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Commentaire de Adamantane-Freemen69

sur Faut-il en finir avec la croissance ?


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Adamantane-Freemen69 Adamantane-Freemen69 19 août 2006 17:49

Comme disent les sémanticiens, il y le territoire...et les cartes. Pour ce qui est du concept de croissance, il présente à mon avis la particularité de faire partie de ces notions qui sont à la fois carte et territoire.

- 1-Comme carte ; la notion de croissance est une abstraction destinée,pour beaucoup, à évoquer au moins deux phénomènes distincts : le progrès et le développement.

Le progrès implique une changement d’état qualitatif : l’adolescent impubère devient un adulte génétiquement capable de se reproduire ; une société dont la valeur centrale est la soumission à une loi d’origine présumée divine devient une société qui pratique ouverture transculturelle et tolérance lucide...

Le développement implique un accroissement quantitatif : il y a deux fois plus de carpes dans mon étang que l’an dernier...les peupliers ont pris un bon mètre cette année...

L’important en fait, quel que soit le nom qu’on leur donne, est de différencier les deux concepts.

- 2-comme territoire : quelle carte dessiner pour représenter la croissance et en parler ensemble, comparer des croissances concurrentes ou différentes et trouver les relations qui les lient peut-être ? Là est le domaine des indicateurs de croissance.

Pour ce qui est de l’aspect 1 (la croissance comme « carte »), la question fondamentale est pour moi : le phénomène nommé croissance est-il un idéal nécessaire, une réalité contingente ou un défaut avec lequel il faut soit composer, soit se battre ? Certains progrès sont inéluctables, irréversibles ; d’autres sont optionnels ; d’autres enfin font l’objet de débats. Et d’autres encore sont mortifères. Il est par exemple à peu près impensable de revenir au temps des tomberaux et des fiacres, mais il est possible de tout faire pour dissuader les citoyens d’utiliser une automobile. Encore faut-il que le remède ne soit pas pire que le mal (des conditions de circulation automobile rendues artificiellement difficiles augmentent la pollution, le temps gaspillé, les incidents de conduite, la consommation de carburants,...et le stress des citoyens ; les parisiens en savent quelque chose...).

Pour ce qui est de l’aspect 2 (la croissance comme « territoire »), c’est la foire d’empoigne. Quels sont les bons indicateurs ? Tout indicateur « en place » est soupçonné d’être au service d’une manière de voir le phénomène mesuré. Comme contrôleur de gestion dans des multinationales, j’ai souvent défendu la thèse selon laquelle l’indicateur unique était, au regard de la théorie de l’information, toujours biaisable (on peut supprimer un « i »)et incomplet. Le réalisme dictant la limitation aux représentations planes, les plus faciles à lire et reproduire, les systèmes à trois indicateurs sont d’un maniement malaisé, donc il s’agit de trouver des couples d’indicateurs pertinents pour suivre la croissance (quel que soit le phénomène examiné).

J’ai posté il y a peu sur mon blogue le papier suivant, en réaction à un article sur le thème de « l’objection de croissance » publié par le journal le Monde.

- A- Un raisonnement contestable...

Le quotidien Le Monde, dans son édition du dimanche 30-lundi 31 juillet 2006, page 2, publie une chronique de Pierre-Antoine Delhommais. Le titre annonce la conclusion et dévoile le point de vue : « l’obscure lubie des objecteurs de croissance ».

L’argumentation du chroniqueur est d’une faiblesse affligeante, puisqu’elle se réduit au syllogisme suivant, dont les trois prémisses, la majeure et les deux mineures, sont par lui admises comme évidentes :
- les objecteurs de décroissance se recrutent parmi les médiatiquement puissants de sociétés prospères ;
- or lorsqu’on est médiatiquement puissant on peut faire passer n’importe quel message ;
- or aussi lorsqu’on appartient au haut d’une société prospère on ne prend pas de risque à plaider pour moins de prospérité ;
- donc les points de vue des objecteurs de croissance sont doublement suspects et inintéressants.

Le mérite de ce papier est, au-delà de l’expression d’un agacement, bien compréhensible de la part d’un esprit se manifestant ici comme plutôt conformiste, devant la trahison de quelques clercs (l’allusion à Julien Benda n’est pas gratuite de ma part) et de la formulation libre d’un point de vue qui a le droit d’exister, d’encourager une réflexion constructive.

- B- Le mot croissance a-t-il pris trop d’ampleur ?

Une lubie est un enthousiasme de forte intensité mais de courte durée pour un produit, une personne, une idée même...L’objection de croissance, considérée comme voie vers une utopie directrice qui serait une société harmonieuse et équilibrée n’est pas née d’hier. Il n’y a donc point lubie, tout au plus résurgence d’un principe d’action facilitée en effet par l’évolution de l’infosphère et la possibilité aujourd’hui offerte aux courants minoritaires d’exister médiatiquement. La forme n’a toutefois que relativement peu d’importance (quoi que...).Le fond appelle un autre débat. Les deux questions qui me viennent sont :
- le mot croissance (donc l’antagonique décroissance) n’aurait-il pas conquis un territoire sémantique trop vaste, empêchant la réflexion de se déployer sans trop d’embûches ?
- se dire objecteur de croissance veut-il dire être opposé à tout changement utile au plus grand bien du plus grand nombre ?

