pour éviter les « appelés du contingent » passablement éméchés qui revenaient de leur service militaire (jeune femme seule dans un train farcis de jeunes appelés...c’estd ela provocation m’avait dit le chef de gare) de tout cela bien sûr, l’administration ne m’en avait rien dit lorsqu’elle m’a annoncé mon affectation.(sans rire, j’ai eu 30 secondes de réflexion, j’en ai profité pour demander s’il y avait un autre poste possible, vu que j’étais reçue 6ème), on m’a dit que non. Bon ; donc,j’étais d’accord.

Au bout de deux ans, chouette, j’ai le droit de demander une mutation. Ce que je fais, il y a des postes à Nantes, c’est au bord de la loire, une partie de ma famille y est. Une maison cela se revend... je postule... j’en profite pour annoncer à mon directeur (qui m’avait demandé, en arrivant, de ne pas lui claquer un congé de maternité, compte tenu du sous effectif de cadres dans la direction) que j’attends un second enfant, mais que, comme promis, mon congé de maternité sera « pour l’autre Directeur ». j’attends. Au bout de quelques semaines, la direction du personnel m’annonce qu’effectivement je peux être mutée, mais qu’il n’y a pas de place pour mon mari.

je les crois. je retire spontanément ma candidature, et je suis « rapatriée » à Lille, sur un poste qui ne m’engage pas, mais enfin, je n’ai guère le choix.

Trois mois plus tard, j’apprends, de manière tout à fait officielle, que quatre inspecteurs (dont trois plus jeunes que mon mari) sont mutés à Nantes.

Explication officieuse celle-ci : dans la DR de Nantes, il y avait déjà une femme à la tête de la division d’angers. quand le DR du coin a su que j’étais la première sur la liste, appelée qui plus est à prendre un congé de maternité, il a opposé son véto à ma nomination. Et il a eu gain de cause.

cela, c’est pour expliquer le si faible nombre de femmes cadres supérieurs dans l’administration, entre autres.

j’arrive donc à Lille : n’importe qui à ma place serait content : je retrouve ma maison, ma famille, je n’ai plus de frais : et ben non, il y un os, j’aime mon boulot, et je n’ai pas du tout aimé celui qui m’a été confié, parce que j’étais une femme : la communication essentiellement, quelques réunions en Préfecture (celles que les autres ne voulaient pas honorer de leur présence, pour cause de travail « plus important » à faire...)

ce système va durer jusqu’à ce que la première femme soit nommée directrice interrégionale, hé oui ! le partage du travail s’effectue alors de manière plus équitable, elle a su valoriser les gens, au lieu de les cantonner dans des fonctions subalternes du genre, « le dernier arrivé est le dernier servi » (sauf pour les permanences à Noêl et nouvel an, où là, que vous aiyez des enfants ou pas, vous y avez droit !)

sauf qu’elle part, mutée, au bout de 14 mois. je suis très déçue, et inquiète , j’ai eu peur de « retomber » dans un job cantonné « au service poubelle » après son départ. Alors j’ai sacrifié ma maison, mes intérêts financiers, pour partir à 400 KM, avec armes et bagages et retrouver un poste « plus actif ». ce n’est pas beau la motivation ?

Arrive le temps des « promotions » : pour obtenir le grade supérieur, il faut bouger... je suis donc restée deux ans seulement, puis j’ai sollicité un poste qui me permettait d’accrocher le grade (j’avais le choix entre deux postes, un dans le nord ouest, et l’autre dans le nord est), (400 Km de plus), avec au passage, un troisième enfant ;

Depuis je suis toujours au même endroit : mon mari a pu me rejoindre (c’est déjà beau), je suis restée à 100% malgré les trois gamins (l’administration rechigne à « officialiser » les temps partiels de ses cadres supérieurs, même lorsque c’est pour maladie, et j’en connais,ce n’est jamais publié au bulletin officiel, « c’est mauvais pour l’exemple »).

Bref, depuis que je suis rentrée dans l’administration, j’ai changé de poste environ tous les trois ans, et depuis que je suis cadre supérieur, c’est systématiquement assorti d’un déménagement. Du coup, je suis obligée de ma calmer maintenant à cause des gamins, comme tout le monde.

Et la guigne arrive (rappelez vous que c’est la fonction publique) : Arrivée donc sur le dernier poste, je tombe sur un directeur qui s’entend très bien avec moi, trop peut être. du coup, je me sens obligée de lui mettre (maladroitement sans doute) les points sur les I, au bout de quelques mois (ai je trop tardé à le faire ?) du genre « je ne voudrais pas avoir le sentiment d’être favorisée par rapport à mes autres collègues ». Attitude rarissime chez un cadre supérieur, qui par définition, ne peut faire la différence entre loyauté et servilité.

