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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Pierre Desproges, tendrement incorrect

Pierre Desproges, tendrement incorrect

« Il est plus économique de lire Minute que Sartre. Pour le prix d’un journal, on a à la fois la nausée et les mains sales ! ».



Ce mardi 17 avril 2018, c’est le dixième anniversaire de la mort du poète Aimé Césaire. Et le lendemain, c’est le trentième anniversaire de la mort de Pierre Desproges. Déjà, serais-je tenté d’écrire ! Trente ans, une génération, et un monde qui a changé. J'ai découvert Pierre Desproges par "La Minute nécessaire de monsieur Cyclopède" sur FR3 et il faut bien me l'avouer, je ne l'appréciais pas beaucoup, je le trouvais trop décalé sans aller jusqu'à l'humour franc et massif. Ce n'est que quelques années plus tard que j'ai su goûter à sa juste valeur la saveur desprogienne, faite de tendresse, d'érudition, de révolte et d'absurde. Cela s'apprend, d'aimer la loufoquerie. J'ai appris.

J'ai adoré son "Dictionnaire superflu à l'usage de l'élite et des bien nantis", son "Manuel de savoir-vivre à l'usage des rustres et malpolis", son Almanach, ses "Chroniques de la haine ordinaire", son "Vivons heureux en attendant la mort" et enfin, son excellent (et unique) roman d'amour "Des Femmes qui tombent".

À l’époque, il n’y avait pas d’Internet, à peine des ordinateurs et encore, seulement pour une petite minorité privilégiée, pas de smartphone, pas d’analyse ADN, pas réseaux sociaux pour dire n’importe quoi en un minimum de temps et avec un maximum d’écho. Non, il n’y avait que les voies traditionnelles pour faire de l’humour : le spectacle, la télévision, la radio, le livre.

France Inter célèbre à sa manière cet anniversaire : ce mercredi 18 avril 2018 à 20 heures, au Studio 104 de la Maison de la Radio, ses humoristes maison Charline Vanhoenacker, Alex Vizorek et Guillaume Meurice singeront la mythique émission des années 1980, le Tribunal des flagrants délires (rien que le nom de l’émission est hilarant) avec pour prévenu …Pierre Desproges, bien évidemment ! À cette occasion, il pourrait bien être condamné à ressusciter !

Pierre Desproges est lui-même un marronnier. On s’amuse à parler de son humour qui ne pourra plus se reproduire. Desproges et Coluche, chacun avec son style, ont dit des choses qu’il serait très difficile de redire aujourd’hui. Sans se faire incendier par les ligues féministes, par les associations contre le racisme ou contre l’antisémitisme. Il faut dire aussi que les rares qui s’y aventurent aujourd’hui ne le font pas juste pour le bonheur de l’humour mais aussi pour des considérations clairement propagandistes ou mûrement provocatrices, ce qui réduit la portée de leur humour aux seuls affiliés.

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Pierre Desproges, aujourd’hui, aurait sans doute eu des procès de la confédération des coiffeurs, ou de la ligue contre le cancer (encore que, comme la ligue, il était contre, lui aussi). Quand, dans son dictionnaire à une seule entrée par lettre (ce qui limite la déforestation de l’Amazonie), au mot "directeur", il précise, en guise d’érudition, que « le féminin de "directeur" est "la femme du directeur" », il ne peut imaginer que trente-cinq à quarante ans plus tard, des intellectuelles très sérieuses voudraient imposer l’écriture inclusive jusqu’aux écoliers ! Heureusement, la société de consommation n’était pas oubliée, ni même les méchantes mathématiques, puisque dans ce même article, il est par ailleurs indiqué : « On ne dit pas "un petit directeur", on dit "un chef de rayon". On ne dit pas "un grand directeur", on dit "un chef de diamètre". ».

Comme toutes les fois où Pierre Desproges sort sa plume ou sa langue, on s’aperçoit avec joie que son verbe est gentillet, artisanal, sans méchanceté, juste pour donner de jolies phrases, souvent longues et tortueuses, avec plein de mots compliqués et qu’il est resté l’enfant qui aimait tirer la langue et tirer les cheveux de ses camarades.