- C- Le PIB n’est qu’une créature de papier.

Notre culte de l’économie confine la croissance d’une société dans la constatation de variables liées au commerce, voire à l’industrie. Notre idôlatrie pour les chiffres élimine les variables qualitatives de nos constations et raisonnements. Notre engouement pour le tout mâché facile à comprendre exige le choix d’un indicateur normalisé et commun à toutes les sociétés humaines. Autrement dit ces filtres successifs assimilent la croissance d’une société au pourcentage de variation d’une image d’un phénomène unique arbitrairement choisi parmi des milliers d’autres. Nous voulons évaluer le développement d’un enfant et nous nous contentons de mesurer la longueur d’un de ses cheveux... Conceptuellement absurde ! Mais fascinant, eût dit Monsieur Spoke.

Le PIB d’une société humaine est certes un indicateur utile à considérer. Mais la composition de cet agrégat n’est pas non plus dénuée d’intérêt (il s’enrichit des coûts engendrés pour réparer les erreurs de la croissance, et reste étanche à de nombreuses activités de développement durable, au motif qu’elle résultent d’un travail non salarié - activités sociales des retraités, activités associatives, par exemple -) , et la manière dont ce supplément de richesse est répartie entre les acteurs non plus. Les choix faits par les statisticiens pour décider des activités qui contribuent au PIB et de celles qui n’y contribuent pas ne sont de surcroit pas neutres du tout. En d’autres mots, il y a de la magouille dans l’air.

- D- La notion de création de richesses est une escroquerie terminologique.

Les économistes nomment abusivement création de richesse ce qui n’est que le résultat d’une transformation de matières premières, d’énergie - naturelle et humaine - et d’information, c’est à dire d’intelligence et de savoir-faire. Autrement dit, il faut supposer que le savoir-faire, l’intelligence, la force de travail seraient éternellement renouvelables, et l’énergie et les matières premières inépuisables, pour que le bilan de l’opération soit positif.

Il n’en est rien.

Nous épuisons à un rythme accéléré (croissance oblige !) énergies et matières premières, sans que les efforts pour rendre exploitables de nouvelles formes d’énergie et réexploitables les matières premières déjà utilisées arrivent à compenser la dégradation du stock initial. Pire, intelligence, savoir-faire et force de travail consomment, eux aussi, des ressources pour se perpétuer.

- E- Les objecteurs de croissance ont déjà frappé.

Etre objecteur de croissance, c’est, pour reprendre une expression familière, prendre bien soin de soi. C’est remettre en question la nécessité du toujours plus, explorer la voie du toujours mieux.

Un exemple concret peut montrer que de plus c’est possible. L’amélioration constante des rendements thermiques et mécaniques des moteurs à explosion a d’abord été convertie en augmentation de la vitesse de pointe et de la masse embarquée (les belles américaines...). Les conséquences systémiques ne se sont pas fait attendre : accidents, sur-consommation de carburants, pollution... Des crypto-objecteurs de croissance, tapis au fond des des services de l’état, relayés par les journalistes spécialisés ou généralistes, les ingénieurs des constructeurs d’automobiles, les associations de consommateurs, et j’en oublie, ont agi pour remplacer les chromes par des dispositifs de sécurité, limiter drastiquement la vitesse, faire prendre conscience des conséquences de la pollution et la réduire. Et peu de personnes aujourd’hui jugent que la transformation de la croissance d’une performance unique en meilleure répartition des effets du progrès technique, au prix d’une forte décroissance de la dite performance, ait été « une lubie de gosses de riches parfaitement égoïstes ».

Nota important : le fait que je prenne un exemple dans un domaine grand public comme l’automobile ne signifie pas que je soutienne l’idéologie du tout-auto et du tout-camion. Je l’ai choisi parce qu’il est facile à comprendre et qu’il s’agit d’un secteur dans lequel j’ai des connaissances technologiques, comme ingénieur ayant travaillé chez Westinghouse dans le freinage des poids lourds.

- F- Que penser de la frénésie de croissance du PIB ?

Elle est incompatible avec le respect des droits de l’homme, car elle les réduit dans les faits à une litanie de vœux optionnels.

Elle est incompatible avec une conscience systémique, car refusant de considérer notre planète comme un tout vivant et cohérent.

Elle est incompatible avec le souci individuel qui caractérise notre espèce aux pratiques paradoxales et qui consiste à vouloir que nos enfants s’en sortent (un peu) mieux que nous, car après avoir rendu impossible le retour aux états antérieurs elle restreint maintenant leurs marges de manœuvre.

- G- Objection, mon honneur...

Si être objecteur de croissance est se soucier de l’avenir collectif en agissant au niveau social et politique pour que les voix de la prudence et de l’équilibre soient entendues, puis écoutées,

Si être objecteur de croissance est refuser la pensée standard qui dispense de la réflexion et... dispense de la réflexion... en tenant pour vraies les élucubrations rarement vérifiées des penseurs orthodoxes,

Si être objecteur de croissance est croire en la capacité de l’homme à surmonter ses erreurs, savoir infléchir les conditions de son destin et oser s’affranchir des dogmes du moment,

Alors, c’est honorable, et j’en suis.


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