Pour m’être opposée aussi ouvertement à ce directeur (je passe le détail des humiliations subies, qui je pense m’auraient permis d’aller devant un tribunal pour harcèlement moral)j’ai eu 5 centièmes de moins à ma notation : pour un cadre supérieur, c’est une sanction rédhibitoire (avec le recul en rigolant, j’ai dit que je me retrouvais sur le même banc que les alcooliques, les corrompus etc) : l’administration, gênée sans doute, m’en a rendu 4 d’office, sans que je fasse le moindre recours, sur les conseils de mon premier directeur, avec lequel j’ai toujours conservé de bonnes relations. mais sous la promesse que je n’en fasse pas après :

Pourquoi ? parce qu’en faisant un recours, ce n’était plus mon cas personnel contre un Directeur, c’était moi contre l’adminsitration : le Directeur en question n’a jamais été désavoué (il faudrait pour cela que l’adminsitration fusse courageuse) bien au contraire il a eu « sa carotte » de fin de carrière, pour s’en débarraser en quelque sorte (aux frais du contribuable bien sûr), c’est plus commode, plus rapide, cela évite à l’adminsitration de reconnaître ses erreurs : le principe hiérarchique veut que, lorsqu’il y a divorce administratif entre deux cadres, c’est toujours aux torts exclusifs du moins gradé. Et l’administration est gagante : pas de linge sale lavé au grand jour, une réhabilitation partielle me concernant, sans aller jusqu’au bout de sa logique pour ne pas désavouer ouvertement un directeur,principe hiérarchique oblige...

Pourtant, les torts ont été partagés dans cette affaire là, pardon encore d’évoquer mon petit cas personnel, mais cela en dit long sur le fonctionement adminsitratif : sur le fond, pour lui,(ce qui me semble le plus grave,) sur la forme, pour moi, dans la mesure où plus la situation empirait, plus j’ai mené une opposition frontale, peu diplomate, bref, j’ai du quelque part chercher le bâton pour me faire battre...l’administration n’aime pas le bruit, n’aime pas qu’on la pousse à trancher....

dans l’administration, un dicton circule : lorsqu’on pose un problème (du genre : un directeur adjoint doit il se soumettre à tous les « souhaits », voire « caprices » du directeur interrégional sans broncher"), on devient un problème.

c’est très vrai, j’en suis la preuve vivante.

maintenant, j’ai 48 ans, je sais que je ne serai jamis promue directrice (comment pourrait on faire confinace à quelqu’un qui est capable de dire non ?), et il me reste un paquet d’années à travailler sans aucune perspective.

Ceci pour rejoindre partiellemnt le commentaire de Monsieur Texier.

j’ai tout de même changé de fonctions, (je trouve salutaire de se remettre en question, tous les 5 ans, on devrait tous changer de poste), je gôute aux joies de la performance, et je trouve très injuste que la Douane ait été à ce point montrée du doigt pendant la campagne électorale : donc le savoir faire devrait s’accompagner du faire savoir, et là, on est nul !

8500 douaniers (en Surveillance, ceux qui sont en uniforme) ont « fait » - pour s’occuper, parce que depuis l’ouverture des frontières, c’est bien connu, il y a de moins en moins de fraudes) 240 tonnes de tabac de contrebande, quelques 60 millions d’euros de contrefaçons, 3, 2 tonnes de cocaïne, 51 tonnes de résine de cannabis (et encore, l’objectif était de 85 !), 1, 4 millions de doses et cachets d’excstasy etc. ; les services civils ont encaissé quelques 66 milliardsd’euros de recettes fiscales ; pour 2006 seulement. (voyez le bilan 2006 présenté par JF COPE en mars 2007, accessible sur le net)

Bon, nous avons 81 indicateurs de performance. A mon avis, c’est trop, trop d’indicateurs tue les indicateurs, d’autant que certains se contredisent : ex : fluidifier le trafic (donc moins de contrôle, moins de temps perdu au dédouanement) mais en même temps, il faut qu’un agent affecté au contrôle rapporte en moyenne 50 000 euros par an (il est loin de les gagner : un agent de constatation gagne environ 1300 euros nets par mois, primes incluses).

Pourtant, c’est bien la performance, avoir des objectifs n’a jamais tué personne, bien au contraire. mais là où le bât blesse, c’est que j’ai vraiment l’impression que, quelques soient nos résultats, et là où je suis, ils progressent continuellement depuis trois ans, preuve que les agents ont bien su adapter leurs méthodes de travail - de toute façon, on se fera « exterminer », en tant que fonctionnaires, puis en tant que douaniers, qui n’ont plus rien à faire depuis 1993, c’est bien connu.

Dommage qu’il n’y ait plus de gens du terrain à la tête de notre direction générale (plein d’énarques tout partout !) : en 1993, parce qu’ils avaient peur d’être désoeuvrés, la Douane a ramassé plein de missions à droite et à gauche, du genre « le retrait des fruits et légumes » (dons aux oeuvres charitatives sous contrôle douanier) ou, la petite dernière, « le contrôle des poissons sous taille » ;

Bref on a 434 missions à peu près, bien que le discours officiel soit « le recentrage sur le coeur de métier ». Quid ????