Un exemple de tendrement incorrect à connotations sexuelles avec pompeuses phrases alambiquées, dans un spectacle : « La vache ! Quand je vois le nombre de filles baisables qu’il y a ici ce soir, ça me rend dingue ! Est-il possible que Dieu nous ait voulus monogames, alors qu’une vie d’homme tout entière ne suffirait pas à pétrir tous ces seins et toutes ces fesses écrasées ici dans l’étreinte épaisse de ces fauteuils sournois aux ressorts douloureusement comprimés sous le poids brûlant de vos chaleurs interdites, madame ! (…) Même ma sœur, qui est militante lecanuettiste, ne pense qu’au sexe. Est-ce que ça ne prouve pas, à l’évidence, qu’on peut être à la fois marginale ET clitoridienne ? ». Puis, il parle de l’amie de sa femme : « L’interdiction tacite que je me fais de lui proposer le gazon, pour d’obscures raisons chrétiennes de solidarité maritale, ne peut que contribuer à me la rendre encore plus désirable que… ». Et son fantasme des éviers : « Je sais aussi ce que sur le plan érotique pur, je sens bien ce que le terme d’évier peut avoir de rédhibitoire, c’est vrai. (…) Mon éviérisme remonte à mes seize ans. » ("Premier spectacle" créé au Théâtre Fontaine le 12 janvier 1984).

Quand on songe que dans son Almanach qui est paru peu après sa mort, après avoir dit des vilenies sur de nombreux "people", il faisait son petit feuilleton de sa lente agonie. Dans un sketch : « Dans cette liste de mots, cherchez l’intrus : métastase, Schwartzenberg, chimiothérapie, avenir. ». Ou encore : « C’est mon père, qui a un cancer de la gorge, et il parle à ma mère : "Maman… je voudrais… des gauloises… sans filtre". C’est rigolo, mais c’est pas évident, d’imiter l’accent cancéreux… surtout quand on n’a pas de cancer. J’ai pas d’cancè-re, j’ai pas d’cancè-re… ».

Né le 9 mai 1939, il est mort à 48 ans à Paris et est enterré au Père-Lachaise. On s’amuse à dire (Jean-Louis Fournier, en fait) que pour trouver la tombe de Chopin, c’est facile, elle est juste en face de Desproges. Sa tombe à lui, sans pierre tombale, sans marbre, juste un peu de terre pour laisser pousser les mauvaises herbes.

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Mais revenons au Tribunal des flagrants délires. Les éditions du Seuil et Radio France ont réédité le recueil des réquisitoires du Tribunal des flagrants délires (le livre est sorti le 5 avril 2018). Ah oui, je précise, Pierre Desproges n’était pas seulement humoriste, chroniqueur, il était aussi journaliste (il a interviewé le Président de la République française Valéry Giscard d’Estaing alias Thierry Le Luron) et il était surtout procureur de la République du fou rire et du sourire.

Dans ces émissions radiophoniques quotidiennes où on grillait ou écartelait l’invité, Pierre Desproges jouait en effet le rôle du procureur implacable, « teinté de cynisme et d’humour noir » (dit la notice), Luis Rego faisait le pitoyable avocat de la défense (une précieuse aide du bourreau) et Claude Villers présidait les séances avec une autorité indiscutable.

Le livre réédité propose une préface d’un autre humoriste, François Morel : « Monsieur Desproges a gâché ma vie et celle de mes collègues diplômés en humour, qui ne peuvent plus voir un journaliste sans que leur soit posée la fameuse question : "Pensez-vous avec Pierre Desproges qu’on peut rire de tout ?". Comme si c’était facile de rire de tout… Allez rire d’un vilebrequin, d’une perceuse à colonne d’établi avec variateur et affichage digital ! ». La fameuse question, Desproges se l’était explicitement posée… devant Jean-Marie Le Pen !

Je ne peux m’empêcher de citer quelques extraits de ces réquisitoires de Pierre Desproges, toujours aussi éclatant de fraîcheur et de poésie. Comme on peut le constater, ce n’était pas de l’humour hésitant et tiédasse ! Je propose huit extraits, à déguster lentement et surtout, en cachette…

1. Prévenu Frédéric Mitterrand, le 15 mai 1981 : « Je signale aux auditeurs qui prendraient l’émission en cours que c’est Mitterrand que nous allons condamner à mort ensemble aujourd’hui. Pas n’importe quel Mitterrand ! Pas Albert Mitterrand : Mitterrand lui-même. Le Mitterrand. Sacré Mitterrand. (…) Je lis que la cour présidée par monsieur Villers accuse Mitterrand d’incitation au passéisme ! Enfin, Claude, soyons logiques, soyons sérieux, comment un homme nouveau comme Mitterrand pourrait-il inciter les Français au passéisme ? ».