Bon, c’est beaucoup trop tard maintenant, et avec des si, c’est toujours plus facile de refaire l’histoire : mais pourquoi n’ a t on pas constitué une véritable douane européenne, ce serait tellement plus efficace dans la lutte contre la fraude, car notre coeur de métier, c’est celui-là ! Il faut l’assumer sans complexe, au lieu d’inventer des pans entiers d’activité du genre « le pôle action économique, la douane au service des entreprises, la douane et ses procédures domiciliées simplifiées » etc etc. Allons, la plus grande simplification que l’on puisse offir aux entreprises, c’est de disparaître ! Il fallait assumer notre rôle de bras séculier du ministère des finances, comme la garde du même nom en Italie, au lieu de faire perpétuellement le grand écart entre « la douane au service des entreprises » et la lutte contre la fraude : voyez l’association « DEFIS » mise en place par un de nos éminents énarques : dans le cadre de ce contrat, la douane d’une part « fiabilise »l’entreprise en ne lui infligeant qu’un taux très très modéré de contrôles", en échange, l’entreprise lui communique toute information qu’elle serait susceptible d’avoir sur d’éventuels trafics... de stups ou autres... cela n’a jamais marché ! soyons sérieux et réalistes : pour son image de marque, son commerce, la fidélisation de sa clientèle, jamais une entreprise ne reconnaîtra être de près ou de loin, à son corps déféndant, impliquée même de façon très indirecte dans un tel trafic ! pas de mélange des genres, c’est malsain !

Mais enfin, tout cela pour vous dire qu’il y a bien des choses à revoir dans la fonction publique, de la parité jusqu’à la motivation, la lisisbilité des politiques suivies ; je retiens, comme j’ai fini par beaucoup aimer mon travail, que la douane est fort mal connue et mal appréciée ; au fait, savez vous qu’on évalue à environ 60 milliards d’euros la perte sèche (en fraudes fiscales)de l’ouverture des frontières ? système déclaratif oblige, on déclare ce que l’on veut, et il n’y a plus de douaniers pour vérifier de façon aléatoire, si c’est exact ou pas.

je ne suis pas une nostalgique des temps révolus et ne demande pas à ce titre de remeubler les frontières (vastes billevesées, la fraude vole sur le net, entre autres !!!). je pense que la Douane souffre principalement de deux choses :
- de ne pas avoir su communiquer régulièrement sur ses résultats, or nous vivons dans une société de communication où le faire savoir prime sur le savoir faire
- d’avoir raté des positionnements stratégiques en 1993, en refusant d’assumer certaines missions qui nous auraient maintenus partiellement en frontière, parce que trop sécuritaires (c’est ainsi que le contrôle d’identité a été confié principalement à la Police de l’Air et des Frontières), alors que la plupart des saisies que nous opérons ont une connotation « sécuritaire » : le tabac de contrebande alimente les grands réseaux maffieux ou terroristes, les stups, les contrefaçons etc...), et d’avoir manqué le RDV européen avec les autres douaniers de l’Union (maintenant c’est trop tard, il n’y a plus une seule administration douanière qui ait les mêmes secteurs ou compétences que nous !). On a fait la vierge effarouchée, chaque fois que le préfet (ministère de l’intérieur) nous faisait les yeux doux, en mettant en avant notre rôle fiscal...mais c’est quoi, la fiscalité des stups ?

Ce message est long. n’en retenez qu’une chose : on peut être fonctionnaire et aimer son boulot, même si, quand on est femme cadre supérieur dans un monde masculin très fermé, ce n’est pas rose tous les jours ! malgré tout, j’aime mon métier, même si j’en ai par moment vraiment souffert. Et soyez plus modérés vis à vis des fonctionaires, et des douaniers...si déjà celui ou celle qui a le courage de tout lire pouvait tempérer son jugement en ce sens, ce sera déjà ça !

Et rassurez vous, : même sans aucune perspective de carrière (faut être très souple pour cela, ce n’est pas mon fort), je continuerai à bosser, franchement, je plains les gens qui s’ennuient à leur travail, mêm si je pense très hônnêtement que, si j’avais su prendre plus de recul par rapport à mon boulot, j’aurais eu sans doute des réactions plus tempérées vis à vis de mon supérieur hiérarchique, et peut être que l’Administration m’aurait alors complètement réhabilitée, peut être... ! Et je médite ceci chaque jour : si ce qui m’est arrivé avec un certain directeur m’était advenu dans le privé, aurais je eu les mêmes scrupules à tenir tête ainsi ? dans le privé, j’aurais été virée, avec trois gosses à nourrir. Dans le public, j’y ai laissé « seulement » ma carrière. Alors, que faut il en conclure, sur la fonction publique ?


Voir ce commentaire dans son contexte





Palmarès