2. Prévenu Daniel Cohn-Bendit, le 14 septembre 1982 : « Je n’ai rien contre les rouquins. Encore que je préfère les rouquins bretons qui puent la moule aux rouquins juifs allemands qui puent la bière. D’ailleurs, comme disait à peu près Himmler : "Qu’on puisse être à la fois juif et allemand, ça me dépasse". C’est vrai, faut savoir choisir son camp. Enfin, tout ça, c’est du passé, l’antisémitisme n’existe plus. Je veux dire que de nos jours, quand même, on peut dire qu’il y a moins d’antisémites en France que de Juifs. (…) Regardez-le, mesdames et messieurs les jurés ! Qui pourrait en vouloir à ce misérable déchet humain qui croupit sans grâce au banc de l’infamie, tandis que les enfants des disciples de Dany-le-Rouge se peignent les cheveux en vert pour aller pétarader en bande sur les vélomoteurs imbéciles de leur printemps petit-bourgeois ? Cet homme, mesdames et messieurs, est à l’automne de sa vie, à la fin de son voyage. Il est bon pour l’euthanasie. Il s’étiole et se racornit comme la première feuille morte (…). Le 25 mai 1968 (…), Daniel Cohn-Bendit était refoulé à Forbach alors qu’il tentait de rentrer en France pour faire encore l’andouille avec des boutonneux. ».

3. Prévenu Jean d’Ormesson, le 16 septembre 1982 : « N’avez-vous point honte de vous exhiber dans cet affligeant gérontodrome, vous qui êtes encore jeune et fringant, malgré les rides affreuses qui commencent à défigurer de façon dramatique votre visage naguère aristocratique ? N’avez-vous point honte à votre âge, un grand garçon comme vous, de vous déguiser périodiquement en guignol vert pomme avec un chapeau à plumes à la c@n et une épée de panoplie de Zorro ? Est-il Dieu possible qu’un écrivain aussi sérieux que vous fasse partie des quarante papys-la-tremblote tout juste encore bons à réchauffer leurs os cliquetants au soleil du front de Seine en se demandant s’il y a un n ou deux à zigounette ? (…) Étant donné que l’accusé n’écrit pas avec ses pieds, je suggère qu’on lui coupe les mains. ».

4. Prévenu Jean-Marie Le Pen, le 28 septembre 1982 : « Personnellement, il m’arrive de renâcler à l’idée d’inciter mes zygomatiques à la tétanisation crispée. C’est quelquefois au-dessus de mes forces, dans certains environnements humains : la compagnie d’un stalinien pratiquant me met rarement en joie. Près d’un terroriste hystérique, je pouffe à peine, et la présence à mes côtés d’un militant d’extrême droite assombrit couramment la jovialité monacale de cette mine réjouie (…). ».

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5. Prévenu Reiser, le 8 novembre 1982 : « Quand on observe attentivement une photographie de Jean-Marc Reiser enfant, on est frappé d’emblée par l’absence de gourmette et de pelisse de fourrure qui caractérise la vêture du sujet. Cet arrogant laisser-aller vestimentaire ne constitue-t-il point, mesdames et messieurs les jurés, le signe de ralliement ostentatoire des pauvres ? (…) Comment s’étonner, dans ces conditions, que l’enfant ait si vite mal tourné, dans un monde sans amour, sans chaleur, et, qui sait, sans magnétoscope ? ».

6. Prévenu Cavanna, le 3 décembre 1982 : « Croyez-moi, Cavanna, seule la virulence de mon hétérosexualité m’a empêché à ce jour de vous demander en mariage. "Charlie Hebdo" est mort depuis près d’un an ! Déjà ! (…) Au beau milieu du fleuve, totalement irréfutables, deux énormes hippopotames ne laissaient paraître aux regards que les masses immobiles de leurs dos gros jaunâtre au cuir craquelé de boues éparses et d’algues mortes. Seuls, paisibles au milieu de toute cette faune abrutie de torpeur torride, les deux balourds faisaient des bulles. (…) Passe le temps et passent les semaines : les hippopotames ont le spleen. "Charlie Hebdo" est mort. Cavanna pointe au chômage. Les Russes arrivent et j’ai rien à me mettre. Ca va mal ! ».

7. Prévenu Siné, le 13 décembre 1982 : « Ce morne quinquagénaire gorgé de vin rouge et boursouflé d’idées reçues, présente à nos yeux blasés qui en ont tant vu qu’ils sont devenus gris, la particularité singulière, bonjour les pléonasmes, d’être le seul gauchiste d’extrême droite de France. Xénophobe même avec les étrangers, re-bonjour, masquant tant bien que mal un antisémitisme de garçon de bain poujadiste sous le masque ambigu de l’antisionisme pro-palestinien, misogyne jusqu’à souffler dans sa femme pour économiser sa poupée gonflable (...), plus primaire encore dans son anticommunisme que les asticots moscovites présentement occupés à bouffer Brejnev de l’intérieur, Siné, la baguette sous le bras et le béret sur la tête comme un Guevara de gouttière, va sa vie à petits pas, tels un Super-Dupont mou, plongeant mollement dans le fluide glacé de son troisième âge. ».

8. Prévenue Claire Bretécher, le 19 décembre 1982 : « Claire Bretécher n’est pas la pieuse paroissienne de Saint-Honoré-d’Eylau que tout le monde croit. Elle a une vie sexuelle organisée. Et, avant sa rencontre avec Michel Jobert dans le Paris-Poitiers, cette femme était mienne ! (…) Que celle qui n’a jamais rêvé de cacher son amant dans sa culotte lui jette la première pierre ! ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (15 avril 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Pierre Desproges.
Thierry Le Luron.
Pierre Dac.
Coluche.

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9 réactions à cet article    


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 16 avril 2018 11:00

    Je ne pouvais qu’avoir de la sympathie pour Desproges. Monsieurr RAKO-machin, un peu de cohérence entre vos articles ne nuirait pas à votre évolution personnelle. L’AS« censeur », si je puis dire : UN SOMMET,...


    • vesjem vesjem 17 avril 2018 10:25

      @Mélusine ou la Robe de Saphir.
      « un peu de cohérence ... »
      c’est simplement un article de diversion pour une minuscule caution de probité, de la part de raclure-machin



    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 16 avril 2018 11:03

      j’imagine un sketch sur Fillon, le catho anti avortement et euthanasie avec un flingué braqué droit vers le personnel des hôpitaux


      • ZenZoe ZenZoe 16 avril 2018 11:49

        Félicitations à l’auteur, très bel hommage, et bien écrit.


        • Ouallonsnous ? 16 avril 2018 19:43

          @ZenZoe

          Rakoto doit être exfiltré d’Avox, plus personne ne le supporte, donc inutile de lui lécher le cul !!!!


        • MOULRON Etienne MOULRON Etienne 16 avril 2018 17:43
          L’association « La Maison du Rire et de l’Humour » a décerné ce 13 janvier 2018 à l’unanimité de son jury son 12 ème “ Prix Humour de Résistance ”, à titre posthume bien à regret, mais personne n’est parfait, à Pierre Desproges, artiste « dégagé » à l’humour corrosif et « écriveur » patenté et si tentant, épicurien à l’imagination foisonnante, qui a su sans choir soigner son angoisse de la mort par un humour dévastateur à la Attila et pratiquer, à la Boileau, lui le grand amateur du sublime Château Figeac, l’art de remettre cent fois sur son métier son bel ouvrage de pourfendeur de toutes les idées reçues et des bons sentiments.
          Pierre Desproges représente ainsi, selon nous, par son « Humour Attitude », l’esprit même de l’humour de résistance, arme de reconstruction massive avérée, et pas qu’à Viré, le goûtu pays de l’andouille ; symbolisant ainsi le libre pouvoir de dire « Merde » urbi et orbi, mais aussi la quintessence de l’art de bien « aimer rire de tout mais pas forcément avec tout le monde » !
          Puisse ce prix être une modeste petite pierre (!) apportée, permettant ainsi à son grand Pierre de lauréat de « continuer de gigoter », ainsi qu’à toutes celles et ceux qui, non contentes de raffoler d’un bon gigot et d’un persifleur gigotage, sont accros, ou désireraient le devenir, à perpétuer et à animer ce bal des vilains petits canards en la marre d’un monde agélaste qui se marre de moins en moins !
          Ce prix, qui a reçu l’agrément de ses deux filles, Marie et Perrine, retenues à cette date, sera gloupinesquement remis à son frère Jacques, le 28 avril prochain, non pas à l’occasion des trente ans de sa mort, mais bien de son cancer en l’exquise cité de Chalus , ville qui lui fut si chère, que l’on peut de Limoges, relier à pied, à cheval ou en …limousine !

          • L'enfoiré L’enfoiré 17 avril 2018 13:46

            @MOULRON Etienne

             Il parait qu’il y a un musée du rire qui est en gestation en France.
             Chez nous, il est planifié pour bientôt.
             Philippe Geluck en sera le promoteur.


          • L'enfoiré L’enfoiré 16 avril 2018 18:48

            Pierre seul en scène pendant une heure et demi

            https://www.youtube.com/watch?v=-F2S2b0eFD0


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